FLAMMES, JE VOUS HAINE !

Cérémonie des Flammes

Les Flammes, la nouvelle messe annuelle du rap français, n’en finissent plus d’agiter réseaux et médias. Mais que se cache-t-il derrière tous ces influenceurs, ces discours et ces rimes pauvres ? Nos reporters ont mené l’enquête depuis la Seine Musicale.

Mardi 12 mai, 18h30, sortie Pont de Sèvres, ligne 9. On a voulu jouer les élèves modèles chez Technikart, se pointer en avance à la cérémonie du rap de l’année. Fausse bonne idée ? Peut être. On a eu le droit à la première douche froide pour cette troisième édition des Flammes : la pluie tombe sur la Seine Musicale. Première frayeur pour nos amis de Booska-P et Yard – chefs d’orchestre des Flammes depuis maintenant trois ans. Heureusement, le ciel s’est calmé, et nous, fidèles soldats de la hype, avons glissé direction le tapis vert Spotify, réservé à une poignée de VIP triés sur le flux. Ambiance feutrée, moins clinquante que le tapis rouge du festival de Cannes. D’ailleurs, le tapis rouge des Flammes ? Cette année, il s’est rêvé en tapis orange, probablement pour faire la nique à celui de la Croisette et s’est donné le défi de briller plus. Les deux premières éditions s’étaient prises quelques tacles — choix de nominations et de lauréats, jugés parfois injustes ou incomplets, manque de représentativité de toutes les disciplines du hip-hop et polémiques sur la diversité et l’équité – mais 2025 voulait frapper fort. Alors, on a troqué notre mardi soir pour cette soirée emblématique. On rembobine.

STRASS ET BOOSKA-PAILLETTES

C’est sur le pont Renault – celui qui relie la Seine Musicale à la pointe de l’île Seguin – que le ton est donné : l’un de nous broie du noir, l’autre s’emballe. Deux visions, deux bilans contrastés des premières éditions des Flammes. Mais dans les deux cas, une même excitation : ce soir, on y est. On va vivre la cérémonie dont tout le monde parle.

Pas vraiment adeptes du rap mainstream, on craint un peu de rester muets face aux lyrics… Heureusement, Jul et Tiakola tournent parfois dans nos écouteurs (oups). On se ressaisit, et c’est parti : on s’infiltre dans la plus grande messe du rap français. Premier dilemme : où aller ? L’un de nous propose de simplement errer, explorer chaque recoin de l’événement. Bonne idée.

— Tiens, un tapis orange dehors !
— C’est le tapis rouge ?
— Bah non, sinon il serait rouge…

Ni une, ni deux, on file vers cette drôle d’entrée saturée de flashs. Des photographes partout, des journalistes micro à la main, format 9:16 activé, qui capturent les looks extravagants des invités : Youssef Swatt’s, sacré dans Nouvelle École saison 3, ou encore Louka, drôle de personnage de Tiktok. Le dress code flirte plus avec la Fashion Week qu’avec les débuts de Skyrock, mais ça tombe bien : ce soir, on est là pour casser les codes.

Trop confiants, ou mal guidés, on se fait rapidement sortir du tapis orange par un agent de sécurité. Pas de bracelet VIP, pas de photo Insta. Tant pis. On rebondit direction l’espace presse : c’est là que tout le monde se croise, se perd, se juge, se regarde. Spotify envoie deux DJettes mettre l’ambiance, pendant que NYX et Les Secrets de Loly bichonnent les influenceurs. Mais surtout, on repère tout de suite le bar – champagne, cocktails, et discussions plus ou moins sincères.

Ambiance cocktail justement, dans tous les sens du terme : journalistes snobs, influenceurs déboussolés, et même Foot Mercato dans la place. Oui, Foot Mercato. On croise un journaliste du Parisien, un mec de Topito, des TikTokeurs spécialisés dans le rap du genre « El Négociateur » ou « Hanae » (spoiler : c’est faux). L’heure tourne, il serait peut-être temps d’aller s’asseoir pour la cérémonie. En descendant les marches, on tombe sur l’une des dernières chroniqueuse de TPMP, Polska et sa clique d’influenceurs. Voilà. La soirée peut commencer.

CHAUD MUST GO ON

À l’arrivé dans la salle, le grand rideau blanc et l’avant scène annoncent la couleur, les Flammes sont montées d’un niveau, le show va être grandiose. Mais avant ça nous devons trouver notre place dans le désordre ambiant. Déambulant entre les influenceurs et le grand public, nous peinons à identifier le petit bout de chaise, en fond de salle, qui nous est destiné. Si la cloche du direct retentit depuis cinq longues minutes, rien n’est prêt. Les artistes ne sont pas installés dans leur carré VIP, on fait lever le public pour rien, la fosse est vide, les minutes tournent. Assis au fond de la salle, un homme nous tape sur l’épaule, « excusez-moi vous gênez la caméra, vous pouvez bouger de place », accueil cinq étoiles. Un gros quart d’heure plus tard, le temps de virer les derniers trublions, les lumières s’éteignent, ça y est le spectacle commence. 

spectacle flamme


Dans un magnéto, en noir et blanc, empli de nostalgie, les organisateurs nous remémorent les moments d’émotions vécus lors de deux premières éditions. Puis, les caméras se braquent vers la scène et notre hôte apparaît. L’influenceur et humoriste
Nordin Ganso, tout vêtu de violet, entreprend un discours éloquent, sur l’importance des flammes, la place des cultures urbaines dans la société et leur émergence progressive sur la scène médiatique. Face à ce monologue, un soulagement émerge en nous, Nordine Ganso ne parle plus en 180 bpm, il respire ! Une évolution de courte durée car après la très honorable performance du groupe L2B, Eminem Ganso est déjà de retour. À l’inverse, la co-animatrice et journaliste, Newin Bokhari, nous propose « d’analyser toutes les subtilités du show« . Une formule alléchante si elle n’avait pas endormi le public avec sa diction digne d’un livre audio lu par une IA. Heureusement, Booska P assure ses arrières avec un troisième animateur de qualité, Driver, jury régulier des Rap Contenders. Avec près de 30 ans d’expérience dans le rap, l’O.G nous propose des interventions bien calibrées tel un speaker de stade de foot. Il annonce la première flamme et le producteur international multi-certifié, Tarik Azzouz, entre sur scène. 

C’est alors que débute pendant plus de trois heures, un ballet incessant au rythme cyclique. Discours (plus ou moins) engagés, remises de prix, remerciements des mamans d’artistes, performances et recommence. Si elle est longue et peu rythmée, la cérémonie n’en est pas moins plaisante. Le travail fantastique accompli par Yoan Prat Sangbet et Nicolas Brion sur la scénographie nous en met plein les yeux. Chaque tableau est réfléchi pour mettre en avant l’univers de l’artiste et sa performance. La mise en scène se permet des choses ambitieuses comme faire descendre Théodora du plafond ou mettre une voiture en feu au milieu de la scène lors de la performance d‘EVA… Des effets amplifiés par le travail de l’équipe création graphique, qui propose des animations digitales époustouflantes sur l’écran qui couvre le fond de scène. Si les téléspectateurs ont, pour certains, été déçus par le rendu des lives, la salle – et nous-même – semblait être conquise par la programmation. Il est possible que notre bassin se soit légèrement déhanché, sur les rythmes cadencés de Joé Dwèt filé ou Guy2Bezbar, ou que l’on ait eu envie de reprendre nos seize mesures, écrits à 14 ans, en écoutant les fines plumes de Nessbeal et Rim’k. Une présence des patrons du rap français nécessaire quand on voit que la cérémonie est désertée par les plus gros vendeurs actuels (même s’ils étaient nominés). Pas de Tiakola, SDM, SCH, PLK, Gazo ou Booba, pour compenser la street cred d’Eva Queen.

