THOMAS MOREL : « DESIGN EXPRESSIF ET CHALEUREUX »

THOMAS MOREL ford design

Le secteur de l’auto est en pleine mutation, les constructeurs faisant la course à l’électrification de leurs gammes. Mais quid du style des voitures ? Réponse avec Thomas Morel, exterior design manager pour Ford.

Depuis 2010, vous êtes responsable du design extérieur des voitures Ford. L’électrification du parc automobile a-t-il fait évoluer votre approche ?
Thomas Morel : L’approche change continuellement. Notre rôle, c’est d’être avec des antennes pour comprendre ce que les gens veulent. En ce moment, on est chamboulé par le passage à l’électrique, et les réflexions autour des voitures autonomes. L’arrivée sur le marché des constructeurs asiatiques met également une nouvelle pression. À propos de l’électrique, je ne sais pas si les gens sont aussi amoureux de l’automobile qu’avant, du moins, il y a une attente différente.

Quelle transformation majeure en matière de design depuis 2010 ?
Le CX, coefficient de pénétration dans l’air, guide la conception automobile. En électrique, chaque kilowatt-heure économisé permet de réduire la taille et la masse du pack batteries. Disposer d’un Cx particulièrement performant devient donc essentiel pour maximiser l’autonomie et l’efficacité globale des véhicules électriques : l’aérodynamisme est plus que jamais une priorité.

Comment créer un modèle original avec cette obligation ?
L’architecture des voitures électriques permet de meilleures proportions, car les batteries, moins encombrantes qu’un moteur thermique, libèrent beaucoup d’espace. Mais beaucoup trouvent que les voitures électriques se ressemblent. Effectivement, on voit davantage de capots plongeants et fins. Pour ma part, j’essaie de me détacher de cette nouvelle esthétique qui se globalise, pour proposer un design expressif. C’est la marque de Ford.

Les modèles se différencient de plus en plus par leurs phares. Quelle transformation à ce propos ?
Effectivement, la signature lumineuse joue beaucoup. Certains font plein de trucs qui bougent dans tous les sens, comme s’il préparait un sapin de Noël. Ce n’est pas notre approche… Mais c’est un vecteur de liberté en matière de design. On a aussi vite fait de tomber dans des design robotiques, froids. On ne veut pas de ça.

Votre approche ?
Ford est une marque chaleureuse. On veut créer des voitures expressives et humaines. Si un jour, un véhicule autonome arrive sur notre marché, que restera-t-il du consommateur ? Là encore, il faudra susciter de l’émotion pour le toucher.

En avril dernier, au dernier salon de Shanghai, des batteries plus légères, plus performantes et moins coûteuses ont été présentées. Votre vision pour l’avenir du secteur ?
On a pris le virage. Les designers dessinent majoritairement des modèles électriques. Cela a modifié notre manière de faire. Au début, c’était difficile : la disparition de la calandre modifie le visage d’une voiture. C’est pourquoi, les phares sont devenus aussi importants pour créer des design expressifs.

IA, lunettes 3D… Quels sont vos nouveaux outils de créations ?
Demeurent des invariants : d’abord, le dessin à la main, sa modélisation en 3D, puis sa mise en glaise par un sculpteur. Ce processus est essentiel. Je vois lorsqu’une voiture est « trop digitale », qu’elle manque de réalisme pratique. Cependant, on utilise effectivement des lunettes 3D, pour visualiser et ajuster nos dessins en direct. Enfin, l’IA nous aide pour animer nos dessins, faire, à partir d’une image fixe, rouler un véhicule efficacement, et obtenir des perspectives précises. Du reste, en ce qui concerne tous les visuels bluffants générés par des IA grands publics, c’est inspirant, mais cela ne remplace pas un processus créatif structuré autour des valeurs de la marque.

 

Par Alexis Lacourte
Photo Raoul Fortier