ANTOINE SIRE : « EN MOINS DE 20 ANS, NOUS SERONS PASSÉS DE 90% À 10% DE FOSSILE »

antoine sire

Ces dernières années, les banques ont été pointées du doigt par les organisations environnementales pour leur soutien financier aux énergies fossiles. Un soutien qui appartient au passé pour BNP Paribas selon Antoine Sire, directeur de l’Engagement d’entreprise du groupe. Rôle des banques dans la sortie des énergies fossiles, défis de la transition énergétique et de la décarbonation, conciliation des impératifs économiques et écologiques, nous avons souhaité y voir plus clair. Entretien.

Nos économies semblent toujours très dépendantes du pétrole et du gaz. Est-il vraiment possible de sortir des énergies fossiles et à quelle échéance ?
Les scénarios les plus sérieux recommandent une très forte baisse des énergies fossiles. Ils sont établis par le GIEC, l’Agence Internationale de l’Énergie, élaborés par des économistes qui s’appuient sur les travaux des scientifiques. Pour l’instant, ils ne prévoient pas de sortie totale des énergies fossiles. Cependant, ils affirment qu’il ne faut plus développer de nouvelles capacités de production. Nous nous appuyons sur ces scénarios pour construire notre feuille de route. Il y a toutefois un prérequis essentiel dans ces scénarios pour sortir du fossile : l’accélération extrêmement forte du développement des énergies renouvelables. C’est une urgence absolue si nous voulons réussir la transition énergétique, tout en prenant en compte les besoins des populations. Si nous regardons le mix mondial, l’électricité représente aujourd’hui 20% de la consommation d’énergie ; en 2050 elle doit en représenter 50%. Cet écart devra être comblé par le développement des énergies bas carbone – essentiellement renouvelables. L’effort à produire pour accélérer sur le renouvelable est considérable.

Comment procéder ?
La COP28 trace la voie d’une transition hors des énergies fossiles (transition away, selon les termes de l’accord). Cela nécessite notamment un triplement des capacités d’énergies renouvelables d’ici 2030, en parallèle d’une amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments et de la réduction des émissions de méthane. Chez BNP Paribas, nous avons conscience de notre impact dans cette transition. Nous pouvons agir à notre échelle : au sein de notre portefeuille de crédits à l’énergie, qui représente 3 à 4% de notre activité, nous avons décidé de substituer de façon rapide l’ensemble des financements à la production d’énergies fossiles par des financements aux énergies bas carbone essentiellement renouvelables. En 2012, les énergies fossiles représentaient 90% de nos financements à l’énergie et les énergies bas carbone représentaient 10%. En 2021, les courbes se sont croisées (NDLR voir graphique). En 2023, 65% de nos financements à la production d’énergie étaient déjà dédiés aux énergies bas carbone. Cette accélération extrêmement forte nous a permis de pivoter alors même que notre stock de crédits intègre des crédits qui ont été octroyés il y a plusieurs années et qui n’ont pas encore été intégralement remboursés.

Pourquoi les banques en général et BNP Paribas en particulier sont-elles autant ciblées sur la question climatique ?
Les ONG appellent à une trajectoire de sortie des énergies fossiles, c’est un objectif que nous partageons ! Il y a cinq ou six ans, elles ont accéléré la pression sur le monde économique. Elles ont notamment identifié que les banques sont, par leur activité de financement et d’investissement, au cœur de l’économie et très en prise avec la société. Les banques sont donc un levier important de la transition. Notre dialogue permanent avec les ONG a contribué à cette transition que nous préparions depuis longtemps. Si les courbes de nos financements se croisent dès 2021, c’est parce que nous n’avons cessé depuis plusieurs années de prendre des mesures qui changent la donne.

Pourquoi la sortie des énergies fossiles est-elle une question stratégique pour BNP Paribas ? Nest-ce pas paradoxal lorsque l’on souhaite rester une banque leader en Europe ?
Sortir des énergies fossiles est loin d’être incompatible avec le fait de rester une banque leader en Europe ! D’abord parce qu’il va y avoir une accélération très forte des investissements dans les énergies renouvelables. La base de notre activité repose sur le crédit, qui se rembourse sur un certain nombre d’années. Un banquier qui connait un secteur industriel est un banquier chevronné, qui a mis des années à construire ce savoir. La banque est un univers du temps long. Nous faisons face à une transformation majeure du secteur énergétique et nous souhaitons être les mieux préparés à affronter les prochaines décennies. Cela nous parait être la meilleure décision économique à prendre, sur moyen et long terme. Par exemple, en 2017, nous avons cessé de financer les spécialistes du gaz de schiste. Parmi eux, beaucoup se sont retrouvés en difficulté en 2020 et n’ont pas pu rembourser leurs crédits. Nous mettons notre capacité financière dans des énergies qui se développeront demain. C’est donc à la fois la meilleure stratégie sur le plan climatique et sur le plan économique. 

