Moins ostentatoires que vos Balenciaga, plus pointues que vos Nike : on a vu les basket ON aux pieds des magnats de la tech ou des milliardaires en galeries d’art. Mais que veulent-ils nous prouver ?
Légende photo : ON FIRE_ Depuis que la tennis girl ultime, Zendaya, est devenue l’égérie de la marque suisse les sneakers On sont devenues un must-have, de la Silicon Valley aux art galeries chic de Shanghai. On vous en prend une paire ? (ici, la paire designée par l’actrice avec Law Roach).
« Meuf, il y à des ON partout », me déclare en facetime mon ami jet setteur, au milieu de son voyage fast-life à New York. Au bout du fil, je frissonne. J’avais vu ces vidéos sur les « Airport Dad’s shoes », mais je refusais d’y croire. « Comment des chaussures aussi fades ont pu séduire autant de gens ? » La performance ? N’allez pas me faire croire que les semelles cloudtec® « révolutionnant les décollages de pointe » sont nécessaires pour se rendre au Starbucks du coin.
ABSENCE D’EXCÈS
Si ces ambassadeurs font surement un malheur dans les fêtes de quartier, ON s’appuie sur d’autres égéries sportives plus prestigieuses pour assurer son succès. Roger Federer, actionnaire de la marque, a une collection de tennis à son nom depuis 2020. Par la suite, la maison suisse a recruté des sportifs de chaque domaine, les mettant en scène dans des campagnes travaillées. Pour Simon Dugué, athlète de trail, réalisateur et ancien journaliste, l’apogée est atteinte avec l’arrivée au sein de l’équipe de Katie Schide, « la star absolue de la discipline ».. En juillet, elle apparaît dans la campagne « Love, Ultra », promouvant la nouvelle basket de trail à travers des images de courses joyeuses – et boueuses – au milieu de la montagne. « Cette campagne prend le contre-pied des souffrances qu’on peut ressentir dans ce sport », note Simon. « Parce que parcourir 70 km dans la montagne d’une traite, c’est évidemment de la souffrance. » De là, un attrait particulier pour un public extérieur au milieu sportif, en quête d’un symbole de performance : « Acheter du ON, c’est un peu appartenir à cette communauté qui fait des choses très difficiles, en ne gardant que l’expérience positive ».
Côté mode, porter des items d’outdoor au quotidien, ce n’est rien de nouveau sous le soleil. C’est Guillaume Salmon, alors Responsable Com chez Colette – le mythique concept store du boulevard Saint Honoré – qui a largement participé à instaurer la mode « gorpcore » à Paris. La boutique a exposé dans ses rayons des collaborations avec Puma, Lacoste, Saturdays Surf NYC, ou bien la marque de skis Black Crows. S’il existait encore aujourd’hui (le magasin a pris sa retraite avec sa propriétaire en 2017), sans doute que des basket suisses ornées d’un logo rond trôneraient sur ses étagères.
Car en plus de son succès sportif, ON a choisi parmi les stars des icônes de mode comme la rappeuse et danseuse FKA Twigs. La dernière en date, Zendaya, est apparue dans sa première campagne « Zone Dreamers » en avril dernier. Toute de vert pâle vêtue, oreilles pointues dépassant de la bob cut, elle s’active dans un vaisseau futuriste et sobre. Pour Alice Pfeiffer, journaliste et auteure du Goût du Moche (Flammarion), cette absence d’excès s’inscrit dans une tendance globale. « On va forcément avoir un retour au minimalisme. En termes de mode, on est tellement allé dans l’excès et l’ornement, qu’on revient vers la fonctionnalité. »
SIESTES CHRONOMÉTRÉES
À contrario de son concurrent direct Hoka – maxi semelles et couleurs flashy – aux pieds des amateurs d’art ou des cadres, les ON ne se font pas remarquer. Blanches, logos quasi-invisible, leur plus-value ne provient pas d’une distinction apparente. Leur prix (l’un des plus hauts du marché) se justifie plutôt par l’expérience premium promise tout au long de l’achat. Esthétique léchée des boutiques, emballages impeccables… C’était la stratégie (réussie) d’Apple, qui vend ses produits dans un univers blanc et minimaliste. Mieux, elles sont une nouvelle distinction sociale, au cœur de cette mouvance vers des silhouettes plus confortables. Les initiés reconnaîtront le produit premium, tandis que cette course vers le fonctionnel, côté bas de gamme, ne concerne souvent que l’esthétique des items vendus : lunettes de soleil sans protection UV, gourdes fancy aux microplastiques, vestes techwear qui ne supportent pas la pluie… Moi, par exemple, j’aurais bien aimé qu’on me dise que c’était une mauvaise idée de courir avec des New Balance.
Et puis, pour Alice Pfeiffer, ce qu’on revendique aussi en portant ces chaussures, c’est un lien avec le sport, la nature. Un anticonsumérisme détaché du capitalisme et de ses tendances. Un peu ce qu’on retrouve dans le biohacking – l’optimisation de soi à travers le sport, les siestes chronométrées ou le micro-dosing de champignons – plébiscités par les As de la french-tech. « Ce qui est intéressant, c’est que c’est une culture presque ésotérique, et finalement très liée à la droite : dans les pays anglophones, on retrouve l’Intellectual Dark Web. Dedans, il y a l’anti-woke Jordan Peterson, le mathématicien Éric Weinstein, et l’animateur très polyvalent Joe Rogan. Et tous méditent, se targuent d’aimer la nature, le bio… Elon Musk est sûrement un type qui médite, fait du yoga et prend des champis. Ces symboles sont terriblement versatiles. » Les basket de courses, chaussures indissociables du sport, accompagnent forcément l’idée d’un corps investi par le libéralisme comme un capital à enrichir, tout en faisant mine de rejeter la société de consommation dans tout ce qu’elle a d’ostentatoire. En bref, la prochaine fois, choisissez mieux vos pompes. En plus, le blanc, ça tâche.
Par Adèle Thiéry