PUFF : DANGER POUR LA JEUNESSE OU REMPART CONTRE LE TABAC ? 

JEAN MOIROUD technikart

Au cĹ“ur de l’actualitĂ© tout au long de l’annĂ©e 2022, la Puff, une vapoteuse jetable, a posĂ©e de nombreuses questions de santĂ© publique pour les associations anti-tabac, notamment vis Ă  vis des jeunes. Mais qu’en est-il rĂ©ellement du point de vu des professionnels ? Interview cash et sans concessions avec Jean Moiroud, le PrĂ©sident de la FIVAPE.

Depuis près d’un an, les français voient apparaĂ®tre dans les mains de leurs proches les Puffs, ces nouvelles vapoteuses jetables. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce produit ?
Ces vapoteuses jetables ont fait leur apparition dès les débuts de la vape en 2010. Elles ont rapidement été supplantées par des équipements rechargeables et remplissables, qui représentent aujourd’hui la majeure partie de la catégorie des produits du vapotage.
Leur retour sur le devant de la scène et l’effet de mode que nous connaissons actuellement en France a pour origine leur prolifération aux USA. Ces quatre dernières années, une guerre contre la vape a été déclarée outre atlantique et les “Puff” ont connu un essor sans précédent lorsque les e-liquides traditionnels en bouteille ont été interdits. Résultat, une offre pléthorique en provenance de Chine a inondé le marché américain, puis est venue chercher des débouchés jusque chez nous…

Comment rĂ©agit votre filière aux polĂ©miques qui font rage autour de la Puff ces dernières semaines ?
Je prĂ©side la Fivape, qui reprĂ©sente les professionnels du vapotage – fabricants de liquide et boutiques spĂ©cialisĂ©es – indĂ©pendants de l’industrie du tabac depuis maintenant 8 ans, et nous nous sommes toujours attachĂ©s Ă  aider les fumeurs qui le souhaitent Ă  quitter le tabac. Notre dĂ©marche repose sur des produits innovants et une expertise de pointe dont le fer de lance est la boutique spĂ©cialisĂ©e.
Très tĂ´t, notre fĂ©dĂ©ration avait anticipĂ© le potentiel polĂ©mique du produit, et nous avions Ă©tĂ© les premiers Ă  alerter la Direction GĂ©nĂ©rale de la SantĂ©, ainsi que la DGCCRF dès le mois de dĂ©cembre 2021. Nous avions notamment averti sur les risques engendrĂ©s par les nouveaux canaux de distributions illĂ©gaux que sont les rĂ©seaux sociaux – les Puffs Ă©taient vendues en direct sur Snapchat ou TikTok -, mais Ă©galement leur entrĂ©e fracassante au sein d’enseignes de grande distribution qui n’ont pas la culture du contrĂ´le de l’âge lors de la vente de ces produits.
Il nous paraît injuste aujourd’hui de voir, par extension, l’ensemble de notre filière et de nos catégories de produits attaqués, à rebours du travail que nous accomplissons quotidiennement depuis plus de 10 ans. Mon rôle ici n’est pas de défendre aveuglément toutes les pratiques de ce marché, mais d’essayer de montrer que la problématique est bien plus complexe, et le sujet bien plus sensible que ce qui est mis en avant.
J’ai d’ailleurs peu de sympathie pour les Puff. C’est un produit difficile à aimer et difficile à défendre. Il ne crée que très peu de valeur pour les professionnels français car il est totalement fabriqué en Chine. C’est un non sens écologique. Mais il présente également quelques avantages sur lesquels je reviendrais.

Plusieurs associations ont pointĂ© du doigt le marketing de ces produits, en leur reprochant d’être orientĂ© vers les jeunes – y compris les mineurs – de par les goĂ»ts ou encore les couleurs utilisĂ©es. Que leur rĂ©pondez-vous ?
Ces produits sont très variĂ©s et certains ont un marketing qui les rend particulièrement visibles. Ce n’est pas toujours très Ă©lĂ©gant et je suis d’ailleurs en dĂ©saccord avec l’approche de plusieurs professionnels de notre secteur. Mais condamner le marketing c’est se tromper de combat : la loi est claire, il revient aux autoritĂ©s de la faire appliquer correctement en contrĂ´lant les nouveaux venus sur le marchĂ© des Puffs, et en faisant fermer les comptes sur les rĂ©seaux sociaux qui vendent illĂ©galement ces produits.
Ce qui m’a bien plus indignĂ© dans la sĂ©quence actuelle sur les Puff, c’est le ton alarmant et la diabolisation Ă  laquelle nous avons assistĂ© ces dernières semaines. Tout a Ă©tĂ© dit avec excès pour faire le buzz, en parlant d’une « épidĂ©mie pĂ©diatrique » pour dĂ©signer un produit qui s’intègre depuis 10 ans dans la dĂ©marche de sortie du tabac de plusieurs millions de français.
En cherchant à tout prix à agiter avec maladresse l’opinion publique de la sorte, on continue à faire exister un doute sur une approche en réduction des risques, qui a pourtant eu des résultats historiques face au tabac dans d’autres pays.
Et dans cette séquence, au final, ceux qui se frottent les mains sont les fabricants de cigarettes.

Mais n’est ce pas lĂ©gitime de s’inquiĂ©ter pour la jeunesse ?
Evidemment ! Mais si l’on prend un peu de hauteur, le problème de fond n’est pas le marketing des Puff, mais l’âge moyen d’entrĂ©e dans le tabac, qui se situe entre 12 et 15 ans. A l’arrivĂ©e, c’est plus d’un jeune de 17 ans sur quatre qui fume quotidiennement. Je rappelle que le tabac tue un de ces consommateurs sur deux, et que la vape rĂ©duit le risque d’au moins 95% par rapport Ă  la cigarette.
Ce dont on a besoin c’est d’un débat honnête, non biaisé et qui ne s’inscrive pas dans une séquence sensationnaliste. Il faut mettre en regard les ravages du tabac et l’acceptabilité d’une solution de réduction des risques.

De plus en plus d’adolescents, parfois non-fumeurs ou non vapoteurs, se tournent vers les puffs. N’est-on pas en train de prĂ©parer et de conditionner une nouvelle gĂ©nĂ©ration de fumeurs ?
Le vapotage ne conduit pas Ă  la consommation de tabac. Aucune donnĂ©e Ă©pidĂ©miologique, partout dans le monde, ne soutient cette thèse. C’est mĂŞme complètement l’inverse : partout oĂą le vapotage a connu un succès important, y compris chez les jeunes, cela a menĂ© Ă  une baisse inĂ©dite de la prĂ©valence tabagique. Les Etats-Unis, Ă  qui on reprochait il y a quelques annĂ©es “l’épidĂ©mie de vapotage”, a dĂ©sormais un taux de tabagisme chez les jeunes qui a baissĂ© de plus de 80%, en s’établissant autour de 2%.
En France, les études menées montrent même que l’expérimentation du vapotage chez les jeunes réduisait le passage au tabac chez les jeunes. Avec ces données, on peut non seulement dire que la Puff ne prépare pas une nouvelle génération de fumeurs, mais qu’elle est très certainement en train de produire une des générations avec le plus faible taux de tabagisme depuis les 60 dernières années.
Le seul effet passerelle démontré, c’est celui de la consommation de cannabis qui débouche vers la consommation chronique de cigarettes. Voilà un vrai enjeu de santé publique qui mériterait nettement plus qu’on en parle, et qui reste un angle mort des politiques de santé publique.

Ce n’est pas ce que dit la dernière Ă©tude menĂ©e par l’association Alliance Contre le Tabac, dont la presse s’est faite l’écho, qui nous montre que 28 % des adolescents de 13 Ă  16 ans ont commencĂ© leur initiation Ă  la nicotine Ă  travers la Puff…
Commençons par rappeler qu’il s’agit d’un sondage et non d’une étude, dont la méthodologie et la solidité des données ne sont absolument pas comparable aux études épidémiologiques dont je viens de vous parler. Et les médias ont relayé les “conclusions” du communiqué de presse sans vraiment étudier les résultats de cette mini enquête.
Pourtant, ce sondage nous apprend que 13% des adolescents interrogĂ©s ont dĂ©jĂ  fumĂ© des cigarettes ou du tabac Ă  rouler. La proportion est similaire pour la Puff, Ă©galement 13% des adolescents interrogĂ©s. Alors que la focalisation de l’association et de la presse s’est faite sur cette dernière, je rĂ©pète que le tabagisme est mortel, qu’il est la première cause de mortalitĂ© Ă©vitable en France et qu’il tue plus de 75 000 personnes chaque annĂ©e. En comparaison, le vapotage, puffs comprises, ne tue pas, et peut ĂŞtre consommĂ© sans nicotine.
Mais surtout, en lisant attentivement le sondage, on remarque que 45% des utilisateurs de Puffs ont commencĂ© par du tabac fumĂ©. Cela veut donc dire que la moitiĂ© des adolescents utilisateurs de Puffs sont initialement des fumeurs ! Comment peut-on alors insinuer que les Puffs mènent vers le tabac, alors qu’elles sont prĂ©cisĂ©ment utilisĂ©es dans un second temps, pour sortir de la cigarette ?

Pourtant, les responsables politiques s’inquiètent de la Puff et se mobilisent. En l’espace de quelques jours, le SĂ©nat a tentĂ© de fortement taxer ce produit, et les Ă©cologistes Ă  l’AssemblĂ©e nationale de l’interdire. Comment rĂ©agissez-vous ?
Il est tout Ă  fait normal que le politique se saisisse du sujet. Mais les amendements prĂ©sentĂ©s ces dernières semaines ont Ă©tĂ© Ă©crits sous le coup de l’Ă©motion et en rĂ©action Ă  la sĂ©quence mĂ©diatique. Pour les professionnels du vapotage, c’est une situation inĂ©dite et particulièrement difficile Ă  gĂ©rer. Tout ceci doit ĂŞtre dĂ©battu, mais autrement que dans l’urgence et sous la pression d’une opinion manipulĂ©e.

