Et si Guillaume Canet était vraiment rock’n’roll ?

De quoi le nouveau Canet est-il le nom ? D’un cinéma autofictionnel ? Post-lofstoryesque ? Et sous influence seinfeldienne ? Tout ça à la fois, à en croire notre chroniqueur, alors que le film est toujours en salles.

Aujourd’hui sort Rock’n Roll, le nouveau film de Guillaume Canet, dans lequel Marion Cotillard et lui jouent leur propre rôle. En voici le résumé : « Guillaume Canet, 43 ans, est épanoui dans sa vie, il a tout pour être heureux. Sur un tournage, une jolie comédienne de 20 ans va le stopper net dans son élan, en lui apprenant qu’il n’est pas très “rock”, qu’il ne l’a d’ailleurs jamais vraiment été, et pour l’achever, qu’il a beaucoup chuté dans la “liste” des acteurs qu’on aimerait bien se taper… Sa vie de famille avec Marion, son fils, sa maison de campagne, ses chevaux, lui donnent une image ringarde et plus vraiment sexy… Guillaume a compris qu’il y a urgence à tout changer. Et il va aller loin, très loin, sous le regard médusé et impuissant de son entourage. » Guillaume Canet, vous l’avez compris, applique au cinéma une recette qui a fait le succès de plusieurs séries télé où de célèbres humoristes font semblant de nous dévoiler leur vie privée. Les Beaux Malaises, diffusée sur M6 fin 2016, est censée raconter la vie de Franck Dubosc. Elle est inspirée de la série canadienne du même nom qui raconte la vie de Martin Matte, elle-même inspirée de Louis, la série qui raconte la vie de Louis C.K., qui est inspirée de Curb Your Enthusiasm, la série racontant la vie du scénariste et producteur de Seinfeld, Larry David. Seinfeld, à partir de 1989, faisait semblant de raconter la vie de l’humoriste Jerry Seinfeld…

Guillaume Canet n’est pas le premier à faire le même coup sur grand écran. De La Vie de Michel Muller est plus belle que la vôtreC’est la fin, en passant par Le Bal des actrices, quantité de comédies sont sorties en salles ces dernières années où les acteurs tenaient leur propre rôle. En France, c’est Michel Blanc qui a importé l’idée de Seinfeld au cinéma, dans Grosse Fatigue en 1994. Aux États-Unis, c’est Arnold Schwarzenegger dans Last Action Hero en 1993. Avant eux, il n’y avait eu que Claude Berri pour raconter sa vie dans des films comme Mazel Tov ou le Mariage en 1969 ou Le Cinéma de papa en 1971 et y jouer son propre rôle, sous son vrai nom en plus, Claude Langmann, mais lui ne faisait pas semblant pour nous faire rire, c’étaient des films vraiment autobiographiques, réalisés dans l’esprit des livres de souvenirs de Marcel Pagnol. Ils firent peu d’entrées, du reste. Les temps n’étaient pas encore mûrs.

« INSPIRÉ DE FAITS RÉELS »

Longtemps, la fiction a été reine, l’imagination était au pouvoir. De Gustave Flaubert à François Truffaut, les auteurs se cachaient derrière leurs personnages et quand, d’aventure, ils racontaient leurs expériences personnelles, ils faisaient leur possible pour nous convaincre qu’ils avaient tout inventé. À l’époque, les films étaient précédés de l’avertissement suivant : « Toute ressemblance avec des personnes ou des événements existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. » Aujourd’hui, c’est le contraire. Le réel est devenu une valeur en soi. Pour intéresser le public, il faut le persuader qu’on lui raconte des choses qu’on a vécues personnellement. Vive le témoignage ! Devoir de mémoire pour tout le monde ! Alors, même quand on invente, on fait semblant que c’est vrai. On est passé de l’autobiographie honteuse à l’autofiction imaginaire, que ce soit pour rire de sa propre vie comme Guillaume Canet, ou pour la dramatiser, comme Édouard Louis dans En finir avec Eddie Bellegueule ou Delphine de Vigan dans D’après une histoire vraie. N’importe quel film désormais se targue d’être « inspiré de faits réels ». Dans la chanson, c’est pareil. Les chanteurs d’autrefois nous racontaient notre vie ; à présent, ils nous racontent la leur…

Rock’n Roll, de Guillaume Canet en salles aujourd’hui
Social Club du lundi au jeudi à 21h sur Europe 1

FRÉDÉRIC TADDEÏ

Chronique parue dans Technikart #209, février 2017