Beth Ditto : « J’existe, et rien que ça c’est queer ! »

beth ditto indienne

La diva queer avait mis son groupe Gossip de côté pour nous pondre Fake Sugar, un premier album solo particulièrement hétéroclite. Mais voici qu’au printemps 2019, elle annonce la reformation du groupe pour une tournée Européenne !

Hello Beth. Ça t’a pas fait pas bizarre d’être en solo après tant d’années de vie de groupe ? 

Beth Ditto : C’était bizarre, oui, et très différent surtout. Avec Gossip, nous partagions le même humour, les mêmes « inside jokes », depuis des années. Aujourd’hui, avec mon nouveau groupe, personne ne les comprend. Il y a un temps d’adaptation et ça me fait bizarre. Enregistrer l’album était différent aussi car j’avais tellement d’options possibles, une grande liberté que je n’avais pas forcément avec Gossip. Le fait de tout faire moi-même me permettait de ne pas demander de permission, de faire tout ce que je voulais.

Est-ce que c’était pas un peu effrayant ?

C’était effrayant, oui, car tu dois faire confiance aux gens. Avant je vouais mon entière confiance à Nathan (Howdeshell, ancien de Gossip, ndlr). Pour cet album, tout était différent car je devais croire en moi-même.

La séparation du groupe, ça a été une décision diffcile ?

Ce qui était vraiment difficile, c’était d’essayer d’enregistrer un album et de sentir que les autres ne voulaient pas vraiment remettre ça. Nous avons essayé et… ça ne marchait pas. À partir du moment où Nathan est reparti vivre en Arkansas, à 3 000 miles de Hannah (Blilie, batteuse du groupe, ndlr), tout est devenu plus compliqué.

C’est un classique du rock : le groupe qui ne survit pas à son – immense – succès.

Je ne dirais pas les choses comme ça. C’était simplement que nos vies étaient devenues trop différentes. Nathan en a eu marre de notre mode de vie, forcément nomade, et a préféré une vie d’agriculteur. Moi, pas. Nuance !

beth ditto beauté

Vous avez l’impression d’avoir beaucoup changé depuis vos débuts ?

Du tout, et c’est ça la marque Gossip. Pas de compromis. Bien sûr, il y a l’argent qui est rentré, on pouvait payer notre loyer, les factures… Tout ça est cool. Mais nous vivons tous sans chichis : si tu viens dans ma maison de Portland, tu seras déçu ! Ce n’est pas luxueux, je fais mes lessives, je vide les poubelles moi-même… Ah ah !

Peut-être que tu deviendras davantage une diva maintenant que tu démarres une carrière en solo ?

Pff, ce n’est pas vraiment mon genre ! D’ailleurs, c’est marrant, pour ce disque je ne me suis jamais dit que je me lançais en solo, ça serait pompeux, je me suis juste dit que cette fois-ci je me débrouillais pour faire un disque toute seule.

Et ça fait quoi, de se mettre en solo ?

C’est agréable. Un peu comme vivre une nouvelle histoire d’amour : fuck les discussions, on agit ! C’est effrayant et en même temps extrêmement excitant. 

L’album est extrêmement varié, sans style dominant. Après des années dans un groupe, tu voulais tout tester ?

Je sais bien que ce disque est plus varié – et plus accessible – que ceux de Gossip, mais je suis restée la même. On me prête de jolies robes mais je suis toujours cette fille punk en colère, et si l’album n’avait pas été terminé avant l’élection de Trump, il aurait été encore plus énervé, car je le suis contre ce nouveau président qui va supprimer la couverture santé de ma mère, contre ces voisins qui nous regardent ma femme (son ancienne assistante Kristin Ogata, ndlr) et moi comme de la merde parce qu’on veut avoir des enfants, contre mon pays qui n’est pas foutu d’accueillir des réfugiés…

Beth Ditto mariée, ça donne quoi ?

Ça m’a obligée à, enfin, devenir une adulte (tout en gardant mon sens de l’humour bien potache) et à être moins égoïste.

Tu défiles régulièrement pour de grandes marques de luxe. Tu as l’impression qu’ils font appel à toi, dont le corps est à l’opposé des normes de cette industrie, pour se donner bonne conscience ?

Je pense que si j’avais été un homme, tu ne m’aurais pas posé cette question. Et peut-être que les gens de la mode se servent de moi, mais ce n’est pas grave : je me sers d’eux pour faire passer mon message.

Quel message ?

Je suis toujours aussi contente d’être cette grosse lesbienne féministe qui prône l’amour entre gens du même sexe plutôt qu’être une fille longiligne qui ne chante rien d’autre que de faire la fête toute la nuit. J’existe – et rien que ça, c’est queer !

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Je me souviens de toi il y a quelques années dans les backstages d’un défilé de Jean-Paul Gaultier. Tu as arrêté notre interview pour aller aux toilettes.

Oui, je suis naturelle, et il m’arrive de péter aussi. (Rires.) C’est la vie !

LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD