QUAND CHANEL S’EXPOSE : « LE N° 5 ? UN REDOUTABLE ADVERSAIRE ! »

Thomas du Pré de Saint Maur chanel 5

Du 15 décembre au 9 janvier, la Maison Chanel vous invite à découvrir ses parfums dans une exposition immersive exceptionnelle au Grand Palais éphémère. L’occasion de célébrer le plus célèbre numéro de la Maison et plus grand parfum français, Chanel N° 5.

Indomptable et résolument avant-gardiste, Gabrielle Chanel choisit, en 1921, l’échantillon de parfum qui à son image deviendra la fragrance la plus iconique de la maison Chanel. Le N° 5. Le nom de ce parfum a servi de point de départ à cette grande exposition Chanel, « Le Grand Numéro ». Comme le rappelle Thomas du Pré de Saint Maur, directeur général des Ressources Créatives Parfum, Beauté et Horlogerie Joaillerie de la maison depuis 2014 et instigateur de l’exposition, ce nom évoque également l’entrée de Gabrielle Chanel dans le monde. « Gabrielle Chanel est devenue Coco sur scène dans quelque chose de l’ordre de la performance et du spectacle. » Entretien.

Que représente Chanel N° 5 pour la maison aujourd’hui ?
Thomas du Pré de Saint Maur : C’est une des grandes colonnes vertébrales de la marque. Il est assez rare qu’un objet dans le monde du luxe soit l’expression la plus aboutie de l’esprit de marque et de son style. Ce que Chanel N°5 représente pour nous, c’est à la fois un modèle, une référence mais aussi la sentinelle de la marque. Et, en même temps, c’est un redoutable adversaire. Il est tant l’expression de la marque qu’il vient toujours nous challenger. Chaque fois qu’on fait quelque chose, il gratte à ma porte pour me dire : ​« Tu es sûr ? »

Comment expliquez-vous le succès de ce parfum qui traverse les époques ?
C’est une question qu’on me pose souvent et à laquelle je réponds avec humilité pour ne pas épuiser les réponses. Le N°5 incarne tellement la marque que l’on doit aussi son succès à celui de Chanel. Tout ce que fait Chanel étant à la fois contemporain avec le regard tourné vers l’avenir et en même temps toujours dans la préservation, que forcément cela est bénéfique pour le produit qui lui est le plus associé. Mais il y a une autre raison qui est intéressante, et que je dis sans aucune prétention : le Chanel N°5 incarne tout ce qu’on peut attendre d’un parfum. Il est l’archétype et le générique absolu du parfum. Tous les parfums du monde n’ont pas eu la chance de croiser la route de Marilyn Monroe ou d’Andy Warhol. Il y a peut-être aussi quelque chose dans l’ambition de ce que Chanel avait envie d’offrir aux femmes à travers ce parfum qui est assez universel. Tout ça signe le succès de ce parfum.

Comment est née cette idée d’exposition autour des parfums Chanel ?
Cette exposition s’inscrit dans une volonté de la marque de faire rayonner la dimension à la fois intime et spectaculaire, mais aussi physique de la qualité de ce parfum. Tout cela avait commencé avec l’exposition « Correspondances » à Shanghai bien que les enjeux et le public n’étaient pas les mêmes. Il y avait aussi la volonté de se dire que Paris est quand même la capitale du luxe dans le monde et du parfum, donc c’était bien de resituer ça dans ce lieu et à un moment de l’année où les gens se retrouvent, ont envie de vivre et de partager ensemble des émotions. On avait envie de faire quelque chose d’à la fois sophistiqué et populaire, pédagogique et récréatif. On l’a donc voulue gratuite et généreuse.

Chanel N° 5 n’est-il pas en lui-même une œuvre d’art ?
Il n’est pas une œuvre d’art, même s’il a évidemment inspiré le monde de l’art et a été reconnu par lui. En 1954, le N°5 est entré à l’exposition sur la modernité au MoMa. Il a franchi une frontière et est devenu un objet artistique parce qu’il était un absolu du design. On parlait de ce qui avait fait basculer le monde dans la modernité.

