Doit-on cesser de basher Benjamin Biolay ?

Cela fait des lustres que Benjamin Biolay est notre punching-ball référent, et qu’il nous le rend bien sur les réseaux sociaux. Tentative de décryptage de cet amour-haine qui lie parfois un artiste et un critique. 

Quand serai-je condamné pour coups et blessures ? La vérité m’oblige à dire qu’avec Benjamin Biolay, je me retiens rarement. N’en déplaise aux droits de l’enfant, nous sommes encore quelques-uns à croire aux bienfaits de la fessée déculottée. Biolay est un benjamin, et qui aime bien châtie bien. Souci ? Mon éducation à l’ancienne, intransigeante et austère, a fini par le faire pleurer. Il montre désormais ses bleus sur la place publique. Il y a deux ans, il s’était plaint de mes moqueries mensuelles via son compte Instagram. Rebelote le mois dernier, après un nouveau persiflage de bon aloi de ma part – je le comparais à Najat Vallaud-Belkacem. Réponse du berger à la bergère par un post Insta : « Ça feuilletonne sec chez Technikart. Comme chaque mois le sieur Louis-Henri de La Rochefoucauld me tacle les deux pieds décollés du sol. Vous pouvez continuer, ça commence même à me faire plaisir d’être si important à vos yeux, mais vos lecteurs (s’il en reste) risquent de se lasser #sangbleunesauraitmentir 🙂 » Récidive dans la foulée avec un second post : « À mon avis, Loulou 29ème du nom est secrètement amoureux de moi, mais je ne suis qu’un triste roturier sans bien ni particule… Ça le bouffe et il ne sait plus où donner de la plume (alors que je vois très bien ce qu’il pourrait faire de ladite plume !). Nous en voyons depuis des mois le co- casse résultat. Continuez ! »

Un punching-ball, c’est comme une vocation ou la femme de sa vie : ça ne se choisit pas vraiment, ça vous tombe dessus. C’est plus fort que vous. Quand et comment ai-je fait de Biolay ma tête de Turc préférée ? Mon défouloir de chevet ? Comme pour toute relation amoureuse, les choses ne sont pas si simples… Au lycée, j’avais de la sympathie pour Biolay – plus affûté que maintenant, il ressemblait à l’un de mes cousins. En 2003, incroyable mais vrai, j’avais acheté son album Négatif à la Fnac des Ternes. Encore aujourd’hui, j’écoute avec plaisir sa chanson « Little Darlin’ ». Nous étions partis pour vivre une belle histoire. Il n’était pas encore écrit qu’elle sombrerait dans l’amour vache. Il y a quinze ans, mes sentiments naissaient à peine que Benjamin, habile et fourbe, me trompait déjà, commençant son parcours de Bel-Ami contemporain – mariage avec la fille de Deneuve, collaborations piochées dans le showbiz, soutien au Parti socialiste, crédibilité en hausse dans le culturellement correct. Biolay aime rappeler ses origines modestes, il avait besoin de gagner sa croûte et je ne le lui reproche pas – il est juste dommage que sa réussite sociale ait fait capoter une carrière artistique qui aurait pu emprunter un tout autre chemin. De mon côté, je me suis mis à écrire sur la musique. Me suis foutu de Biolay une fois, puis deux, etc. Un peu comme dans les livres Où est Charlie ?, c’est devenu un gag, lui glisser un soufflet discret dans chaque numéro de Technikart. Que voulez-vous, la presse a ses marronniers – même si un marronnier qu’on secoue autant tiendrait plutôt du cocotier.

DOUBLE DE BENCHETRIT

Une fois qu’on a trouvé sa victime, on ne la lâche pas. On la soigne. De la tendresse à la baffe, il n’y a qu’un pas. Quand, dans Un Nouveau Théologien, Charles Péguy dégomme sur plus de deux cents pages l’obscur Fernand Laudet, n’est-ce pas une forme d’amour ? Les plaisirs de la chair (à canon). Oui, Biolay me sert de cible pour travailler mon tir, mais c’est ainsi que je le choie. J’aurais d’ailleurs bien écouté son nouvel album, Volver, si son label Barclay, frileux, n’avait pas refusé de me l’envoyer, de peur que je sois trop taquin.

N’a-t- on plus le droit de rigoler entre nous ? C’est tarte, d’autant que Biolay ne manque pas d’humour. Il est aussi lucide : le prouve sa gêne quand les éloges lui pleuvent dessus chez Lapix, Ruquier ou Delahousse. Je ne le range pas dans la même catégorie que Renan Luce ou Raphaël, il a des facilités, en fait trop peu, sait lui-même qu’il pourrait sortir autre chose de son trombone à coulisse (car oui : il est fortiche en trombone). Pourquoi s’est-il contenté, avec les années, de devenir un double de Benchetrit ? Pourquoi ne pas viser plus haut ? Si je devais être sincère deux secondes, ce serait le fond de mes blâmes. Faute de disques plus ambitieux, je lui tape sur les doigts. Si ses fausses notes devaient durer, lui resterai-je fidèle ? Aurai-je des aventures ? Irai-je voir ailleurs ? Étant un homme aux passions fixes, il est probable que je continue longtemps de le coiffer d’un bonnet d’âne. Ce cher Biolay, à la fois cancre et vieille maîtresse.

Volver (Barclay)
LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD
DESSIN À LA UNE : ERWANN TERRIER

Technikart #212 mai 2017