OOPS, WE DID IT AGAIN !

edito technikart 250

J’écris ces lignes à la mi-juin. Le couvre-feu est encore en vigueur, il est 23 h 10. Je suis toujours au bureau (un signe d’intellect limité, je sais) et je vois passer les hordes de gamins alcoolisés qui se coursent à la trottinette Lime tout le long des Champs-Élysées. De temps à autre, ils se mettent à slalomer au milieu de l’avenue. Smart ! Les voitures ne sont peut-être pas nombreuses, mais leurs chauffeurs, particulièrement remontés. Tout ce petit monde se la jouant Mad Max, les flics regardent ailleurs en espérant être appelés à un nouveau Project X sur les Invalides, histoire de pouvoir balancer quelques lacrymos avant d’aller se coucher peinards devant un bon vieux The Shield (Amazon Prime). Quoi d’autre ? Même à cette heure tardive, votre serviteur se fait interrompre toutes les quatre minutes pour régler des affaires de la plus haute importance (« T’as vu, je t’ai envoyé un mail », « Le festival de théâtre de Figeac, c’est pour Technikart ? », « Attends, je te renvoie le mail, mais avec la pièce jointe cette fois »). Et quand ce ne sont pas les autres qui me bouffent mon peu de cerveau disponible, c’est bibi : « Tiens, combien de personnes ont checké ma story Insta depuis la dernière fois que j’ai regardé (il y a trois minutes) ? » Verdict : après un an de confinement, on a peut-être des QI avoisinant celui du kakapo (ce gros perroquet néo-zélandais incapable de voler), mais, ooh, tous ces coeurs et ces likes 

Il y a un bail, en octobre 2016, nous tentions, déjà, de rendre cette rédaction un peu plus intelligente (notre dossier « Du micro-LSD au Synapsyl : Êtes-vous assez drogué ? ») en gobant toutes sortes de pilules smart. Résultat ? Le temps d’un numéro, nous étions devenus des machines de guerre hyper-concentrées et extrêmement irritables (un vrai signe d’intelligence serait donc de frapper les importuns). Près de cinq ans plus tard, on remet ça : oops, we did it again. Mais cette fois-ci, on est tous d’accord pour se dire que notre QI a chuté de manière vertigineuse ces derniers mois… 

La cause ? Les effets conjugués, sur notre cerveau si malléable, du confinement (décidément, le distanciel fliqué rend plus que ramollo) et de notre temps consacré aux réseaux (toutes ces heures passées à frimer pour la galerie puis à vérifier les stats, les retours)… Pire encore, ceux ayant créé les conditions de notre addiction débilitante au digital promettent désormais de muscler nos cerveaux en y implantant des puces ou, pour les plus pauvres, en suivant des cours en ligne… Mais quels génies, ces blaireaux de la Silicon Valley ! 

Reste un paradoxe on ne peut plus caractéristique de cette année 2021 : vous avez devant vous une bande de journalistes et de créatifs au quotient intellectuel en lambeaux, certes, mais animés de l’intime conviction d’avoir créé un magazine qui rend moins c… (nous pourrions même vous en expliquer les raisons si nous étions un peu plus smart). Bonne lecture !

Laurence Rémila
Rédacteur en chef