DE MURANO À MARSEILLE : LORSQUE LES MAITRES VERRIERS S’INVITENT CHEZ LE CORBUSIER

De Murano à Marseille : lorsque les maitres verriers s’invitent chez Le Corbusier.

Depuis le 28 août jusqu’au 30 septembre, la Cité Radieuse conçue par Le Corbusier à Marseille accueille pour la première fois en France l’exposition Man in the Glass de Marcin Gierat : une rencontre évidente et unique entre photographie, architecture et artisanat verrier. L’artiste invite dans « la machine à habiter » de nouveaux résidents : les maîtres verriers de Murano, immortalisés en portraits gravés directement sur le verre qu’ils ont façonné. Ces artisans issus de maisons verrières italiennes réputées comme Barovier & Toso, Nason Moretti et Schiavon Art Team, ont façonnées des plaques de verre uniques. A l’image des portraits qu’elles mettent à l’honneur, chaque œuvre raconte une histoire humaine et poétique, à travers ses couleurs et ses textures, reflet du savoir-faire de ces artisans.

Présentée pour la première fois à Venise, l’exposition traverse la Méditerranée pour trouver sa place au cœur de la montagne de béton et d’acier brut de la “Maison du fada”. Elle met en lumière la richesse et la tradition du verre de Murano, créant un contraste saisissant avec la monumentalité poétique de la Cité Radieuse. Soutenue par l’organisation vénitienne Zuecca Projects et le réseau Rupture, l’exposition propose un mariage inattendu entre la matière brute et la délicatesse artisanale, entre mémoire et modernité. Récompensé d’une mention spéciale au Bonhams Prize lors de la Venice Glass Week 2020, le projet poursuit son rayonnement grâce au soutien de ces deux partenaires, qui favorisent le dialogue entre les espaces culturels de Venise et de Marseille, et permettent à la photographie de Gierat de dépasser des frontières.

Autour de cette exposition, Marcin Gierat propose une véritable rencontre entre l’humain et la matière. En utilisant le procédé du collodion humide, il imprime sur chaque plaque de verre un portrait empreint de temps et d’émotion. Les irrégularités et imperfections poétiques de la matière résonnent avec l’humanité des sujets et l’atmosphère singulière du lieu. Ces photographies sont une ode à l’artisanat, le verre devient un témoin du temps, célébrant à la fois l’instabilité et l’imperfection. Ce jeu entre matière et humanité fait écho à la sensibilité qui émane des portraits autant qu’à celle du lieu qui les accueille. En effet, Le Corbusier imaginait également cette rencontre dans un lieu où les matériaux sont au service de l’habitant. La Cité Radieuse offre ainsi un écrin idéal à Man in the Glass, où le verre est mis à l’honneur non seulement comme matériau, mais aussi comme porteur de mémoire et de savoir-faire. Chaque plaque raconte l’histoire d’une main qui façonne, élevant l’artisanat au rang le plus noble.

Architecture et photographie semble ici se répondre. À l’instar des Marseillais qui, à travers leurs fenêtres, portent un regard curieux sur le monde qui les entoure, les portraits de Gierat observent le spectateur avec une intensité silencieuse. Les yeux des maîtres verriers, capturés sur le verre, semblent suivre le visiteur, instaurant une intimité presque pudique entre eux. Chaque visage sur le verre devient semblable à une fenêtre curieuse, tandis que le bâtiment, dans son immensité, semble répondre à ces regards par un dialogue subtil entre deux formes d’art radicalement différentes. Ainsi, tout comme les habitants vivent et habitent leur espace, les portraits habitent la matière, le verre devient le miroir d’une présence humaine intemporelle en résonnance avec l’œuvre de Le Corbusier.

Les plaques de verre, aux textures irrégulières, reflètent la lumière différemment selon l’angle du regard ; au fil des heures et des rayons du soleil, les portraits semblent respirer sous les caresses changeantes de la clarté, se métamorphosant sans cesse. Les reflets cristallins et les teintes profondes du verre créent un contraste vibrant avec la rudesse du béton et de l’acier environnants. Fragile, le verre ne se laisse pas dominer par cette robustesse ; il dialogue avec elle dans un équilibre lumineux, révélant toute la force et la poésie de l’artisanat. Les surfaces légèrement bombées ou striées confèrent aux plaques une dimension sculpturale, ou chaque irrégularité vient accentuer une l’humanité des visages.

L’expérience s’achève par un court-métrage, réalisé par Illumina Film, qui plonge le spectateur au cœur des ateliers vénitiens des maitres verriers de Murano. Entre le souffle des artisans, le ballet des flammes et la danse des outils, le verre incandescent prend forme sous nos yeux. La chaleur, le rythme et l’intensité du geste se transmettent à l’écran, rappelant combien chaque plaque de Man in the Glass est avant tout une ode vivante à l’artisanat.

Man in the Glass apparait comme une rencontre entre deux visions humanistes : celle de Le Corbusier, qui voyait dans la matière un moyen de servir l’humain, et celle de Marcin Gierat, qui transforme le verre en miroir de l’histoire et de l’émotion. À travers les plaques façonnées par les maîtres verriers de Murano, le spectateur contemple à la fois la finesse du geste artisanal, la beauté fragile des portraits et le dialogue unique entre matière et architecture. Si Marcin Gierat célèbre la matière, il cherche surtout à lui redonner un visage, rappeler d’où elle vient et qui la façonne. Article écrit par Henri Bonifassi

 

Par Henri Bonifassi

Cité Radieuse Le Corbusier
280 Bd Michelet
13008 Marseille