Les Puff soulèvent des questions de santé publique, comme l’entrée dans le tabac des mineurs. Elles interrogent aussi notre rapport à la jeunesse et les limites que l’on veut et que l’on peut fixer pour protéger les plus jeunes. D’un point de vue environnemental, le sujet est brûlant face aux déchets générés par toutes ces batteries à usage unique.

C’est l’un des principaux reproches que l’on fait Ă  la Puff : son impact environnemental. Elle est jetĂ©e après chaque utilisation, c’est d’autant plus de plastique dans la nature et de gâchis de batteries..
Ces produits sont un non-sens écologique et ce pourrait être une raison suffisante pour les interdire. Mais là encore, la situation n’est pas noire ou blanche. Ce que l’on constate depuis le début de l’année, c’est que de nombreux fumeurs adultes adoptent ces puffs pour sortir du tabac. Notre filière n’a pas grand chose à y gagner, car l’essentiel de la valeur est faite en Chine, pays de leur fabrication. …Et pourtant, entrent dans les boutiques de nombreux fumeurs peu “technophiles”, qui trouvent leur compte avec cette solution simplissime, pour le coup, aussi simple d’usage que la cigarette de tabac.
L’objectif des professionnels de notre secteur est d’arriver, en boutiques spécialisées et en prenant le temps du conseil, à convertir ces néo-vapoteurs sur Puff à des équipements rechargeables, plus économiques et surtout bien plus écologiques.
Se pose alors une question qui nous semble centrale dans le dĂ©bat : celle du circuit de distribution. Si dans une boutique on peut retrouver le conseil et la motivation nĂ©cessaire au passage Ă  une vape plus responsable, qu’en est-il est quand elle est en accès libre dans de grands magasins ou vendue dans des points de vente dĂ©nuĂ©s d’expertise et/ou vendant aussi du tabac ?

Autre point qui interroge, la vente est, en principe, strictement interdite aux mineurs et pourtant … il est de plus en plus facile de s’en procurer. Que ce soit chez les buralistes ou mĂŞme dans des enseignes de grande distribution. Comment veiller Ă  l’interdiction de vente aux mineurs ?
Nous n’avons pas de rĂ©ponse parfaite Ă  cette question. Nous savons notre filière très exposĂ©e : face aux pouvoirs publics et Ă  la sociĂ©tĂ© plus largement. Nous sommes aussi dans une lutte Ă©conomique et idĂ©ologique avec l’industrie du tabac. Pour toutes ces raisons, nous sommes très attachĂ©s au respect de l’interdiction de vente aux mineurs qui est très bien appliquĂ©e dans nos rĂ©seaux.
Aussi, plus que jamais, la boutique spécialisée permet d’adresser ces produits aux fumeurs majeurs qui ont besoin, le moins longtemps possible et avec comme objectif la sortie rapide et totale du tabac. De là à dire qu’il faudrait en limiter la disponibilité aux seules boutiques de vape… c’est un élément dont on peut discuter.

Petit virage Ă  90 degrĂ©s … si je vous dis Vape, Cannabis et CBD … vous rĂ©pondez quoi ?
Réduction des risques. Je pense que la libéralisation progressive des cannabinoïdes, à commencer par le CBD et à terme le THC, ne doit pas se faire sans une réflexion sur les modes de consommation. Tout doit être fait pour éviter que ces produits soient fumés et aient un impact négatif direct sur la santé.
La situation actuelle aux USA est intĂ©ressante Ă  ce titre. Dans les États qui ont lĂ©galisĂ©, par exemple le Colorado et la Californie, on a pu voir au dĂ©but une augmentation radicale du cannabis fumĂ©. C’est aujourd’hui un phĂ©nomène en net repli, car plus du tiers des usagers ne consomme plus que du cannabis en vaporisation dans de petits dispositifs similaires Ă  des vapoteuses. La rĂ©duction du risque pour leur santĂ© est colossale, le fun est le mĂŞme. Soyons innovants !

Pensez-vous qu’à terme, les modèles de vapes cannabiques dispo aux US puissent s’intĂ©grer en France ?
Si légalisation du cannabis en France il y a, je pense que ce serait la meilleure des solutions. Mettre enfin les usages des français en cohérence avec la loi et par là même améliorer leur santé. C’est un win-win comme il y en a peu.

Et pour finir … Elisabeth Borne Premier Ministre … ça doit vous faire plaisir de voir une vapoteuse Ă  Matignon ?
Evidemment. Nous sommes une profession très investie, en quasi-totalité des ex-fumeurs, touchés directement ou dans notre cercle proche par les ravages du tabac sur la santé. Nous sommes empathiques face aux fumeurs qui cherchent à s’en sortir.
C’est le cas de notre première Ministre et nous soutenons sa dĂ©marche d’arrĂŞt du tabac Ă  100%. Ceux qui la critiquent quand elle sort sa vape devraient avoir honte. En tout cas, j’ai  bon espoir qu’elle saisisse les problĂ©matiques de notre filière avec plus d’intimitĂ© que ses prĂ©dĂ©cesseurs.


Interview de Jean Moiroud, Président de la FIVAPE