SUPER CANNES 4 : UNE PALME SINON RIEN

The Zone of Interest

Comme prévu, The Zone of Interest de Jonathan Glazer est un film immense, une œuvre comme en voit peu dans une vie de cinéphile.

À Cannes, les jours passent et ne se ressemblent pas. Il y a bien sûr les fêtes, les marches, le tourbillon de la vie cannoise, mais surtout une sélection de films renversante, et parfois de vrais propositions de cinéma. Comme le très attendu The Zone of Interest, le nouveau Jonathan Glazer, petit génie du cinéma, polisseur de quatre diamants en vingt ans : Sexy Beast, Birth, Under the Skin et aujourd’hui, ce Zone of Interest, inspiré d’un roman de Martin Amis, mort le jour de la projection. Cette zone, c’est un petit coin de paradis, c’est une maison cosy avec un jardin magnifique qui jouxte le camp d’Auschwitz. Dans cette demeure, Glazer expose la vie quotidienne de Rudolf Höss, commandant du camp de concentration, petit génie de l’extermination de masse, de son épouse pragmatique et de leurs enfants. L’école, les baignades, le jardinage, les repas en famille, la piscine, le chien-chien… Du camp, on ne verra qu’un mur, ou des barbelés en haut du cadre. On ne verra rien mais on entendra tout : le bruit assourdissant des fours, les hurlements des Juifs, les cris des nazis, les déflagrations dans la nuit, l’horreur sourde qui gronde… Très vite, le spectateur est happé par le vrombissement continu qui vrille la tête et le bide, et le hors champ qui dévore le film et le monde. C’est insoutenable et chaque instant de ce quotdien placé sous le signe de la répétition et de la banalité nous renvoie à notre propre indifférence. Parler de chef-d’œuvre n’a peut-être pas beaucoup de sens, mais une nouvelle fois, Jonathan Glazer nous propose une expérience radicale, un film comme en voit peu dans une vie de cinéphile. Je vois mal comment la palme d’or pourrait lui échapper… 

LES BLESSURES MAL REFERMÉES DE TODD HAYNES

L’autre réussite éclatante de Cannes, c’est le nouveau Todd Haynes, May December. Pour les besoins d’un film, une comédienne (Natalie Portman) rencontre son modèle (Julianne Moore), une femme névrosée, à l’origine d’une passion transgressive avec un enfant de 13 ans. Le passé qui ronge le présent, le simulacre, le mensonge, les faux semblants, Todd Haynes signe une œuvre fascinante, complexe, en miroir. On pense souvent à Bergman, tandis que Haynes incise les psychés et les blessures mal refermées qui empoisonnent le présent. C’est à la virtuose et vibrant. Comme un cœur qui s’emballe un peu trop. Et surtout, il dirige deux comédiennes exceptionnelles. Julianne Moore, bien sûr, et Natalie Portman qui s’était compromise dans des films indignes de son talent. En vampire qui se nourrit de la vie et des sentiments des autres, elle est simplement extraordinaire. Le prix d’interprétation l’attend déjà au chaud.

On termine avec la déception de l’année, le nouveau Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon. Tourné pour Apple, c’est un téléfilm de luxe à 200 millions (où est passé l’argent), qui hésite entre le western et le polar. De Niro joue avec conviction un méchant très méchant, DiCaprio cabotine et imite Brando en avançant les maxillaires comme dans Le Parrain, et Scorsese nous assène un message hautement pertinent sur près de quatre heures (ressenti huit !) : les hommes sont méchants, le capitalisme, c’est le diable. Au-delà de l’accident industriel !

The Zone of Interest – Prochainement
May December – Prochainement
Killers of the Flower Moon, sortie le 18 octobre

LA PHRASE DU JOUR
« Le cinéma français est très multiple mais je trouve que l’écrasante majorité de ce qui se produit est nul. Il faut être honnête, c’est de la marchandise. »

Arthur Harari dans L’Obs


Par Marc Godin