Comment et pourquoi Chanel N° 5 a-t-il influencé les artistes au fil des décennies ?
Au moment de sa naissance, il a inspiré les artistes de son temps parce qu’en plein dadaïsme et surréalisme, ce produit est arrivé comme une réponse à l’époque qui l’a adoubé. Il a tellement traversé les époques et est tellement pérenne qu’il devient un matériel intéressant pour un artiste. Warhol s’inscrit dans la suite de Marcel Duchamp qui s’était demandé si tout pouvait devenir art. Warhol pose la question sur l’objet de consommation duplicable à l’infini donc il prend dans la catégorie parfums, le produit le plus emblématique qui est le N°5 comme il a pris le Coca-Cola comme générique du soda et la Campbell Soup comme générique de la malbouffe.

Que représentent les artistes avec lesquels vous avez travaillé sur l’exposition ?
En faisant appel à Bertrand Burgalat, par exemple, j’avais envie que cette exposition puisse solliciter tous les sens, dont l’ouïe, donc j’avais très envie de faire quelque chose dans le domaine de la musique. La deuxième chose, c’est une affaire d’affinité puisque je connais bien Bertrand qui est un grand ami et c’est quelqu’un dont j’aime la liberté toute française. Il a quelque chose d’extrêmement classique et à l’intérieur de ce cadre classique, il a une liberté folle, c’est-à-dire une curiosité. C’est très Chanel. Et puis, c’est avant tout une histoire d’envie et d’amitié puisque je crois qu’on ne peut faire des choses bien qu’avec des gens que l’on aime.

Le nom de l’exposition « Grand numéro » est à double sens (le sens propre en écho au N° 5 mais aussi le sens artistique qui rappelle le cirque et la scène). Quelles ont été vos inspirations pour la scénographie de cette exposition orchestrée comme un spectacle ?
L’idée était d’essayer de trouver comment arriver à faire comprendre d’une façon sensible ce qu’est le parfum. Aujourd’hui, c’est devenu un produit acquis, mais qu’est-ce que veut dire un parfum Chanel ? On a décidé d’entrer dans ce sujet, non pas par une exposition hyper pédagogique qui prendrait le public par la main pour lui expliquer comment fabriquer un parfum Chanel, mais plutôt à l’inverse. On est entré par l’univers symbolique de chacun des parfums parce qu’évidemment, il y a dans chaque goutte de parfum des milliers de fleurs, un savoir de la création, et une éthique absolue des filières de production, mais aussi la promesse d’un monde plus grand. Cet événement est à la fois une exposition, une foire, une kermesse, une performance où le spectateur est transporté dans quelque chose de pédagogique, puis quelque chose de plus culturel avant d’être emporté dans une dimension plus récréative à travers les publicités Chanel N°5, attrapé par Coco Chanel, etc. Montrer qu’un parfum n’est pas juste une publicité, pas juste un savoir-faire, ni un design. La particularité du luxe et surtout de la maison Chanel, c’est que tous ces éléments sont liés par une chose : le style.

 

LA PISTE AUX ÉTOILES (PLEIN LES YEUX)

« Le nom de l’exposition “Le Grand numéro” est venu en revenant un peu sur l’histoire de la marque, en clin d’œil à la biographie de Gabrielle Chanel, nous explique Thomas du Pré de Saint Maur. Dans le ressort de ce nom, il y a quelque chose de son entrée dans le monde à elle, car elle est devenue Coco sur scène dans quelque chose de l’ordre de la performance et du spectacle. C’est dans un numéro qu’elle a créé ce personnage donc on a fait ce clin d’œil amusant qui résonne avec les numéros des parfums Chanel. »

Exposition « Le Grand numéro de Chanel », du 15 décembre au 9 janvier, au Grand Palais éphémère.

 

Par Margot Ruyter