Fondateur et directeur de Maison Crivelli, Thibaud Crivelli présente son idée de la Haute Parfumerie, l’avenir du secteur et ses techniques pour se démarquer. Rencontre multisensorielle.
Avant de fonder Maison Crivelli en 2018, tu as travaillé pour Dior, à Hong Kong. Qu’as-tu appris du marché asiatique qui, même s’il n’a jamais été leader dans la parfumerie, est clé dans le secteur du luxe ?
Thibaud Crivelli : Dans un marché aussi saturé, j’ai compris que personne n’allait m’attendre, qu’il fallait donc surprendre. Les pays asiatiques se mettent à la parfumerie. En Chine, notamment, où tout va très vite, ils s’intéressent à la Haute parfumerie – notre domaine à Maison Crivelli.
Qu’est-ce que la Haute Parfumerie selon la Maison Crivelli ?
C’est la recherche du beau, de l’élégance, de l’inattendu avec une sélection précise en matière de distribution. On refuse d’ouvrir certaines portes afin de maintenir une qualité de service exigeante.
Quels sont vos points de ventes ?
Galerie Lafayette, Selfridges ou Harrods à Londres, Isetan au Japon… Des magasins premium où la marque pourra très bien s’exprimer et être présentée avec qualité.
La maison porte ton nom. Son succès a mis la lumière sur ta personne, pourtant, tu n’as jamais eu l’intention de te mettre avant. Comment gères-tu cette contradiction ?
J’ai appris qu’on pouvait être visible et présent pour incarner une marque sans mettre de l’ego dans cet exercice. La clé, c’est la spontanéité. À chaque événement, je sais que des personnes viennent pour me rencontrer, de la même manière que j’y vais pour les rencontrer et apprendre de ces échanges. Avec le parfum, on ne triche pas. Ça touche à l’intime. Les événements en magasins sont ce qu’il y a de plus fort pour moi avec la création olfactive. Je ne suis pas un créateur dans son bureau. Je ne suis à Paris que six jours par mois. Le reste du temps, je voyage, je rencontre et je fais des recherches.
L’aventure fait partie intégrante de Maison Crivelli.
Oui, j’ai voulu encapsuler dans des parfums des voyages et des expériences pour des explorateurs des temps modernes, des gens curieux et ouverts d’esprits. La finalité, c’est que chacun soit surpris, se laisse porter par une nouvelle aventure.
Tu n’as pas eu de formation de nez. Comment as-tu concrètement transformé cette idée ?
Je fais beaucoup de synesthésie. À partir de cela, je cherche des aventures suffisamment universelles pour parler à différentes cultures et âges.
Comment le marché a-t-il évolué depuis 2018 ?
Il y a de plus en plus de phases de tendances.
Poussées par les réseaux sociaux ?
Pas seulement, en boutique également. Ça a été le cas pour nous avec Hibiscus Mahajád, devenu notre parfum de référence pour les clients. Une signature peut faire décoller une marque, multiplier par dix un chiffre d’affaires. Mais là où, me semble-t-il, il y a un changement significatif, c’est que le consommateur et les marques vont davantage vers des parfums avec de la tenue et du sillage, c’est-à-dire des fragrances qui tiennent et se diffusent. Pour lesquelles on t’arrête dans la rue pour te demander ce que tu portes. Les clients recherchent cette valorisation par le parfum.
Comment envisages-tu l’avenir du marché ?
Il y a un attrait pour la Haute parfumerie, en particulier chez les plus jeunes. De plus en plus de lieux en proposent par ailleurs. La nouvelle génération est très informée, notamment du fait des réseaux sociaux, de Tik Tok principalement. On me pose des questions précises, comme savoir quel type de cèdre est utilisé pour tel parfum. Les 15-20 ans sont plus éduqués que je ne l’étais. On ne peut pas les tromper. Enfin, je remarque qu’il y a de plus en plus de nouvelles marques.
Trop ?
Peut-être, mais il reste de la place pour de beaux projets. Pour émerger, il est clé de proposer de l’originalité. Cela nous oblige à être force de propositions et, surtout, d’avoir une identité olfactive et graphique puissante.
Que réponds-tu lorsqu’on te demande comment lancer une marque ?
Ne le faites pas parce que c’est votre passion ou pour raconter de belles histoires : soyez généreux et mettez-y du cœur. Évidemment, c’est essentiel que cela vous parle. Mais cela doit d’abord parler aux clients. On a très peu de temps en magasin pour convaincre, cela ne laisse pas de place au mensonge. Un parfum doit séduire en moins de dix secondes.
Quelles sont vos différentes collections ?
Les « expériences olfactives » sont concentrées entre 15 % et 25 % et proviennent d’aventures surprenantes que j’ai vécues. Les « chocs », dont Cuir fait partie, sont des extraits s’inspirant de moment coup de poing, avec des parfums concentrés à plus de 30 %, avec un sillage important. Pour « les évasions », on prend un ingrédient, comme le oud, à partir duquel on propose différentes directions.
Cuir InfraRouge est votre nouveauté. Pourquoi l’avoir d’abord vendu en exclusivité en Angleterre, chez Selfridges ?
Londres est une vitrine internationale. Il y a énormément de trafic chez Selfridges, également une importante clientèle du Moyen-Orient, qui aime nos parfums.
Tu t’es associé avec Jordi Fernandez pour cette création. Votre rencontre ?
C’est un très grand parfumeur espagnol. J’ai demandé aux équipes de Givaudan quel parfumeur serait le plus à même de créer un parfum avec du oud et du cuir, Jordi était une évidence. Il a longtemps vécu à Dubaï, il comprend les codes du Moyen-Orient tout en ayant un regard international. On a d’abord fait ensemble le Oud Maracujá, pour notre collection les évasions olfactives.
En quoi Cuir InfraRouge est-il un parfum original ?
J’ai voulu travailler cette fois-ci un cuir grainé, souple, à la manière de ma veste. J’ai pensé à des soirées électro, une ambiance sombre avec des néons, le goût d’un daïquiri avec une note de framboise, mon fruit préféré. Ce contraste cuir et framboise est inattendu dans la parfumerie. Cet ensemble est illuminé par de la bergamote, mais aussi de l’iris, deux variétés de cèdres, du oud, de la vanille, qui donnent du confort, de la profondeur et du sillage au parfum. Ce sont des notes complexes.
Par Alexis Lacourte
Photo Axel Vanhessche




