VICKY KRIEPS : « J’AIME BIEN LA FRICTION »

Vicky Krieps

On a découvert l’actrice luxembourgeoise Vicky Krieps dans le magnifique Phantom Thread. Depuis, elle alterne les bons films et on va la revoir dans le prochain Viggo Mortensen. Rencontre lors du Luxembourg Film Festival.

C’est vrai que vous avez obtenu votre rôle dans Phantom Thread grâce à une insomnie de Paul Thomas Anderson ?
Je ne sais pas si c’était une insomnie, mais, ce qui est sûr, c’est qu’une nuit, Paul a découvert en streaming un de mes films allemands, Das Zimmermädchen Lynn, que j’aime beaucoup, où mon personnage se cache sous le lit des gens et se retrouve fasciné par une dominatrice. Un film fou, très arty, et surtout très confidentiel. Et le plus dingue, c’est que PTA l’a vu !

Comment cela s’est passé avec Daniel Day-Lewis ?
Nous n’avons pas fait de répétition, il ne voulait pas que l’on se voie avant le tournage. On a juste fait une première lecture à Londres, magnifique, un moment magique, avec lui et Paul. On lisait, et les mots prenaient vie. Puis, ils m’ont proposé le rôle et j’ai déclaré : « Oui, évidemment, mais qui d’autre peut jouer ce rôle » (rires). Je me suis excusée, mais cela me semblait comme une évidence. 

Vous n’aviez pas peur d’être dévorée par Daniel Day-Lewis ?
Je viens d’un village, donc j’ai les pieds sur terre, c’est très ancré en moi. Daniel a l’habitude de tout dévorer, mais je suis juste restée simple, moi-même. Je n’ai pas essayé d’être à son niveau, seulement d’oublier tout ce que je savais sur le cinéma pour être moi. 

Est-ce que le mot « Rebelle » pourrait vous qualifier ?
C’est toujours au cœur de mes personnages. Dans mon nouveau film, Jusqu’au bout du monde, mon personnage est une nouvelle fois une rebelle. Mais c’est dans la nature de l’acteur que d’être rebelle. Je questionne toujours les choses : mon personnage, le réalisateur, la réussite d’une prise… Sur un plateau, je ne suis pas facile. je veux faire de bons films, qui questionnent nos sentiments, ce que nous sommes, donc je me bats au quotidien pour faire le meilleur film possible, que ce soit avec Daniel Day-Lewis ou Viggo Mortensen. J’aime bien la friction…

Votre filmographie est pour le moins éclectique et vous alternez Les 3 Mousquetaires, le cinéma d’auteur avec Mathieu Amalric, ou des films américains comme Old.
Après Phantom Thread, j’ai refusé toutes les grosses machines. On m’a vraiment proposé beaucoup d’argent et je me devais de dire non, tellement c’était indécent, ils voulaient m’acheter. Je suis très pauvre alors que j’aurais pu être très riche ! Je n’ai pas fait de pub, je ne suis pas égérie d’une grande marque car j’étais contre. Cela m’agressait, je n’avais pas envie que l’on me voie encore plus sur les écrans ou des affiches. Mais je me ramollis, je vais peut-être changer d’avis… 

Vous habitez Berlin ? 
La vie à Berlin est beaucoup moins chère qu’États-Unis ou à Paris et c’est génial. Je sors dans la rue et tout le monde s’en fout, il y a des videostores, et ils ont tous les films : j’adore ! Je vais danser au Berghain (club mythique de Berlin, une ancienne centrale électrique, près de Ostbahnhof, avec une sélection drastique à l’entrée, NDR). J’y vais la nuit entière et le matin, j’emmène les enfants à l’école. 

Vous êtes jury au Luxembourg Film Festival. Pourquoi ?
Pour Alexis Juncosa (le directeur artistique du festival, NDR) que j’adore. Je soutiens le Lux Film Fest depuis le premier jour, et cette année enfin, j’ai pu venir. Les festivals sont importants. Le cinéma est en train de mourir et le seul endroit où tu peux voir toutes les couleurs de la palette, c’est en festival. Je tourne dans des films arty mais ils sont de plus en plus difficiles à monter. Les plateformes sont en train de tout changer.

Alexis Juncosa m’a dit que vous étiez la « fille du bled »
La fille du Bled ? Effectivement, je suis la reine du village au Luxembourg et l’âme luxembourgeoise est une âme de paysan.

J’ai entendu dire que vous chantiez ?
Oui. J’ai tout enregistré mais je ne sais pas encore quoi en faire. Récemment, j’ai fait une installation à Los Angeles. Le spectateur pouvait déambuler au milieu de peintures et il avait mes chansons dans son casque. je n’en ai parlé à personne, sans aucune publicité. Je fais, sans dire les choses.

Que pensez-vous de #MeToo et de ce qui se passe en France avec Judith Godrèche ?
C’est bien que ça bouge, heureusement. Le problème est complexe, mais je le connais bien car je suis une femme. Le problème est global, dans tous les métiers. Comment, dans une société, peut-on laisser une personne, parce qu’il a du pouvoir, prendre l’ascendant sur les autres ? Il faut en parler et que ça change. 

Un mot sur Jusqu’au bout du monde, le western de Viggo Mortensen qui va bientôt sortir en France ?
Je l’adore. C’est un film très honnête, avec un beau personnage de femme forte au cœur de l’histoire. Viggo est un magnifique metteur en scène.

Dans le premier plan du film, vous mourez, et une larme roule sur votre joue.
Ce n’était pas prévu. Viggo a adoré ce plan. On a fait d’autres prises, bien meilleures pour des raisons techniques, mais Viggo a gardé celui avec la larme… 

www.luxfilmfest.lu
Jusqu’au bout du monde : sortie le 1er mai


Par Marc Godin
Photo Margaux Gatti – Luxembourg City Film Festival 2024