Grand puriste, Xavier Baril, directeur du domaine Fernand Engel, travaille ses vins d’Alsace comme un horloger suisse, avec attention et précision. Ses crémants en sont l’exemple phare. Interview dans les vignes.
Cela fait 33 ans que vous travaillez au domaine Fernand Engel. En quoi consiste votre rôle au sein de la Maison ?
Xavier Baril : Je suis le gendre de la famille Engel, c’est Sandrine, mon épouse, qui a repris le domaine. Mon rôle, en plus de l’expertise au niveau des vins, est d’être le manager général marché export et communication. Je travaille bien sûr avec un chef de cave. Je donne mes orientations pour la vigne, car je sais exactement ce que je veux comme vin. Je suis très présent au moment des récoltes. La vision du produit, c’est moi qui la décide.
Quelle est la genèse du domaine ?
En 1949, c’était une des plus petites exploitations d’Alsace. Il y a eu un grand gel. Le grand-père de la famille avait gardé du vin qu’il a pu vendre ensuite très cher. Cela lui a permis d’acheter des vignes et de s’agrandir jusqu’à devenir, aujourd’hui, le plus grand domaine de vignerons indépendants d’Alsace avec 78 hectares. Nous sommes concentrés à Rorschwihr et Bergheim, au pied du célèbre château du Haut-Koenigsbourg.
D’où vient cette statue d’ange à l’entrée de votre maison ?
On dirait une proue de bateau… L’emblème de l’ange a toujours été présent au sein de la Maison, en lien avec notre nom, « Engel » qui veut dire « ange » en allemand. C’est un nom de famille très répandu en Suisse, dont est originaire la famille…
Le domaine est devenu bio en 1997. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à faire ce choix ?
Il y a eu un événement déclencheur à cette période : mon beau-père avait commencé à développer des oedèmes au niveau de la gorge, dus à cinq molécules qu’il pulvérisait sur la vigne et avec lesquelles il était régulièrement en contact. On lui a donné le choix : ou bien il changeait de métier, ou bien il changeait le mode de culture. On est passé en bio par la force des choses, d’abord sur trois hectares, puis sur six et en 2001, tous les Gewurztraminer l’étaient. On a définitivement sauté le pas en 2004 pour rendre tous les vins du domaine bio.
Vous plantez aussi des haies et construisez des nichoirs à oiseaux. Pourquoi ?
En 1995, nous avons créé le Clos des anges avec des perchoirs, des bosquets… Bien avant le bio, nous avions une volonté de durabilité. Nous avons conçu pas mal de parcelles emmurées et nous avons même un oiseau très rare qui fait sa migration ici, la Huppe fasciée, car elle a besoin de refuge à mi-hauteur pour éviter les prédateurs. Nous avons même des cigognes sédentarisées dans nos vignes.
Vous êtes un passionné de champagne. Quelle part de la production du domaine représentent les crémants aujourd’hui ?
Au départ, les crémants étaient accessoires. Lorsque je suis arrivé, mon beau-père en faisait entre 15 000 et 20 000 bouteilles. Mais c’est une production qui me plaît car elle est très technique et permet de montrer l’étendu de notre savoir-faire, en terme de compréhension de population levurienne, de vinification…
En quoi consiste votre démarche et la spécificité de vos crémants ?
J’avais la volonté de travailler les crémants de façon plus pointue, de leur donner davantage d’allure. Par exemple, le blanc de noirs a toujours fait rêver les clients, mais ça n’était pas toujours bien réalisé. Nous avons désormais cinq cuvées déclinées. Trois à boire jeune pour le côté apéritif et festif, et deux gastronomiques. Les trois premières gammes sont le crémant chardonnay, un blanc de blanc 100 % chardonnay et un crémant tradition. La bulle commune à tous nos vins est sur la finesse. Nous avons aussi un crémant rosé 100 % pinot noir avec une superbe acidité, très digeste qui vient d’un choix de parcelles comme pour le chardonnay, qui nous permet d’être sur des climats très froids.
Et pour le haut de gamme destiné à la gastronomie ?
Le premier, c’est un blanc de noirs, 100 % pinot noir sur des sols qui sont en altitude à 300/400 m, près de la forêt, sur des sols très lourds, donc pas de manque d’eau ce qui permet au raisin de garder son acidité pour faire un effervescent très frais. Je peux dire que je me suis spécialisé dans les crémants en favorisant les très beaux terroirs. Cela fait plus de vingt ans que mon ambition est de définir ce style de crémants qui me donne un avantage qualitatif.
Et le deuxième haut de gamme, votre crémant d’Alsace trilogie 2009 ?
C’est notre super premium, le haut de la pyramide. L’idée, c’est d’utiliser une propriété naturelle de la levure, celle de produire du glycérol, et de la placer dans des conditions complexes pour lui en faire produire beaucoup plus. Il s’appelle « trilogie » parce qu’il y a trois fermentations… Pour un crémant classique, il y a une fermentation en cuve puis on ajoute le sucre exogène, les levures et cela fermente. Mon objectif est de fractionner la prise de mousse en deux fois.
Dans quel but ?
Pour donner des caractéristiques très fortes à ce crémant, c’est la dernière population de levure que je vais introduire. Je vais ouvrir ma bouteille comme si je la dégorgeais, mais au lieu de le faire, je vais rajouter 12 grammes de sucre par litre, ainsi que de la levure et je vais repartir en fermentation. Le résultat est que l’on obtient un vin effervescent avec beaucoup de gras, d’onctuosité. Quand on le verse il est très huileux, des larmes très denses, pour un effervescent c’est très impressionnant, il ressemble presque à un liquoreux à bulles. Nous sommes les seuls à faire cela, c’est unique au monde.
Quelle cuvée proposez-vous en demi-bouteilles et pour quelle raison ?
Elle est proposée pour les deux cuvées chardonnay et tradition. Nous avons une forte demande sur le marché suédois. Aujourd’hui, le vin n’est plus la boisson dominante. De plus, une bouteille de vin effervescent se garde difficilement quand elle n’est pas bue en totalité. Ce format est bien adapté au chardonnay tradition, il y a moins de gaspillage et on ne perd pas la bulle !
Domaine Fernand Engel, 1 route du Vin, 68590 Rorschwihr
Par Serge Adam




