VIRÉE DANS LE NORD : HAUT LES METS !

Fini le road-trip à base de jambon-fromage. Si vous faites un tour dans les Hauts-de-France, déclarée région européenne de la gastronomie en 2023, arrêtez-vous à la table des jeunes chefs du pays. Grand Seigneur est parti sur les routes du Nord pour rencontrer cette relève de la bonne bouffe, créative et 100 % locale. Voyage culinaire en cinq étapes.

Boeschepe
Boeschepe


FLORENT LADEYN

FLORENT LADEYN : « AUCUNE CONCESSION SUR LA FLAMICHE ! »

Le chef étoilé de l’auberge du Vert Mont à Boeschepe, nous a ouvert les portes de sa cuisine au feu de bois. Exploration gustative 100 % locale, et sociale.

 

L’auberge du Vert Mont fête ses 40 ans. Depuis quand avez-vous repris les commandes ?
Florent Ladeyn : L’auberge a été ouverte en 1982, et cela fait une dizaine d’années que j’ai la main sur l’établissement, même si je suis encore associé avec mon papa.

Comment votre père a vécu votre arrivée en cuisine ?
Ça a été une vraie révolution ! Il est content aujourd’hui, mais il n’a jamais été très enchanté que je m’engage dans cette branche-là. Je suis autodidacte, je n’ai pas fait d’école, ni de grandes maisons. C’est l’amour de cette auberge qui fait que je me suis passionné pour la cuisine et la restauration.

C’est votre spécialité, la qualité à bas prix ?
Je ne veux pas intellectualiser la chose et je ne veux pas d’une clientèle élitiste. Regardez autour de vous, on a une superbe mixité générationnelle et sociale. Dans mon équipe, c’est pareil. Nous avons des Danois qui viennent bosser, des Flamands de Belgique, des gens du Sud de la France…

Le local, c’est votre philosophie ?
Oui, ce que vous avez mangé là c’est du 100 % local. Le local se refroidit en France, je veux montrer qu’il est possible de travailler dans un terroir comme le nôtre et de ne travailler que des produits de chez nous en faisant vivre des petites entreprises. C’est aussi de là que je tire ma créativité. À laquelle s’ajoute l’amour que j’ai pour cette région. Car ce qui incarne le mieux la Flandre à mes yeux, ce sont les murs de cet estaminet. J’y entendais parler flamand au bar, j’y ai goûté la cuisine…

Vous êtes un restaurant étoilé. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
On a été très surpris de l’avoir, même si les clients nous assuraient qu’on la méritait. De mon côté, mon objectif est rempli : j’ai des restaurants complets et une équipe heureuse. Je suis fier de faire une cuisine locale et vivante, qui varie constamment.

Vous avez deux autres restaurants (le Bloempot et le Bierbuik-Bloemeke) en plein cœur de Lille. Ils suivent cette même philosophie ?
Un jour, je me suis dit que ce serait vraiment chouette de découvrir le côté Street Food. Mais on conserve le tout fait-maison : on brasse nos bières, on fait le pain pour les autres établissements, on fait les pâtes de nos flamiches – la pizza du Nord– et je ne ferai jamais aucune concession là-dessus.

Vous êtes cuisinier ou restaurateur ?
Cela dépend de l’heure ! Mais de plus en plus restaurateur, avec une vue plus globale du métier, un œil en cuisine et en service. Il faut prendre la mesure de l’expérience des clients, ce qu’un chef cuisinier fait un peu moins. Et même lorsque je cuisine à mon feu de bois, j’écoute par exemple la musique qui passe et je me demande si elle est bien pour les clients.

La cuisine des restes, ça vous intéresse ?
La vraie cuisine française est une cuisine faite avec les restes, les fonds, les bouillons, les consommés. Comme nos légumes sont cultivés en permaculture, on les épluche peu et je les cuisine beaucoup au feu de bois. J’ai très peu de pertes. On a de la chance d’avoir un compost qui sert à nourrir tous mes fruitiers, mais je me bats pour ne pas avoir de restes.

Avez-vous un plat signature ?
Ici, oui. Ce sont les frites aux Marolles, parce que c’est le plat le plus délicat à faire. Dans le Nord, tout le monde connaît le bon goût des vraies frites, et il n’y a rien de plus compliqué que de faire quelque chose que tout le monde connaît. Ces frites Marolles, à l’origine, c’était juste un envoi que je faisais, comme ça, un jour sur un menu. Ce jour-là, François-Régis Gaudry est venu manger chez moi, après ma première participation à Top Chef. Il a ensuite dit sur France Inter que c’était mon plat signature. Une semaine, après tout le monde réclamait mon « plat signature ». Et voilà comment c’est arrivé.

