VILLA HEGRA

Fériel Fodil

Une Villa Medicis dans une oasis. C’est l’ambition de la Villa Hegra, nouvelle institution culturelle, carrefour touristique et artistique située en plein coeur du site d’AlUla, en Arabie saoudite. Sa directrice, Fériel Fodil, entend faire de sa Villa l’une des « Big 5 » de la République. Portrait. 

Légende photo : OASIS ARTISTIQUE_ Le but de Fériel Fodil ? Que Villa Hegra , dont elle est directrice, se mesure aux prestigieuses Villa Medicis, Casa de Velázquez, Villa Kujoyama ou encore Villa Albertine…

Dans le milieu de la culture, le cursus de Fériel Fodil pourrait surprendre. Diplômée d’une grande école de commerce (ESCP) avant d’exercer durant des années en tant que directrice financière, rien ne la prédestinait à prendre la tête d’une institution dédiée à soutenir les artistes et développer le dialogue interculturel. Si l’époque où André Malraux nommait un peintre (Balthus) à la direction de l’Académie de France à Rome est bel et bien révolue, nulle révolution dans le fait que les personnalités l’emporteront toujours sur leur curriculum vitae. Le point de départ importe moins que celui d’arrivée. L’histoire a jugé Balthus comme grand réformateur d’un lieu décrépit. Elle laisse à Fériel le gage d’une année à la direction du Domaine de Chantilly (qu’elle quitte des finances au propre et des visiteurs en hausse) et le temps d’écrire sa propre histoire.

DES CHIFFRES ET DES LETTRES

« La meilleure façon de commencer est de dire : Balthus est un peintre dont on ne sait rien. Et maintenant, regardons les peintures », répondait le peintre à la Tate Gallery qui préparait une exposition de ses œuvres. Reprenons la formule : « Fériel est une femme dont on ne sait rien. Et maintenant regardons son parcours ». Ce dernier est d’abord marqué par la double épreuve de l’exil et de l’adaptation. Elle n’a que quinze ans lorsque sa famille fuit la décennie noire algérienne pour trouver refuge à Versailles. Tout était à (re)faire. Championne d’Algérie de basket, la jeune Fériel est rompue à la discipline du haut niveau. Classe préparatoire – Grande École… elle sort de l’ESCP aussi armée d’un DESS de droit et des souvenirs de soirées bibliothèque plutôt que de beuveries étudiantes. Diplômée en 2001, la rentrée de septembre se fait dans la sidération. Le monde apparaît plus que jamais instable et un premier poste dans le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers celui d’un choix raisonnable. Après trois années à Paris, puis deux à Washington, où elle est alors auditrice sur le second marché hypothécaire immobilier, Fériel Fodil se demande si l’abstraction des chiffres du monde de l’assurance est encore à même de nourrir une curiosité intellectuelle moins animée par les gains réalisés que par les gens et leurs réalisations. Face à cet horizon aride, elle fait le choix de l’aridité d’un pays lointain et inconnu ; là où tout est à (re)faire.

La voilà donc directrice financière du secteur culturel, au sein du plus grand conglomérat artistique du monde, à Abu Dhabi, sur l’île de Saadiyat, censé à l’époque regrouper le Louvre, le Guggenheim et le ZNM (Zayed National Museum). Cette expérience émirati la plonge au cœur d’un projet qui lui fait préférer le lexique des commissaires d’exposition aux formules des actuaires. C’est d’ailleurs aux langues plus qu’aux chiffre qu’elle doit ce poste. Sa maîtrise de l’anglais, du français et de l’arabe, la place de facto au centre de discussions où le dialogue entre différentes cultures muséales et historiques s’avère être la pierre angulaire du succès qui en découlera. Après ça, elle retrouvera la France et le Domaine de Chantilly, où on lui confiera, après la direction financière de l’institution, la direction tout court.

UNE PIÈCE, DEUX FACES

Pareilles à des tableaux, les vies sont faites de contrastes singuliers et de lignes formant d’étranges portraits. Parfois, d’ailleurs, deux de ces faces se croisent au détour d’une même pièce ; celle de la chambre turque de la Villa Médicis, qui servit jadis à Balthus de lieu d’inspiration à son célèbre tableau homonyme, et dans laquelle Fériel Fodil scrute le même souffle créateur en ce mois de janvier 2024. Car c’est à l’Académie de France à Rome qu’elle est venue en résidence d’une semaine afin de peaufiner la vision qui fera, ou non, le renom de la Villa Hegra.

« UN DIALOGUE ENTRE LA FRANCE ET L’ARABIE SAOUDITE, ENTRE LE PRÉSENT ET LE PASSÉ, ENTRE L’OASIS ET L’URBAIN… » – FÉRIEL FODIL

 

Cette vision, Fériel Fodil sait pouvoir la bâtir sur une localisation d’exception : AlUla, situé à seulement quelques encablures de l’antique cité nabatéenne d’Hegra qui fut développée par les fondateurs de Pétra trois siècles avant notre ère grâce à l’oasis providentielle d’AlUla qui leur permirent de tailler dans des pitons rocheux des dizaines de tombeaux rupestres aux façades monumentales. En 106 ap. J.-C., Trajan en fera l’un des confins de l’Empire romain… et pérennisera une cité à la jonction des routes commerciales des épices et de l’encens. Un carrefour que les Français et les Saoudiens espèrent désormais voir devenir celui du tourisme et de la culture. Un lieu, donc, où tout est à (re)faire et où, comme Fériel Fodil l’a appris, tout commence par un dialogue ; « un dialogue entre la France et l’Arabie saoudite, entre le présent et le passé, entre l’oasis et l’urbain, entre les vallées et les montagnes, entre les artistes et les habitants, entre les habitants et les étrangers », souligne-t-elle avant d’ajouter que « le premier acte culturel de la Villa, c’est son architecture ». Dessinée par le cabinet français Lacaton & Vassal, l’institution en construction, qui accueillera dès 2026 un centre culturel ainsi que les programmes de résidence, se veut ouverte sur l’extérieur… énième manifestation de ce dialogue cher à Fériel Fodil, et qui trahit celui qu’elle semble entretenir depuis toujours en son for intérieur : savoir-faire.

 

Par Benjamin Cazeaux-Entremont
Photos Christophe Pelletier / Make It Live