Et si on vivait une inondation sans se mouiller ? Cette idée a été rendue possible par la compagnie La Folie Kilomètre qui transforme depuis 2012 le risque de crue en aventure collective. Ou plutôt, comment promouvoir une culture du risque partagée, en invitant spectateurs et acteurs dans des expériences immersives communes de crue.
Un spectacle aussi mouvant que l’eau
Tout commence en 2011. La Folie Kilomètre, collectif d’artistes marseillais, reçoit une commande du POLAU (Pôle des arts urbains) à Tours : parler autrement du risque d’inondation qui concerne de près la ville.
Le collectif élabore « Jour Inondable », un spectacle où le public traverse la ville comme si l’eau montait pour de vrai. Sirènes, messages en bouteille ou encore cantine improvisée au point le plus bas de Tours : les 110 participants sont embarqués dans une aventure immersive complète. Ils vont même jusqu’à passer la nuit dans une salle transformée en centre d’accueil d’urgence pour pousser l’expérience jusqu’au bout.
Ainsi les participants comprennent le risque en le vivant, sans le subir. Ici, le théâtre devient un terrain d’expérimentation, à la frontière du réel et de la fiction.
Une nuit sous les eaux
En 2018, le spectacle est réactivé avec « (UNE NUIT) », joué dans quatre villes du bassin rhodanien. Cette fois, 150 spectateurs traversent une évacuation fictive, au rythme d’une montée des eaux symbolique. Secouristes, ingénieurs, journalistes et artistes se mêlent aux comédiens : chacun apporte son expertise, son ressenti, sa mémoire du fleuve. Et au petit matin, alors que l’eau est supposément redescendue, les spectateurs sont invités à observer et expérimenter le « musée des objets sauvés », rempli de souvenirs que chacun aurait voulu préserver.
Ici, le spectacle est encore une fois mobilisé comme un outil de résilience. L’expérience interroge la façon dont on habite un territoire menacé, et ce que chacun serait amené à garder quand tout vient à disparaître.
“Qui l’eut crue ?” : l’eau revient
En 2024, le collectif remet les pieds dans l’eau avec « Qui l’eut crue ? », joué entre octobre 2024 et mai 2025 à Rochetaillée-sur-Saône, Tournus, Saint-Jean-de-Losne et Pont-de-Vaux. Mais pour cette édition, l’essentiel se joue avant même le spectacle. Pendant plusieurs semaines, les artistes s’immergent dans le territoire : ils rencontrent les habitants et collectent les récits et les archives des crues précédentes. Ce travail de terrain en amont devient la matière première de la représentation.
À partir de ces témoignages, le collectif recompose un récit du lieu, nourri par la mémoire collective : les voix de ceux qui ont vécu les crues, les objets qu’on a sauvés, les gestes qu’on a oubliés…. Le jour de la représentation, le public découvre un parcours à la fois documentaire et poétique. Accompagné par des comédiens, il traverse ces lieux chargés d’histoire. Collages, photographies, sons d’archives, installations plastiques : tout rappelle les traces laissées par les eaux. Ici, l’inondation n’est plus seulement un risque à venir, mais un souvenir qui ressurgit, un récit partagé que chacun reconnaît.
Vivre pour comprendre
Ces expériences dépassent le simple cadre artistique. Elles s’appuient sur la participation des habitants et modifient leur manière de vivre le risque. Le public n’est plus spectateur mais acteur : il apprend, transmet, se souvient. Le kit distribué à la fin, un journal de bord de bonnes pratiques, prolonge l’expérience et ancre les apprentissages sur le long terme.
Chaque représentation s’appuie sur une structure-relais locale : mairie, théâtre ou encore association…l’art devient ainsi un outil de dialogue entre institutions, citoyens et nature. En retour, le collectif transmet sa matière collectée : récits, archives, témoignages.
Apprendre à vivre avec le risque
Ces spectacles ne cherchent pas à effacer la peur, mais à faire avec. En reconnaissant notre vulnérabilité, ils ouvrent un espace de discussion sensible sur la place de l’humain dans un monde incertain. Ni moralisateurs ni anxiogènes, ils proposent un autre récit : celui d’une société capable de reconnaitre les risques et de vivre avec et plus en dépit de.
Une initiative repérée par la Cartographie des Récits, une sélection d’expériences artistiques et culturelles conçues pour inspirer les collectivités territoriales. En donnant à voir comment la création peut nourrir la transition écologique, cette cartographie invite élus, agents et artistes à imaginer ensemble de nouvelles manières d’habiter, de se relier et d’agir sur leurs territoires.
Photo : ©La Folie Kilomètre




