Sébastien Tellier & les Mind Gamers : « Dans les 70s, pour être sexy, il fallait se couper les veines »

© François Valenza

Quand la sinistrose menace, c’est toujours lui qui revient foutre de l’excitation dans l’affaire : épaulé par un américain et un australien, le gourou Tellier nous présente en exclusivité Mind Gamers, un trio électro et élégant qui s’est donné une sacrée mission : épicer la pop. 

Vous sortez votre premier EP Power of Power chez Record Makers sous le nom de Mind Gamers. D’où vient ce nom ?
Sébastien Tellier : Pour moi, quand tu écoutes de la bonne musique, il y a en effet un jeu de stratégie qui se met 
en place dans le cerveau, c’est presque jouissif… Un bon disque, ça active plein de petites choses, plein de petits univers et de surprises. On s’appelle Mind Gamers car c’est cette jouissance de l’esprit qu’on veut faire partager… On peut jouer de tout, aujourd’hui, et même mal puisque tu peux ensuite tout corriger avec les machines. C’est devenu un paradoxe : pour être bon, mieux vaut être mauvais ! Pour mettre des effets sur sa voix, par exemple. Auto-Tune, si on chante dans le ton, ça ne marche pas. Alors que si tu chantes mal, si. Et en dehors de la technique, il faut parfois jouer comme un très mauvais musicien pour découvrir de nouveaux territoires…
Daniel Stricker : On se sert vraiment des ordinateurs pour ouvrir plein de voies.
S.T. : On aime beaucoup les erreurs informatiques. Et on compte beaucoup sur la chance. Ça nous arrive de tout régler n’importe comment, d’appuyer sur la touche « lecture » et de voir ce que ça fait.

Plus personnellement, pour toi, Sébastien, Mind Gamers est une façon de faire un break avec ton image publique ?
S.T. : Je fais ce qui me fait plaisir, hein. Aujourd’hui, je ne fais plus attention à comment c’est perçu… J’ai plein de trucs à dire et je me concentre sur comment je vais les dire. Essayer de plaire aux gens, c’est un défi ridicule : il y a tellement de visions différentes des choses, on s’y perd à toutes les comprendre, c’est une 
voie sans issue… Mieux vaut essayer de faire ce dont on a le plus envie.

Les Mind Gamers, jamais sans leur âne © François Valenza

Dans la pop, d’habitude, on commence dans un groupe puis on se lance dans une carrière solo. C’est plutôt inhabituel d’entrer comme toi dans un groupe à plus de 40 ans…
S.T. : C’est très plaisant, un groupe. Ça fait une vingtaine d’années que je fais de la musique. J’ai longtemps été seul en studio. Ça me fait du bien d’être avec des gens. C’est sympa de partager, il n’y a pas cet emprisonnement dans la solitude… Ça m’aide à être heureux. Quand je suis seul, je me mets beaucoup de pression, je suis dans un egotrip total. La musique en groupe, c’est beaucoup plus serein. Si tu n’as pas une idée, quelqu’un d’autre l’aura à ta place…

Ta vie aujourd’hui, ce n’est plus que Mind Gamers ?
S.T. : Non, j’ai aussi pas mal de projets solos ! Je viens de finir de composer mon prochain album. Je fais les deux en parallèle. C’est ce rythme de vie que j’aime : quand j’ai envie d’être seul, je le suis ; quand je veux être accompagné, je le choisis aussi. Mind Gamers, c’est de l’amour, de la passion, mais j’ai besoin de continuer à faire des choses tout seul.

Tout en réservant la possibilité d’enregistrer des choses plus free avec les Mind Gamers ?
D.S. : Avec le groupe, on a le temps de faire ce que l’on veut. Tout est libre. Je pense que taper le bœuf dans la même chambre nous a fait accéder à une nouvelle liberté psychologique.
S.T. : Ça crée une boule d’énergie que je n’ai pas envie de contrôler – on ne peut pas lutter contre ses envies. C’est vraiment de la musique pour la musique. On essaie d’aller le plus loin possible.

Sébastien, il y a quelques années, tu disais que la musique devait être sexy, qu’il ne fallait pas être allemand, plutôt africain…
S.T. : Absolument, on va devoir aller en Afrique pour le second album !
D.S. : Cet album de Mind Gamers aura une aura californienne, aussi. On y sentira le soleil.

Ambiance « sea, sex and sun », donc.
S.T. : Oui, même si pour moi, le sexy, c’est un mélange entre cette attirance qu’on a pour quelque chose et une petite étincelle fofolle. C’est le surprenant qui est sexy. Je trouve que le bonheur, c’est sexy.

Les Mind Gamers, trio sexy sous le soleil ©François Valenza

Quoi d’autre ?
S.T. : Voir une très belle portion de nougat dans une vitrine, ça peut être sexy ! Dans les années 70, pour être sexy, il fallait se couper les veines… Mais moi je suis dépressif et j’ai besoin de m’en tirer, alors je préfère aller vers ce qui est beau, attirant. Sexy.

Tu as longtemps cherché ce côté sexy dans les synthés, les nouveaux sons. C’est toujours le cas ?
S.T. : J’avais fait un album sur Dieu, My God Is Blue, ce n’était pas sexy alors j’avais fait une musique chewing-gum, jetable, hyper chamallow, pour parler d’un sujet sérieux… L’Aventura, c’était pas censé être sexy, c’était sur l’enfance… Mais là je suis de retour dans le sexy ! J’aime bien le vice, la perversité. J’aime tout ça donc c’est sûr que le sexy et le sexuel, ça reste des obsessions.

Tu parlais du Ritz, l’occasion de vérifier une légende : est-il vrai qu’à la fin des années 90, alors que tu n’avais encore rien sorti, tu vivais dans une chambre de bonne place Vendôme ?
S.T. : Ah non, pas du tout ! Je vivais bien dans un tout petit appartement, ça c’est vrai, mais près du parc Monceau. C’était un appart sans fenêtres, une sorte de petit cube. Les gens adoraient venir chez moi, je ne sais pas pourquoi, alors que c’était moins poétique que la place Vendôme.

On retrouve ce petit cube dans le côté claustro de ton tout premier album sorti en 2001, L’Incroyable Vérité ?
S.T. : Oui. Encore heureux, depuis, je m’en suis tiré !

Power of Power (Record Makers)

ENTRETIEN LAURENCE RÉMILA & LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD
PHOTO À LA UNE © François Valenza