Frustration : « Nous ne sommes pas là pour donner des consignes de vote ! »

Les jeunots de la revue Frustration ne sont pas de fervents macroniens, loin de là. Dans le dernier numéro (#9) ils le considèrent même comme un “produit publicitaire”. Rencontre avec trois membres du collectif éditorial : Nicolas, Benjamin et Thibaut.

Vous avez écrit le numéro pilote de Frustration en 2013. Qu’est ce qui vous a poussé à lancer cette revue ?
On partageait tous les quatre un sentiment de révolte face à la société telle qu’elle est, face aux inégalités sociales. Chacun de nous observait des situations de souffrance sociale dans son entourage et on voulait mettre en lumière ces expériences refoulées et passées sous silence qui sont assez peu relayées par les médias. Et puis nous étions pas mal agacés par le discours dominant qu’on entend à la télé et on voulait le contrer.

Avez-vous une revendication générationnelle ?
Non. Bien sûr que la revue part de notre point de vue de jeunes, résidant à Paris mais on ne parle pas spécifiquement de la génération Y. Nous parlons de choses qui nous interpellent et nous interrogent comme les coursiers à vélo qui viennent livrer des repas : qui sont-ils ? Pourquoi ils sont là ? Et puis nous avons un lectorat d’âge divers, beaucoup de retraités lisent Frustration. D’ailleurs, lors d’une rencontre dans une librairie collaborative à Clermont-Ferrand, une dame était surprise de nous voir aussi « jeunes ».

Vous faites comme The Economist : aucun de vos articles n’est signé. Pourquoi ?
Ils ne sont pas signés d’un auteur en particulier mais de la revue : c’est Frustration qui parle ! Nous avons engagé une longue réflexion sur la manière d’écrire pour dégager une ligne éditoriale et qu’il y ait une cohérence dans le magazine. Il existe des formes d’écriture assez excluantes dont nous voulions sortir pour que la revue soit accessible au plus grand nombre. Même les blagues on les questionne… Si une blague n’est pas comprise par l’un de nous quatre on la supprime ! (Rires).

Et il n’y a aucune publicité dans votre revue ?
Effectivement. Quand on a fait notre plan budgétaire – parce qu’on y était bien obligés – on n’a même pas mis la pub dans nos hypothèses. On croise les doigts pour pouvoir continuer de payer l’impression sans y avoir recours…

Vous écrivez à plusieurs. Cela doit nécessiter une certaine organisation ?
Quand on reçoit un projet, on fixe d’abord un plan avec le contributeur en définissant et en argumentant l’objectif de l’article (qu’est ce que je veux dire, comment, pourquoi). Ensuite nous – c’est à dire le collectif éditorial – en discutons. On refait des propositions au rédacteur qui se lance dans une première ébauche puis on passe sur le drive pour coécrire l’article. Et bien sûr on applique aussi cette méthode pour nos propres propositions, ce n’est pas parce qu’on est dans le comité de rédaction qu’on est épargnés. (Rires). Et comme nous voulons valoriser les personnes avec qui on écrit, on peut mettre un petit mot dans le sommaire en les présentant. Mais il y a plusieurs collaborateurs qui ne sont pas cités car ils préfèrent rester cachés.

Vous dites que votre « approche est non-dogmatique ». Mais un magazine politique sans une certaine orientation, est-ce vraiment possible ?
Dès le début, notre objectif était de parvenir à parler au plus grand nombre donc on ne voulait pas faire quelque chose d’identitaire. La revue n’est pas ancrée dans une  tradition politique. Certains ont eu des expériences dans des syndicats, d’autres pas du tout et nous n’avons pas de figure tutélaire. Ce qu’on veut c’est proposer de la critique et de l’analyse sans être forcément rattaché à des activités militantes. Bon, après, dans notre analyse politique on a plutôt tendance à montrer que des candidats de l’oligarchie se succèdent en faisant croire qu’ils vont se renouveler. Nous voulons dénoncer ces fausses alternances ! Et puis il y a des endroits où on a pu nous trouver comme les manifs contre la Loi travail ou la Marche pour la VIème République où on a tenu un stand pour vendre Frustration

Et si demain je veux vous soumettre une idée pour un article, comment je fais ?
Tu nous envoies un petit mail en nous expliquant ce sur quoi tu as envie d’écrire. On va en discuter et pourquoi pas se rencontrer pour lancer la collaboration. Le but de la revue c’est aussi d’encourager le maximum de personnes à écrire. En les encadrant et en les aidant si besoin, nous essayons de créer un certain climat pour qu’elles se sentent légitimes de soumettre des analyses. Nous voulons mettre en place une forme d’espace d’accueil pour les paroles refoulées. Mais ne t’inquiète pas, on fait beaucoup de suggestions mais on ne corrige jamais les gens. On n’est pas comme le rédacteur en chef bourru de Clark Kent qui demande de tout refaire !

Frustration est un magazine politique. Est-ce que vous donnez une consigne de vote pour le second tour ?
Nous ne sommes pas là pour donner des consignes de vote. Nous n’encouragerons pas à voter pour Macron et nous n’accuserons personne en disant que s’abstenir c’est voter pour le FN.

LÉONTINE BOB

Frustration #9, trimestriel actuellement en kiosque