MAGALI FAGET : « L’ART DE LA PUNCHLINE » 

Magali Faget technikart

Fondée et dirigée depuis 2016 par Magali Faget, la première agence de communication à s’être spécialisée dans les grandes causes, Mlle Pitch, se fait remarquer par ses campagnes sobres mais tapageuses. Interview mots qui claquent.

Depuis 2020, l’agence Mlle Pitch organise le concours Mlle Pitch Awards & Co, qui récompense les créations d’étudiants, de freelances et de jeunes en boîte de comm’. Peux-tu nous présenter les créations des lauréats de l’édition 2024, qui ont travaillé sur la future campagne publicitaire de l’AIDES, l’association de lutte contre le SIDA ?
Magali Faget : On a observé deux choses. Le SIDA ne parle pas aux jeunes, et c’est « vintage ». C’était donc intéressant d’immerger des créatifs dans un combat qui n’est pas de leur génération. Le Grand Prix Affichage a un message pertinent et accrocheur : nous n’avons pas connu la Chute du mur, ou la Coupe du monde 1998, mais nous connaîtrons la fin du SIDA. La campagne digitale reprend quant à elle le logo d’AIDES pour faire reconnaître ceux des réseaux sociaux. Le Grand Prix du Jury, qui a également reçu la Mention Spéciale Création, récompense deux freelances qui ont réalisé un film tout en IA. Ce sont des campagnes, qui s’adressent aux jeunes sans se fermer au reste de la population, qu’on récompense.

Notamment issus de ce concours, les campagnes post-it « Pauvre » pour le Secours populaire, ou la citation de Sartre (« L’enfer, c’est les autres ») barrée pour mettre en avant la Fondation l’Abbé Pierre («L’enfer, c’est soi même coupé des autres »). Qu’ont-elles en commun ?
La disruptivité !

A-t-elle des codes ?
Il faut être ancré dans la société, à tous les niveaux. Les ONG, parce que nous sommes sursollicités, sont attendues comme des grandes marques. Il faut donc une idée, qui génère soit une émotion forte, soit un potentiel comique important. Enfin, nous travaillons avec elles sur des codes qu’elles ne maîtrisent pas forcément – le digital et les réseaux sociaux en particulier.

Comment fait-on valoir la disruptivité auprès des ONG ?
J’ai voulu créer un concours de tremplin créatif pour les jeunes talents et les freelances, mais aussi pour aider les ONG à sortir de leur zone de confort créative habituelle. À l’agence, nous proposons toujours trois briefs – un « sage », deux « disruptifs ». Or, les ONG choisissent majoritairement, bien qu’elles te disent vouloir être disruptives, le pitch sage. J’exige donc à l’ONG, par écrit, qu’elle accepte de sortir de sa zone de confort, parce que sa publicité sera vue par des jeunes.

« LES ONG SONT ATTENDUES COMME DES GRANDES MARQUES… »

 

Avez-vous des partenariats pour afficher les campagnes de pub des gagnants de votre concours ?
Oui. L’ONG mise à l’honneur gagne un plan média complet. Le spot radio est diffusé sur les antennes de Radio France ; le film est soutenu par Mediavision, France TV publicités, ainsi qu’ Euronews ; le Grand Prix Affichage est destiné à l’ensemble du réseau métro et gare de France, grâce à notre partenaire Mediatransports ; enfin, la campagne digitale est défendue par la SRI, le syndicat des régies internet.

Pourquoi la plupart des pubs aujourd’hui sont-elles insignifiantes ?
L’affichage, c’est l’art de l’accroche, de la punchline et de l’expression la plus synthétique possible. Mais cela rassure le client d’ajouter une baseline de cinq lignes, que personne ne lira. Le marketing et la comm’ sont généralement assez ouverts, mais c’est souvent au-dessus que cela coince, au niveau des conseils d’administration qui souhaitent plaire à tout le monde.

Toutes les autres agences vous rendent finalement service puisque les freelances viennent trouver dans le concours un espace de liberté.
C’est du travail ! Pour les campagnes « L’âge con », pour la Croix-Rouge, ou « Pauvre », du Secours populaire, je me suis battue pour qu’elles existent. La campagne de la fondation l’Abbé Pierre avec les citations n’avait pas été récompensée par le jury : je me suis battue pour qu’elle remonte. Or c’est une des campagnes les plus puissantes aujourd’hui. La campagne Pélican pour WWF, où l’animal a une bouteille en plastique coincée dans le gosier a tellement marché qu’elle est entrée, avec celles citées précédemment, aux Arts Décoratifs de Paris, mais aussi dans des longs-métrages, comme Les Olympiades de Jacques Audiard, Les Traducteurs de Régis Roisnard, Un si beau soleil de Claire Denis… Aujourd’hui, le cinéma plus que tout autre média soulève les grands sujets de notre époque. Y faire entrer nos campagnes est une fierté.

À part au cinéma, quelles images, ou campagnes récentes ont-elles été inspirantes pour Mlle Pitch ?
Les activations militantes créatives sont importantes, comme Act Up. Pour le climat, beaucoup de choses sont faites. Greta Thunberg a fait toute une série digitale de fausses vidéos vieillissants, avec l’IA et nos dirigeants politiques et expliquants pourquoi ils n’avaient rien fait pour le climat lorsqu’ils étaient au pouvoir – j’ai trouvé cela intelligent et pertinent.

Une association comme « Dernière Rénovation » (aujourd’hui « Riposte Alimentaire ») joue la carte d’actions détonnantes. Une bonne campagne doit-elle être choquante ?
En se spécialisant dans les ONG, nous sommes obligés d’être hyper créatifs. Une bonne campagne doit sortir des codes. Greenpeace, à une époque, par ses actions militantes, s’est fermé beaucoup de portes, en recouvrant, par exemple, tous les écrans digitaux de Médiatransports. Ils se sont ainsi bouché un moyen de communication massif pour toucher les plus jeunes. Il faut donc être disruptif, parfois choc, mais l’enjeu est surtout de sortir des codes pour exister au sein de l’espace médiatique et créatif.

Si tu n’avais pas fondé Mlle Pitch, que ferais-tu ?
Des longs-métrages !

Avant Mlle Pitch, que faisais-tu ?
Je n’ai pas pris l’autoroute de la publicité. J’ai commencé ma carrière comme auteure de pièces de théâtre et co-scénariste sur des longs-métrages. J’ai fondé une première agence de RP, Précision, que j’ai revendu après 18 ans. À 45 ans, je suis repartie à zéro. J’ai décidé de me spécialiser sur la comm’ engagée. Quand on travaille pour des grandes causes, ce ne sont pas les budgets les plus rémunérateurs. En revanche, ce sont les sujets sur lesquels tout est possible en termes de créativité. Tu peux rêver d’avoir Wim Wenders pour réaliser ou shooter ta campagne, parce que pour une grande cause, il le fera pour un budget dérisoire, alors que sinon il faut être une marque riche et de luxe. Je voulais donner du sens à mon métier, et être libre.

www.mlle-pitch.com


Par Alexis Lacourte