SOPHIE DULAC : « SOUTENIR LA CRÉATION INDÉ »

Sophie dulac : Champs-Élysées Film Festival

Nous avons rencontré la productrice, distributrice et exploitante Sophie Dulac, également présidente et fondatrice de Champs-Élysées Film Festival, festival de cinéma indépendant français et américain, avec une sélection de films inédits, audacieux et engagés.

La 13e édition de Champs-Élysées Film Festival célébrera l’éclectisme culturel et la création indépendante. Quelle en est votre définition ?
Sophie Dulac : Rage de vivre et résistance pourraient être une description du cinéma indépendant, celui que nous défendons, tous genres confondus au sein des sélections, avec pour mots d’ordre authenticité et liberté. Plus largement, cela signifie aussi de ne pas dépendre d’un gros groupe de télévision ou d’un financier.

L’autre choix du festival est de mettre en avant les productions françaises et américaines. Pourquoi ?
Parce que j’aime le cinéma indépendant américain. Mon père m’emmenait au Studio-Bertrand, dans le 7e, où j’ai découvert les chefs-d’œuvre La Nuit de l’iguane de John Huston ou La femme au portrait de Fritz Lang. Ces films m’ont donné envie de montrer aux gens ce qu’était le cinéma américain, hors Star Wars, etc. En France, on ne voit quasiment que les blockbusters, parce qu’il n’y a pas de convention de coproduction avec les États-Unis. Très peu de producteurs prennent le risque de diffuser les films américains indépendants. Nous le prenons.

Combien de personnes sont venues en 2023 ?
On a accueilli entre 12 000 et 15 000 personnes.

Chaque année, l’affiche du festival est illustrée par une photo de Marilyn Monroe. Cette année, c’est la photo d’Eve Arnold lors du tournage de The Prince and the Showgirl de Laurence Olivier.
C’est bien sûr le cinéma américain, le glamour, le beau. Mais Marilyn, c’est aussi l’indépendance, l’audace, la liberté et l’intelligence.

Pourquoi faire ce festival sur les Champs-Élysées alors que vous êtes propriétaire de salles (l’Arlequin, le Majestic Bastille et Passy…) ?
Nous faisons la distinction. Et surtout l’avenue des Champs-Élysées est l’un des endroits les plus beaux de la terre un dimanche ensoleillé à 8 heures du matin. Entre l’Arc de triomphe et le rond-point des Champs-Élysées, il ne se passe plus rien sur le plan culturel. 300 000 personnes y défilent pourtant chaque jour… C’est un endroit magique. Il faut y retourner, c’est l’un des symboles de notre capitale.

Le festival se déroule de 18 au 25 juin. Les Jeux olympiques sont une occasion magnifique pour Paris, mais un défi de grande ampleur. Est-ce une édition plus difficile à organiser compte tenu des menaces sécuritaires ?
Oui. Personne ne sait réellement ce qu’il va se passer. Nous sommes pile un mois avant la fin de l’installation des sites olympiques et il y en a trois sur les Champs-Élysées ! À l’heure où je vous parle, les travaux ont déjà commencé. Nous ne savons pas encore s’il y aura des contraintes de circulation lors du festival.

Vous n’en discutez pas avec la mairie ?
Si, bien sûr, mais ils ne savent pas eux-mêmes. Tout le monde est dans le flou. Nous avons donc décidé de ne pas faire venir de grands invités américains, surtout pour des questions logistiques.

Dans les 70’s, il y avait 65 salles de cinéma sur les Champs-Élysées. Il en reste trois, deux de moins depuis 2023. Depuis le Covid, je retourne au cinéma. J’ai l’impression que les salles se remplissent plutôt bien, que les gens se lassent, en partie, du streaming. Je me trompe ?
Oui et non. Pour moi, aller au cinéma est devenu une démarche militante. Ma génération continue d’y aller. Les plus jeunes, c’est difficile. Chez Dulac Cinémas, nous avons pris le parti de révolutionner l’exploitation. On fait tout dans nos salles, jusqu’à une boîte de nuit à l’Arlequin dernièrement où l’on a accueilli 800 personnes.

L’éclectisme pour sauver les salles ?
Si nos salles de cinéma ne deviennent pas des lieux culturels au sens large, nous ne tiendrons pas le choc. On propose donc aussi bien des soirées drag, que l’Eurovision, ou des ciné-club sur des films de genre, des rencontres : tout ce qui peut être multiculturel en gardant notre ADN cinéma.

Votre dernier coup de cœur ?
Zone of interest ! Il m’a presque rappelé Le Fils de Saul où l’on était au-delà de l’émotion.

Une séance de cinéma coûte-t-elle trop cher ?
Non. Sauf si vous allez au Pathé Beaugrenelle voir Dune avec du pop-corn. On a mis en place la carte Dulac Cinémas, la place revient à 5,90 euros. La difficulté, c’est de faire venir votre génération. Pendant le Covid, ce qui a été un choc absolu pour moi, qui suis attachée aux mots, c’est que nous n’ayons pas été essentiels. Tout le monde s’est abonné à Netflix – moi la première, il fallait bien un peu de culture. Mais j’ai été outrée par l’absence d’une politique française qui mette la culture au premier rang. Dieu sait pourtant qu’elle élève les esprits. Qu’elle empêche également de se faire manipuler. La culture rend libre. Je relis d’ailleurs régulièrement Une Vie de Maupassant, c’est de la beauté, de l’oxygène, c’est absolument nécessaire. Pour terminer cet entretien, j’aimerais citer Dostoïevski qui affirmait que « la beauté sauvera le monde ».

Champs-Élysées Film Festival, 13e édition – du 18 au 25 Juin 2024. Le Balzac, Le Lincoln, PublicisCinémas, Club de L’étoile, Cinéma Mac-Mahon.

 

Par Alexis Lacourte
Photo Jeanne Pieprzownik