PETER DOUROUNTZIS, RÉAL’ SOCIAL : « UN CONSEIL ? ÉCRIRE PROCHE DE SOI. »

Vaurien

L’Interview Film School

Diplômé de l’ESRA et avec 15 ans de loyaux services à son actif au Samu Social, Peter Dourountzis nous offre son premier long métrage, situé à mi-chemin le polar et le thriller : Vaurien. Travaillant sur ce projet depuis un vingtaine d’années dans un souci de trouver l’angle juste afin de ne pas glorifier son « héros », le réalisateur définit son long métrage comme « un film de mauvais genre ». Directement inspiré des serials killer parisiens des années 90 (Guy Georges, Mamadou Traoré…), il réunit le talentueux Pierre Deladonchamps et la jeune étoile montante Ophélie Bau (Mektoub My Love).

Ça se sent en voyant le film que tu as fait deux écoles : l’Esra et le Samu.
Peter Dourountzis : En école de cinéma, on est livrés à nous-mêmes pour écrire des récits. Généralement, on part de ce qui est proche de soi, moi je n’avais pas grand-chose dans un contexte personnel donc je me suis vite tourné vers un « vrai travail », dans quelque chose de social. Aller auprès des plus démunis, ça me paraissait être une porte ouverte à pleins de récits de vie différents. Forcément, ça a nourri le cinéma par la suite.

On peut penser aussi que faire 15 ans dans le Samu ça t’a fait voir une humanité cassée.
Ça permet de prendre du recul, on se décentre de soi-même. A 20 ans, j’avais envie de faire du cinéma un peu « béatement », et à se concentrer sur le récit des autres on ne se pose plus que la question du point de vue. Au lieu d’être sur un plateau et de gérer des jours de tournages, j’avais de l’urgence directement liée à la vie des gens. J’étais du coup très détendu quand j’arrivais sur un plateau !

Ton expérience de réalisation ne t’a pas réservé de mauvaises surprises ?
J’étais très détendu, face à une équipe qui avait déjà plusieurs films à leurs actifs. Les deux premières semaines, je prenais les choses par-dessus la jambe. Il n’y a pas eu d’heures sup pour un tournage à petit budget, les gens étaient étonnés ! La préparation avait permis aussi que les gens ne s’épuisent pas. Pour des questions pratiques on n’avait pas de scriptes et j’avais délégué le « action » à mon chef op qui était placé plus proche des comédiens. Les comédiens ont assez mal vécu la première semaine le fait que je puisse me déposséder volontairement d’une partie de mon pouvoir et on s’est retrouvé à avoir une grosse discussion sur les pouvoirs du réalisateur. Je suis arrivé comme un chien dans un jeu de quilles et je l’ai fait à ma sauce, mais la machine s’est lancée assez rapidement.

Tu as été très marqué par les serial-killeur-agresseurs des années 90. Tu étais où à cette époque ?
Vers 15-16 ans, je suis à Paris, rue de Lappe. Je sais que j’ai croisé ces types-là dans les rues en rentrant chez moi ou dans les bars, et à leurs arrestations, ça m’a fait bizarre. Ce qui m’a bouleversé, c’est qu’à 3h du matin je pouvais rentrer chez moi et je ne risquais rien parce que j’étais un garçon. J’ai ressenti pour la première fois ma position privilégié d’homme blanc.

Dans le dossier de presse tu parles de la prise de parole d’Adèle Haenel et de cette phrase « les monstres n’existent pas ». Le monstre dont elle parle est un réalisateur de cinéma.
On en a beaucoup parlé avec Ophélie Bau, qui sortait d’un tournage assez particulier avec Kechiche. Il y a un moment qui nous a marqué pendant le tournage, lors du quatrième jour : on discutait en attendant que la mise en place se fasse et on se rends compte en se retournant que toute l’équipe nous attends dans un silence religieux. Parce que je suis le réalisateur, et parce que c’est l’actrice, personne ne nous a dérangé. On sent sur un plateau qu’on nous donne un pouvoir dont on pourrait totalement abuser. Quand on est convaincu de la nécessité d’avoir une hiérarchie transversale et horizontale, c’est très particulier.

Pour jouer Djé, c’était Pierre depuis le début dans ta tête ?
Quand j’ai écrit la première version en 2010, j’avais Roschdy Zem en tête puis à la réécriture, Patrick Dewaere . Quand j’ai rencontré Pierre, on a parlé de Dewaere ensemble et il s’est dit qu’il pouvait tenter quelque chose.

Des acteurs avec une sorte de charisme animale ?
C’est surtout l’aspect populaire et instinctif qui se mélange à la folie. Le Dewaere de Série Noire est particulièrement sombre, par exemple.

Comment en es-tu arrivé à filmer les agressions comme tu les filmes ?
Ça aussi, c’est quelque chose qui a évolué avec le temps. Quand j’étais étudiant, si j’avais pu mettre en scène le film, j’aurais fait un meurtre à la de Palma, un autre à la Scorsese…Avec le temps, je me suis rendu compte que j’avais une responsabilité et que je me devais de protéger le spectateur des scènes d’agressions. Quand je filme, il ne peut rien arriver au personnage féminin qui est en danger. C’était important pour moi de faire ma rencontre avec les spectateurs sur une base de confiance.

Vaurien


Tu es déjà mentalement sur ton prochain long-métrage ?
Je suis déjà sur plusieurs projets. J’ai un film sur des journalistes de faits divers qui parcourent la France, et un autre sur la police ,qui me tient très à cœur.

Vaurien a trouvé sa place en sélection officielle de Cannes dans la catégorie premier film . Tu t’y attendais?
De base, on visait plutôt la Quinzaine des réalisateurs ou la Semaine de la critique ! Avec le Covid, beaucoup de gros films se sont décalés à l’année d’après, et ça a laissé de la place pour des plus petits films. Ça nous a offert plus de visibilité.

Si tu devais donner un conseil à ton toi étudiant de 18 ans ?
Écrire proche de soi, c’est important. On est peu de Xavier Dolan, on n’a pas cette maturité à 25 ans. Ça vaut le coup d’attendre, même si c’est terrible de n’être crédible qu’à partir de 40 ans dans le cinéma !

Quelles sont tes références scénaristiques ?
Pour Vaurien, j’avais Paul Schrader et son Taxi Driver en tête. J’adore Claude Sautet, ses personnages me bouleversent. L.627 de Tavernier m’avait beaucoup aidé aussi pour l’aspect social mais aussi pour l’aspect comédie. Je me suis dit qu’on n’était pas obligé de rester dans un seul genre, on peut associer plusieurs cinémas.


Par Adèle Chaumette