Comment avez-vous fait le décor de la salle ?
Je n’ai pas d’architecte, je l’ai choisi moi-même. C’est du chêne clair de nos forêts, J’ai voulu rendre à cet endroit son histoire. Quand mon grand-père est arrivé ici, c’était une grange et j’ai voulu garder ce côté grange-cathédrale très, très brut. Le bois pour la cuisson est cultivé à moins de 500 mètres et a été planté il y a 35 ans par un ami de mon père. Ici, l’histoire est enracinée et familiale.

www.vertmont.fr
1318 rue du Mont Noir, 59299 Boeschepe

 

EAUCOURT-SUR-SOMME
Eaucourt-Sur-Somme


SEBASTIEN PORQUET : « LA DICTATURE DE LA NATURE »

Étoile verte au Michelin, Le Saltimbanque, auberge du Moulin à Eaucourt-sur-Somme, propose une cuisine à l’image de la gouaille de son chef. Bon ap’ !

 

Vous prenez autant de plaisir à discuter avec vos producteurs qu’à être en cuisine. Quelle image avez-vous de votre métier ?
Sébastien Porquet : Les produits apparaissent comme une nature morte, alors qu’en réalité, ce sont les gens qui les ont fabriqués, élevés ou cueillis qui sont importants. Il faut remettre l’humain au cœur du produit.

Vous essayez de faire passer ce message à travers votre façon de cuisiner ?
La finalité, c’est aussi le client. La complication sera de faire passer un maximum de messages en peu de temps lors de la dégustation. Comme nous n’avons pas de carte, nous écoutons le client tout en restant discret. Par exemple, tout à l’heure, au moment où je servais, une dame parlait de la Savoie et tout de suite l’idée m’est venue de lui servir un vin de cette région. Attention, tout ne nous regarde pas, mais on essaye d’attraper des « bruits ».

C’est ça, la « cuisine de la spontanéité » ?
Oui, car rien est écrit à l’avance. Dans notre manière de travailler, on personnalise notre service pour chaque table avec des vins et des plats différents.

Pour les plats c’est plus délicat ?
Pour les plats, c’est tout de même écrit, il y a une trame en cuisine. Mais on fait avec ce qu’on a. C’est la dictature de la nature et de la production.

Qu’est-ce qui vous plaît ici ?
La liberté de faire, car dans l’ancien établissement je n’étais qu’en cuisine. Là, je gère tout. Je suis un peu le monsieur Barnum, vous savez celui qui a créé le cirque à l’américaine, une sorte de monsieur loyal, avec des hommes de confiance partout.

On est chez vous comme au spectacle ?
On prévient les gens d’une heure d’arrivée maximum. À 8 heures, tout le monde est installé et le restaurant est plongé dans le noir. Il n’y a pas de lumière artificielle à l’extérieur. Quand les gens regardent dehors, ils voient la nature comme elle doit être.

www.lesaltimbanque.fr
1500, rue du 8 mai Lieudit du Moulin, 80580 Eaucourt-sur-Somme

 

AUDRESSELLES
Audresselles


SOLÈNE ELLIOTT : « JE BAIGNE DANS LE “BIEN-MANGER” »

Du haut de ses 23 ans, la jeune cheffe nous invite dans son hôtel-restaurant de la Plage, à Audresselles. Découverte gastronomique, les pieds dans l’eau.

 

Vous êtes la nièce de William Elliott (chef étoilé de l’hôtel Westminster au Touquet). C’est en le voyant cuisiner que vous avez voulu faire ce métier ?
Solène Elliott : Toute la famille est dans le milieu de la restauration. Depuis petite, je baigne dans le « bien-manger ». J’ai appris à développer le goût des bonnes choses

Que cuisinez-vous ?
Les produits du quotidien, c’est-à-dire le haddock, le hareng, le fletan. Des produits assez simples auxquels on essaie d’ajouter une touche d’originalité. Et nos sauces sont faites de A à Z, on ne triche pas.

Vous avez bientôt 24 ans, et êtes déjà cheffe. Comment le vivez-vous ?
Personne ne m’appelle « cheffe » ici, c’est simplement « Solène » et ça a toujours été comme ça. Au début, c’était par un manque de confiance, car je n’avais que 21 ans quand je suis arrivée. Maintenant, je considère qu’on est une équipe, on se respecte tous parce qu’on est copains. Il n’y a aucune raison de créer des barrières.

