MORIBA KONÉ, LE DÉCRYPTEUR : « LE POINT CULMINANT DU STREET-LUXE… »

Moriba Koné Technikart

Le culture marketing manager des marques Daily Paper et 3 Paradis s’impose comme l’un des plus fins observateurs de l’industrie de la mode. Il partage ses coups de cœur avec Technikart.

Tu travailles pour le marketing des marques Daily Paper et 3 Paradis. Comment décrirais-tu l’évolution du marketing de la mode ces dernières années ?
Moriba Koné : On a surtout connu de grands changements depuis les années 2010 avec trois figures : Virgil, Demna et Jacquemus. En gros, depuis Abloh, le marketing fusionne avec la création : Abloh était très fort pour faire s’entrelacer plusieurs influences, ce qu’il a très bien prolongé chez Louis Vuitton Homme dès 2017. Demna (Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga, ndlr) est aussi une référence de ce nouveau marketing. Lorsqu’il fait la promotion de ses baskets déchirées, ce n’est plus seulement de la création. J’aime bien parler, malgré que ce soit antinomique, de marketing créatif. 

Et ce qui a changé avec la mort de Virgil Abloh en 2019 ?
On sent que l’ère street qu’il a menée avec son entourage est en perte de vitesse et laisse de la place à la tendance quiet luxury, avec des pièces neutres et minimalistes. Pendant une dizaine d’années on a beaucoup pris du Supreme, du Louis Vuitton, du Adidas, du Balenciaga et aujourd’hui le old fashion apparaît, avec probablement une envie de respirer. 

Tu as co-créé et géré la marque Applecore en duo avec Steven Alexis, de 2015 à 2019. Depuis la fin de cette aventure, tu t’es fait connaître par un nouveau public avec tes textes de décryptage mode, « État de la culture », sur les réseaux.  
J’ai commencé à produire ce contenu pendant le confinement, de façon éphémère à travers mes storys Instagram. Puis on m’a convaincu de le faire en post, et ensuite j’ai opté pour le format dans l’air du temps, les vidéos. Quelque temps après, un de mes amis, le fondateur de la marque Daily Paper (Jefferson Osei ndlr), m’a proposé d’être culture marketing manager. 

Ce qui consiste en quoi précisément ?
Je m’occupe d’identifier les mannequins, les photographes, les stylistes, les créateurs de contenus, les rappeurs, les sportifs, etc. qui correspondent à la marque, en vue de créer des histoires, des temps forts et positionner la marque de manière pertinente. Je travaille également main dans la main avec le créateur Emeric Tchatchoua, fondateur de 3 Paradis, à travers le processus créatif et le marketing culturel. 

Et tes textes persos ?
Au fil du temps, quelques personnes m’ont convaincu de reprendre mon contenu sur la mode et je m’y suis mis à fond depuis 2022. Et aujourd’hui, État de la culture, je le fais aussi en vrai : je l’ai fait au Mali et aussi au Soho House à Paris.

Dans État de la culture, tu as une lecture franche, accessible et audacieuse de la mode. Quelles sont tes influences ? 
Pour mes posts, j’écris comme des articles mais sans trop faire de recherches, ça donne ce ton naturel ; c’est toute la quintessence d’État de la culture. 

Et tes influences plus générales ?
La plus forte, c’est Kanye West à l’époque de 2008, 2009 – quand il a commencé à s’intéresser à la mode. Il mixait mode, art, sons rock, ça a beaucoup influencé mon ouverture artistique et créative et ça m’a permis d’avoir cette curiosité qui est ma plus grande force aujourd’hui. Il y a aussi les personnalités de son arbre généalogique comme Virgil Abloh, jusqu’à Playboi Carti, aujourd’hui, c’est ma base. Ensuite, j’ai aussi été inspiré par les créateurs des années 1980-1990 avec Rei Kawakubo, Yohji Yamamoto, Martin Margiela et Raf Simons. C’est l’arbre plus anti-fashion des années 1980. J’analyse le présent en parallèle ou versus le passé, en comprenant les similitudes et les différences.

« PHARRELL EST UN PREMIER DE LA CLASSE, IL Y A UN TRAVAIL PRESQUE IRRÉPROCHABLE. »

 

Et que t’inspire l’arrivée de Pharrell Williams chez Louis Vuitton Homme ? 
C’est culturel. Louis Vuitton a toujours été pertinent vis-à-vis du timing et de l’histoire. De leur collaboration joaillerie avec Pharrell Williams, des sneakers avec Kanye West, en passant par l’époque Marc Jacobs (de 1997 à 2013, ndlr), tout montre qu’ils sont toujours à la pointe des tendances. L’arrivée de Pharrell Williams, c’est donc une nomination « full circle » ; je pense que Virgil Abloh aurait validé cette décision. Pharrell est un premier de la classe, peu importe les critiques, derrière il y a un travail presque irréprochable. C’est le point culminant du streetwear qui embrasse le luxe français.

Chez Technikart, on appelle ça « streetluxe ». 
Pourquoi pas ? (Rires.) Le streetluxe, alors.

Tu avais réussi à placer tes deux premières marques chez Colette… Ce lieu a joué un rôle important pour toi ?
Colette raised me ! Ce lieu m’a bercé, élevé et a marqué mon histoire. J’ai benchmarké Colette, sans le faire exprès, j’y allais tellement ! Y être vendu, c’était mon premier succès après mes études à l’Institut Français de la Mode. J’ai vendu ma première marque Maison Seine dans ce concept store, et ensuite j’ai collaboré avec Colette pour ma marque Applecore. 

Ce que tu y as appris sur l’industrie de la mode ?
Le positionnement prix, le positionnement produit, la façon dont tu sépares le streetwear, le luxe et/ou comment tu peux mélanger toutes les influences, à la fois en ayant Karl Lagerfeld, Drake, Pharrell, des photographes comme Scott Schuman, des émergents. Aujourd’hui, on manque de hubs parisiens qui laissent la place aux jeunes créateurs. 

Quels liens entretiens-tu aujourd’hui avec le vêtement ? 
Les pièces sont rarement hors du commun, on est dans de la ré-interprétation. La dernière qui m’a bluffée, c’est le hoodie pixelisé de JW Anderson chez Loewe. 

Penses-tu que Supreme puisse rebondir ?
Le déclin est normal à la suite du prime très long que la marque a connu. Mais la mode est une question de cycle. Ils ont été vendus à 2,1 milliards de dollars il y a trois ans, ils existent depuis trente ans, c’est déjà monstrueux. Le fait que leur image soit moins perçue comme cool est sans doute lié au rachat, au fait qu’ils soient moins core, moins culture, on le ressent encore plus quand on voit l’affaire avec Tremaine Emory. Qu’une personne éminente de cette sphère dépeint un racisme systémique n’arrange rien. On verra si cette situation les éteints. Mais je n’y crois pas, beaucoup de marques ayant été accusé de racisme ont survécu comme D&G, Gucci et j’en passe. Je suis curieux de voir comment ils vont réagir et s’ils vont continuer de proposer de nouveaux directeurs créatifs comme les maisons de luxe. Clint de chez Corteiz aurait été un bon fit pour un rebond.


Par Anaïs Dubois
Photo Axel Vanhessche