PEACE AND LOVE

Nous avons été agréablement saisis par la parité exemplaire dont ont fait preuve les organisateurs. Si les femmes ne représentent que 19% des artistes des morceaux produits en France, elles étaient bien présentes à la cérémonie. Un tableau était même dédié aux révélations féminines qui feront le rap de demain. Et elles n’ont pas laissé indifférent ! Selon Spotify, les streams de Lala&ce, Théodora, Eva et même Amel Bent ont considérablement augmenté dans les 24h qui ont suivi. La star des années 2000 a fait le show pour rappeler que les anciens ont toujours autant leur place sur scène que les nouveaux. Une idée véhiculée tout au long du show avec la présence de la Mafia K’1 Fry, Youssoupha ou de Kery James pour rendre hommage à DJ Mehdi. Décoré de la flamme éternelle, l’ancien producteur décédé en 2011, a rempli la Seine Musicale d’une vive émotion et nos yeux d’une petite larme. C’est ça aussi les Flammes : un hub de messages impactants. Beaucoup d’hommages ont été rendu que ce soit pour la situation à Gaza, celle au Congo, les femmes victimes de violences, la liberté d’expression… Chacun a profité de la tribune médiatique qui lui était offerte, notamment Merwane Benlazar. Grâce à son discours plein de bon sens, à notre goût, mais visiblement pas à celui de la direction du Groupe M6, l’humoriste a réussi à se faire censurer lors de la retranscription sur W9, chapeau l’artiste ! 

Et oui, les Flammes c’est bien mais c’est aussi beaucoup de polémiques. Comme d’habitude, certains ont boycotté la cérémonie avec en tête de liste Booba. Le résident de Miami, s’est fendue d’une vidéo acérée dénonçant le côté sélectif des Flammes, illustré par l’absence perpétuelle de Jul dans les nominés. Un coup de gueule bien ridicule face au baiser non consenti qui s’est produit sur le live Twitch de la cérémonie. L’animatrice Skulush a profité d’un moment d’inattention du streamer Anyme, le laissant sous le choc : « j’ai trouvé ça très gênant, mais ça ne m’a pas impacté émotionnellement par la suite« . Un événement problématique pour une cérémonie qui promeut des valeurs de tolérance et d’altruisme. 

Peut-être que les acteurs de cette sphère rap, aussi brillants soient-ils, ne sont tout simplement pas taillés pour le costard de la télévision. Trop d’erreurs d’organisation, une salle magnifique mais mal adaptée, et un casting parfois à côté de la plaque. Pourquoi inviter des influenceurs visiblement perdus au milieu de la Seine Musicale et ne pas mettre en lumière celles et ceux qui restent encore trop souvent invisibilisés ? C’est logique que les poids lourds mainstream raflent tout. Mais beaucoup d’artistes continuent d’être ignorés, exactement comme aux Victoires de la musique ou au NRJ Music Awards. Et c’est dommage, car Les Flammes avaient justement été créées pour ça : corriger le tir, rendre justice aux cultures populaires. Le format télé n’était sans doute pas le bon – seulement 63 000 téléspectateurs sur W9 à 22h55, pendant que Planet Rap explosait à 170k sur France 2, beaucoup plus tard dans la soirée. Mais sur Twitch et les réseaux, l’engouement est réel : plus de 12 millions de vues en 24h, le double de l’an dernier, et 36 millions sur les canaux de Booska-P. Malgré les maladresses, Les Flammes restent une initiative nécessaire. Car elles incarnent cette force, cette lumière, cette propagation naturelle des cultures urbaines qui continuent d’éclairer la société. 

A peine sorti de nos pensées que la cérémonie est déjà finie, nous n’avons pas pu dire au revoir à nos animateurs préférés, le générique défile déjà. Le dernier métro est déjà passé, l’occasion de reprendre une petite coupe avant de trouver un noctilien qui daigne accepter de nous ramener chez Technikart.


Par Raphaël Baumann & Robin Lecomte