Si l’on suit votre plan, à partir de quelle année tous les crédits octroyés au fossile seront-ils remboursés ?
En 2030, le fossile représentera au maximum 10% du portefeuille des crédits octroyés à l’énergie. Nous verrons à ce moment-là quels seront les besoins de l’économie. Si nous prolongions la courbe, nous serions peut-être à 100% de bas carbone en 2035. Ce qui est certain, c’est qu’en moins de vingt ans, nous serons passés de 90% à 10% de fossile dans nos financements à la production d’énergie. Le financement obligataire, qui permet aux entreprises de se financer sur les marchés, suit la même dynamique. Depuis février 2023, nous n’avons participé à aucune émission obligataire du secteur pétrolier et gazier.

Comment expliquez-vous que malgré ces engagements, BNP Paribas reste la cible d’attaques de la part des ONG ? 
Ce n’est pas le cas de tous les organismes internationaux, certains nous classent d’ailleurs très bien : le CDP (Carbon Disclosure Project), par exemple, vient de sortir sa liste et nous sommes la seule grande banque internationale du monde à avoir la note A. Excepté quelques organisations qui ont un mandat plus politique, la plupart des ONG se rend compte que BNP Paribas a profondément évolué. Mais nous savons d’expérience qu’il se passe quelques années entre l’action et sa perception, le temps d’adapter son logiciel. Par ailleurs, il est important de noter que les banques européennes, et notamment françaises, sont les plus avancées en matière de transition.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de greenwashing ?
Je leur réponds de se référer aux données publiques les plus rigoureuses. Dans les classements Bloomberg, qui font référence, BNP Paribas apparaît comme le numéro 1 mondial des obligations vertes. Dans le même temps, nous avons chuté à la 77ème place pour le financement obligataire au secteur fossile, alors que nous sommes la 6ème banque mondiale. Autrement dit nous sommes déjà quasiment sortis du marché.
Outre la perception, qui met plus de temps à évoluer, quand une entreprise est leader d’un secteur, tout le monde a les yeux rivés sur son activité. Évidemment, en tant que 1ère banque européenne, nous étions logiquement – lorsque le fossile était la norme – la 1ère banque du fossile. Désormais, nous sommes la première banque des énergies bas carbone. Au-delà de notre taille, nous n’avons jamais eu une propension particulière à financer les énergies fossiles !

Quels sont vos prochains objectifs ? Les étapes suivantes pour continuer à accélérer ?
Au-delà de l’énergie, il faut décarboner tout le reste de l’économie. Il existe une multitude d’entreprises industrielles dans tous les secteurs, dont certains émettent beaucoup de CO2. Nous devons accompagner la transition de ces entreprises en finançant des installations bas carbone mais aussi en cessant de financer les acteurs qui ne se décarbonent pas suffisamment. Pour cela, nous avons constitué une équipe de plus de 200 banquiers, le Low-Carbon Transition Group. Nous devons aussi accompagner les PME et l’efficacité énergétique des logements. Nous allons être attentifs au fait que les clients qui prennent un crédit immobilier feront des travaux d’amélioration sur leur efficacité énergétique. Cette mesure sera complexe car nous devons en même temps veiller à ne pas créer ni ajouter d’inégalités sociales.

Quels secteurs accompagnez-vous dans la réduction de leurs émissions et comment ? 
Nous accompagnons l’ensemble des secteurs industriels les plus émetteurs. Nous avons déjà pris des objectifs de réduction d’intensité CO2 dans six secteurs : pétrole et gaz, production d’électricité, automobile, ciment, acier, aluminium. Nous publierons prochainement des données liées à quatre autres secteurs, notamment l’immobilier. Il faut aider ceux qui font réellement des investissements pour décarboner leurs usines, ceux qui ont des véhicules thermiques qu’ils remplacent par des véhicules électriques, ceux qui ont des usines polluantes qu’ils remplacent par des usines plus sobres…

Vous avez également réduit les émissions CO2 du groupe BNP Paribas. Comment avez-vous procédé ?
Nous avons développé un modèle plus sobre. Nous avons réduit les voyages, investi dans des immeubles plus efficaces énergiquement. Nous adoptons également des serveurs plus économes en énergie. Nous veillons bien sûr à être le plus vertueux possible dans nos activités mais l’enjeu principal demeure notre rôle dans le financement et la transformation de l’économie.

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