Que vous inspire cette région ?
J’adore la Côte d’Opale, je suis née ici, j’ai grandi ici. On y trouve de tout. On n’a pas besoin d’aller chercher des inspirations ailleurs. Et puis, être au bord de la mer, ça enrichit à l’imagination. On a des odeurs d’iode, l’odeur des coquillages, ce sont des souvenirs qui remontent assez loin, à l’enfance,…

Vous avez un plat signature ?
Pas spécialement, parce qu’on est sur des cartes un peu à l’intuition. J’essaie d’abord d’acquérir de l’expérience, avec un peu de curiosité, un peu d’envie, en cherchant par moi-même.

www.hoteldelaplage-audresselles.com
21 rue Gustave Danquin, 62164 Audresselles

 

ARMENTIères
Armentières


Nicolas Gautier

NICOLAS GAUTIER : « JE M’ÉCLATE AVEC LES CHAMPIGNONS ! »

Le chef étoilé picard nous a invités à la table de son restaurant Nature, à Armentières. Dégustation à l’aveugle.

 

Vous avez ouvert le restaurant Nature en 2018. Moins d’un an plus tard, il recevait une étoile. Quelle est sa genèse ?
Nicolas Gautier : Lorsque nous avons ouvert ce restaurant, nous tenions à ce que les choses se fassent naturellement. Mes parents étaient restaurateurs et j’ai toujours vécu au-dessus de leurs établissements, cuisiner est donc tout aussi naturel pour moi.

Pour les menus aussi, c’est « nature » ?
Nous avons trois menus à l’aveugle, mais qui changent au gré des jours, des semaines et des mois. C’est une remise en question tous les matins. Mais j’aime que rien ne soit calculé.

Comme un bœuf en jazz ?
C’est exactement ça. Mais nous avons toujours une ligne directrice avec les produits de saison. Ma mémoire olfactive s’active avant d’aller me coucher, quand je m’allonge, c’est là que je suis le plus créatif. Quand je sais par exemple que j’ai un producteur qui m’envoie une trentaine de butternut. Et boum ! c’est prêt.

Vous avez déjà deux restaurants (Nature et RG à Armentières) et vous comptez en ouvrir un troisième. Toujours dans le même esprit ?
C’est toujours la même philosophie instinctive. Notre deuxième établissement, le bistrot RG, est un hommage à la cuisine de mon père, plus traditionnelle : on vient manger un bon magret de canard, un gratin dauphinois, une tête de gribiche…

Vous avez une recette signature ?
Mon père me disait toujours : « Nicolas, nous avons la chance d’avoir un métier où l’on ne cesse d’apprendre jusqu’à la fin de sa vie, il existe tellement de produits dans le monde, tellement de recettes possibles, que tu ne pourras pas en faire le tour avant de mourir. Comment pourrait-on avoir une recette signature ? ». Aujourd’hui, je m’éclate avec les champignons, demain ce sera de la courge, et ainsi de suite !

Qu’est-ce qui vous motive ?
La générosité… La cuisine n’est belle que si elle est partagée.

www.restaurant-nature.com
20 place Saint Vaast, 59280 Armentières

 

Saint-Maximin
Saint-Maximin

 

GUILLAUME GUIBERT

GUILLAUME GUIBERT : « OPÉRATIONNEL POUR LES JO ! »

Plus jeune chef récompensé de la sélection 2021, cet enfant du pays nous introduit dans son restaurant étoilé, le Verbois, à Saint-Maximin (Oise). À table !

 

Vous êtes entré dans le guide Michelin à l’âge de 25 ans. C’est l’étape de la reconnaissance ?
Guillaume Guibert : On peut dire ça. Et l’étoile attire un autre genre de clientèle, qui ne mange que dans des restaurants étoilés et font le trajet pour ça. Depuis que j’ai eu mon étoile, j’ai bien plus de clients qui viennent de loin. Avant, c’était une clientèle plus régionale. Aujourd’hui, ce sont beaucoup de Parisiens les week-ends et des gens qui viennent de la Loire.

Vous proposez des menus découverte. Vous les concoctez selon les saisons ?
Bien sûr, selon ce que me proposent mes agriculteurs, mon poissonnier, mon boucher, . Là je vais travailler l’endive avec sa racine. Cela va être une endive confite avec du jus d’orange et du caramel. Elle va être caramélisée avec une sauce périgueux à la truffe et un sabayon de Saké. La pâtisserie, c’est toujours moi et j’ai un projet d’ouvrir une boulangerie pâtisserie dans le coin.

Vous avez déjà votre propre potager ici, et votre prochain projet est de créer un hôtel.
Effectivement. Mais ce n’est pas un bâtiment, plutôt des petites maisons individuelles avec des balnéos, un jardin indépendant et une terrasse. Certaines auront des bains scandinaves à l’extérieur.

C’est pour fidéliser le client ?
C’est pour lui donner une expérience globale. J’ai aussi un projet de serre à agrumes qui sera la pièce maîtresse de mon potager, tout autour il y aura des modules de petits bacs avec des plantes, des herbes, des légumes. Les gens qui viennent au restaurant aiment dormir sur place, profiter du moment. Et ce sera opérationnel en 2024 pour les JO !

www.leverbois.fr
6, La Grande Folie, 60740 Saint-Maximin


Par Serge Adam