VERS UN « VIRILITY WASHING » ?

virility washing

L’homme déconstruit va-t-il sortir le pays de la crise ? L’économiste le mieux entraîné de France en est convaincu… à condition qu’il ne s’arrête pas aux clichés sortis du vestiaire.   

« On ne naît pas viril, on le devient », a dit la philosophe Olivia Gazalé pour paraphraser Simone de Beauvoir. La virilité définie par les caractéristiques associées au sexe masculin (comme, actuellement, le fait d’être un leader, d’avoir un corps musclé, de ne jamais exprimer ses sentiments, d’aimer le bleu plutôt que le rose, etc.) est aujourd’hui largement critiquée, y compris chez les hommes. Pour reprendre, l’expression de Sandrine Rousseau, l’homme doit se déconstruire, c’est-à-dire se libérer des comportements et de l’image associés à son sexe. Mais cette déconstruction doit être totale. Si elle s’opère uniquement sur la forme sans en changer les structures économiques, elle sera l’équivalent du « green washing » dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Dans son livre Le Mythe de la virilité, la philosophe Olivia Gazalé montre que les hommes sont enfermés dans un ensemble de comportements stéréotypés malgré eux : rétention des émotions, ne pas avoir peur de la mort, aimer la bagarre, avoir des érections sur commande. Devenir « un vrai homme » demanderait beaucoup à l’homme. Il y aurait une oppression de l’homme par l’homme qui entraîne celle sur la femme. Pour sortir de cette virilité toxique, il y aurait des chantiers énormes à mener, notamment sur l’éducation des garçons.

Cette virilité représente également un coût important pour la société. Dans son livre Le Coût de la virilité, l’historienne Lucile Peytavin a calculé son impact financier. La chercheuse estime ce coût à plus de 95 milliards d’euros par an en France. Sa recherche a commencé lorsqu’au cours de sa thèse, elle tombe sur une statistique étonnante : 96 % de la population carcérale est composée d’hommes. Partant de ce chiffre, elle démontre comment les jouets, les jeux ou les films influencent les garçons en véhiculant des valeurs d’agressivité, de domination et de compétition. La conception par la société d’un héros aux attributs de puissance et de force a donc un impact sur la définition que nous nous faisons du « vrai homme ». Il faut donc « déviriliser » la société à marche forcée.

CHANGEMENT DE FORME

Mais dans cette opération de dévirilisation, il ne faut jamais oublier que le capitalisme survit grâce à sa capacité à se réinventer sans vraiment changer. Après, les super-héros, remplis de testostérone des années 1980-1990, comme Sylvester Stallone, Bruce Willis ou Jean-Claude Van Damme, place à une nouvelle forme de représentation, avec des corps plus androgynes et des codes repris à la féminité. Désormais, on pose en jupe, comme Harry Styles ou en dos nu, comme Timothée Chalamet sur le tapis rouge de la Mostra de Venise. La déconstruction, du moins esthétique, a des bienfaits en bousculant les codes et en permettant à chacun de ne pas être enfermé dans un seul type d’esthétique. Mais n’est-elle pas devenue un business à part entière ? Une nouvelle forme de distinction ?

Quand on voit l’expansion de la cosmétique pour homme (et les profits qui vont avec) depuis que des A$AP Rocky mettent du vernis à ongles ou que des SCH ont des coiffures nécessitant plus de soins que celle de Pamela Anderson, on comprend bien que cette déconstruction de l’homme est également une affaire de gros sous. Mais la vraie question dans tout ça est : se maquiller, porter des talons, exprimer ses sentiments, est-elle une marque de déconstruction si, par exemple, on laisse ensuite son enfant à une bonne philippine ? Est-on déconstruit en achetant une veste rose H&M cousue par des petites mains majoritairement féminines en Éthiopie payées 23 euros par mois ? La déconstruction de l’homme ne doit pas se résumer au témoignage d’un jeune homme fan de makeup sur une vidéo TikTok, la dévirilisation doit déconstruire tous les rapports de domination qu’a entrainés notre société majoritairement dominée par des hommes : l’extractivisme brutale, la domination des forts sur les faibles, la soumission de la majorité pour les profits exorbitants de quelques-uns.


Légende photo : OH MOTHER_  La Queen Riri et sa petite famille (A$AP Rocky portant leur gosse) en couverture du Vogue british de mars. Who’s the boss now ?



Par 
Thomas Porcher