Virginie Despentes : « On évolue dans une époque moins sexuelle que dans les années 90 ! »

Avec la sortie de Vernon Subutex 3, la romancière imagine les vies de jeunes vieux délestés de leur sex-appeal. À quoi ressemblent les enfants du rock que nous sommes en 2017 ? Entretien express

Vous écrivez dans King Kong Théorie : « Le désir sexuel est une mécanique guère compliquée à mettre en branle. » Partant de ce constat, avez-vous l’impression que nous vivons dans une société de plus en plus sexuelle ?
Virginie Despentes : Je n’ai pas le sentiment que la société se sexualise de plus en plus, y compris chez les jeunes. Bien au contraire d’ailleurs… Il n’y a pas beaucoup de travail sur le sexe – même si paradoxalement il y a énormément de porno sur internet qu’on regarde sans en parler du tout. Il n’y a pas de discours explicatif sur le porno alors que vous êtes sans cesse abreuvé de sexe.

Vous dites pourtant que la société ne se sexualise pas tant que ça.
Je trouve qu’on évolue paradoxalement dans une époque bien moins sexuelle que dans les années 90 ! Bon, il faut voir d’où l’on vient. La sexualité des vieux n’était pas géniale. Faut pas oublier qu’il y a cinquante ans, y’avait beaucoup de gens qui n’avaient pas même idée que l’on pouvait mêler le plaisir à la sexualité !

Et celle des jeunes de vingt ans ?
Même si je ne les côtoie pas sexuellement parlant, il me semble, malheureusement, que c’est toujours plus facile aujourd’hui encore pour les garçons d’avoir une sexualité libre sans se faire juger. Indéniablement… Sur internet, pour les filles, être taxée de salope, c’est beaucoup plus grave : c’est être jugée sur sa sexualité. C’est vachement fréquent car les réseaux sociaux permettent un harcèlement vraiment intense. Les filles sont prises entre plusieurs feux, toujours 
très complexées par leurs poids. Être une femme, ça n’a jamais été facile. Hier comme maintenant.

Et les mecs ?
Pour vous les garçons, il y a cette question de plus en plus récurrente : « Qu’est-ce qu’un beau corps, hyper musclé ? » Avec internet, tout a évolué très rapidement. Les mecs ne se comparaient pas sur leurs capacités sexuelles comme ils le font aujourd’hui !

Voyez-vous quand même des avantages à avoir vingt ans aujourd’hui ?
Y’a des gamins qui sont dans des trucs beaucoup plus réactionnaires et difficiles que ce que nous avons connu, nous, ma génération, dans les années 80. Même si être gay aujourd’hui est beaucoup plus cool et facile à plein de niveaux. Et être lesbienne, n’en parlons pas ! C’est une partie de plaisir ! Cela dit, avoir vingt ans aujourd’hui, c’est dur. Y’a beaucoup de merdes ! Si j’avais vingt ans en 2017, je serais directement lesbienne. Aujourd’hui, je commencerais par là, sans aucune forme d’interrogation ! Ado, dans les années 80, on n’y pensait pas, on ne se posait pas la question. Ce n’était même pas une option, cela n’existait pas. C’était tout un bordel d’être homosexuel. Même si cela reste encore stigmatisé, c’est quand même beaucoup plus souple maintenant ! Y’a beaucoup de garçons qui ont vraiment envie d’avoir des histoires d’amour avec leurs amis et qui, avant, se l’interdisaient de manière bien plus drastique.

Dernier ouvrage paru : Vernon Subutex 3 (Grasset, 2017)

ENTRETIEN NICOLAS MONIER

Technikart #214 juillet/août 2017