Si la jeunesse est née (de façon publicitaire), dans les 60’s, Marc’O en est une figure majeure. Désinvolte, révolté, tourmenté, disponible, toujours, pour s’émerveiller… Avec L’Art d’en sortir et Délire de fuite, Marc’O, décédé le 11 juin dernier, a créé une œuvre – courte, mais pleine d’outils – pour en être, ad vitam æternam.
Allia a fait paraître un entretien dense du cinéaste, écrivain et metteur en scène Marc’O, compagnon de route de l’avant-garde existentialiste, des surréalistes et des lettristes. Dans Délire de fuite, son roman de jeunesse, on suit le début de son aventure parisienne. Adepte du club de jazz le Tabou, il rappelle le Antoine Roquentin de Sartre, pour son caractère d’ambitieux déprimé, qui souffre de la faim et veut devenir artiste. Écrire l’ennui, l’attente, la paresse, le choc poétique d’un Prévert mal-aimé par le snobisme des hommes de Saint-Germain-des-Prés dont il est un membre à part (et tous semblent l’être), mais aussi le vide de la fête et de l’ivresse : des longues après-midi qui durent jusqu’au petit matin, errer dans Paris, de bistrot en bistrot, jusqu’à l’ouverture puis la fermeture des caves, de fêtes qui se terminent, avec une forme de désespoir global, sur les quais, puis sous un pont, en camarade des prostitués, des déshérités ou des intellos qui n’ont rien à faire entre les quatre murs d’une bibliothèque classieuse et préfère l’aventure aveuglante de la poésie. L’ami de Guy Debord se perd dans la fuite, dans le moment négatif de l’existentialisme : une forme de nihilisme, de pensée encombrée par elle-même : « La seule révolte possible aujourd’hui est la passivité », écrit-il dans Délire de fuite.
Mais Marc’O n’y a pas succombé. Il n’est pas resté le damné d’une époque, en marge du mouvement ; le mort d’un jour, par overdose, le tombé dans la Seine sous le coup du mauvais vin. Si Délire de fuite est le moment négatif, L’Art d’en sortir est son versant positif. Cet entretien mené par le fondateur des éditions Allia, Gérard Berréby, s’attache à mettre en lumière la fécondité des réflexions de Marc’O – il se frotte aux concepts d’image, de mouvement, du jeu d’acteur et d’écriture. Le livre traverse et donne une nouvelle dimension aux avant-gardes, figures oubliées (en particulier du mouvement lettriste porté par le roumain Isidore Isou) ou acclamées (Lévi-Strauss, Lacan, Jean Cocteau). Par de-là son apport pour l’histoire de la littérature, du cinéma et des idées, L’Art d’en sortir est, enfin, un objet d’édition à part entière – photos, dessins, coupures de presse : tout est là pour créer une dialectique temporelle jouissive.
Gérard Berréby et Marc’O, L’Art d’en sortir & Marc’O, Délire de fuite, Allia, 19 € et 12 €
Par Alexis Lacourte