LOUIS-GABRIEL NOUCHI, CRÉATEUR-LITTÉRAIRE : « REVENIR À LA LITTÉRATURE PAR LA MODE »

Louis-Gabriel Nouchi

Le gagnant émérite du Grand Prix de la 34e édition de l’ANDAM Fashion Awards, Louis-Gabriel Nouchi, partage avec nous sa vision de la masculinité et de la littérature au sein de l’industrie. Interview point par point.

Tu étais à Bruxelles, chez Raf Simon de 2013 à 2014. Comment fait-on la mode en Belgique ?
Louis Gabriel Nouchi : C’est vraiment une école intellectuelle et cérébrale. J’ai été formé à la Cambre, où il y avait cette ambiance de laboratoire et il n’y avait pas la peur du mauvais goût. On nous apprenait que toute notre vie, nous allions faire des chemises et des pantalons, alors autant s’éclater et faire du moche ! Et cette philosophie-là, je l’ai retrouvée chez Raf Simons. Ça a été la meilleure expérience de ma vie ! Raf gérait très bien sa marque, tant dans l’éthique au travail et la gestion des équipes, que dans le processus créatif. Il me disait toujours que mes créations étaient du bon travail, mais qu’il fallait que j’explore plus la radicalité.

Tu as collaboré avec les Galeries Lafayette en 2015, la Redoute en 2016, le gantier Agnelle en 2017, le Paris Saint-Germain Football Club en 2020, Kaporal en 2021 ou encore dernièrement en, 2023 avec la parfumerie Fragonard. L’art de collaborer est important pour toi ?
Ma collab’ avec les Galeries Lafayette, c’était la première édition du prix Galeries Lafayette x Festival de Hyères. J’ai été le premier créateur à y participer, puis ensuite il y a eu Marine Serre et d’autres stylistes. C’était une opportunité exceptionnelle : faire des vêtements et les vendre sans avoir la production et la vente à gérer. D’un côté, tu as cette collab’ et celle avec la Redoute, qui m’ont permis de savoir pour qui je voulais faire des vêtements. Et d’un autre côté, il y a celles avec Agnelle et Fragonard qui t’apportent un savoir-faire auquel tu n’as pas accès. Le gantier Agnelle, avec la présidente Sophie Grégoire, fait partie des derniers de la ganterie française. Fragonard, c’est pareil, c’est une Maison tenue par des femmes et c’est un savoir-faire transmis de génération en génération. Ce n’est pas seulement du parfum, c’est aussi un art de vivre.

Tes collections sont toujours inspirées d’un livre : A Single Man de Christopher Isherwood pour ta dernière collection, SS24, American Psycho de Bret Easton Ellis pour la co’ FW23, Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos pour SS23… Comment transformer une histoire en vêtement ?
La lecture est ma première source d’inspiration, mes livres se transforment toujours en quelque chose de très visuel pour moi. Un livre, tu peux lire plusieurs fois, à différentes périodes de ta vie, tu ne l’interprètes pas de la même manière, comme un vêtement. Aujourd’hui, dans le postulat et dans la réflexion, on travaille sur les différentes facettes de la masculinité, donc le choix des livres est tout à fait conscient. Le passage des réflexions au vêtement s’installe lorsque toute l’équipe a lu le livre et en tire des mots – des idées, puis ensuite on se questionne sur quelle matière, couleur, texture… que cela évoque ! C’est une ouverture au débat, car un livre ouvre des discussions, des questionnements et des trajectoires différentes, et ça c’est l’identité que je veux pour ma marque. On construit notre propre bibliothèque au fur et à mesure des collections.

Quel est le registre d’ouvrage littéraire auquel tu te réfères le plus ?
L’absurde ! Mais maintenant, je choisis des livres avec un titre qui évoque un imaginaire collectif, parce que ça touche plus de gens. Aujourd’hui, les gens sont très passifs, car nous sommes abreuvés d’images. Là, ça permet de revenir à la littérature par la mode. Les créations ne sont pas littérales, il  n’y a pas de textes sur les vêtements, c’est seulement un point de vue sur une œuvre. On peut tenir trente ans sur ce système.

« ON EST UNE DES RARES MARQUES À AVOIR AUTANT D’INCLUSIVITÉ EN MENSWEAR. »

 

Tous les hommes peuvent se projeter dans ta marque, on le voit à travers les profils choisis. Comment s’établit cette réflexion dans l’industrie de la mode?
On travaille directement sur le corps, on est une des rares marques à avoir autant d’inclusivité en menswear. 30 à 40 % du public qui défile sont des clients. En fonction de qui tu mets dans quel vêtement, par exemple, si la personne est plus âgée, plus forte, plus mince, ça ne raconte pas la même chose. Je trouve qu’on ne parle pas assez de la portée sociale de la mode : sur qui tu le portes, comment tu le portes et pourquoi tu le portes.

Pour ton dernier défilé, tu as collaboré avec Paf Atelier, pour transformer la mezzanine du Palais de Tokyo en utilisant des feuilles métalliques réutilisées montées sur des cadres en bois, précédemment mises en avant pour un festival de danse. Comment met-on au centre d’une marque de mode, le respect de l’environnement ?
On est une marque zéro déchet dans notre production et nos achats. Le sustainable, ce n’est peut-être pas glamour mais c’est une vision globale. Aujourd’hui, dans notre processus, on change les matières des polybags, on supprime les cintres, on source de nouveaux matériaux qui sont des biomatériaux et non issus du pétrole, on privilégie la viscose qui utilise moins d’eau que le coton et nous avons 40 % de collection permanente pour que ne pas être dans la recherche constante de la nouveauté. En ce qui concerne la production, le circuit se fait en Europe, et il y a des pièces made in France, c’est une bataille très dure à mener. Avec la réussite du prix ANDAM, on essaye de labelliser !

@louisgabrielnouchi

www.louisgabrielnouchi.com

 

Par Anaïs Dubois & Laurence Rémila
Photo Julien Grignon