MICHAŁ GILBERT LACH : « LA PATATE EST UN DIAMANT »

MICHAL GILBERT LACH

Fondateur et directeur créatif de la marque de parfums Bohoboco, le créateur polonais de fragrances Michał Gilbert Lach verse dans ses flacons les senteurs intrigantes de son enfance. Interview inspirée.

Vous êtes né dans un petit village de Pologne au milieu des années 1990 avec un rêve : créer du parfum. Quel est votre premier souvenir olfactif ?
Michał Gilbert Lach : Avec ma mère, médecin-pédiatre. Enfant, je passais des heures dans son cabinet, entouré d’un mélange brutal de produits médicaux qui, dans mon souvenir, avait quelque chose de presque fleuri. En Pologne, nos boutiques ne proposaient que des déodorants ou de l’eau de toilette pour hommes. C’est pour ça que mon pays reste si présent dans mon travail : mes premiers contacts avec le parfum sont liés à cette simplicité sèche. Un jour, j’ai confié à mes parents que je voulais créer des fragrances pour le monde entier. Leur réaction a été terrible, ils m’ont même emmené voir un psychologue : à l’époque, en Pologne, l’idée qu’un garçon rêve de devenir parfumeur paraissait insensée. J’ai dû enfouir ce rêve… jusqu’au jour où, grâce à ma marque de mode, j’ai pu lancer mon premier parfum. Depuis, je ne fais plus que ça, c’est bien plus profond comme manière de s’exprimer, la mode est devenue bien trop étriquée pour moi.

L’histoire de la marque ?
J’aime créer des parfums clivants : qu’on les adore ou qu’on les déteste, mais jamais qu’on les trouve simplement « sympas ». Le contraste est pour moi la meilleure façon de bousculer les sens et de provoquer une émotion réelle. Je travaille beaucoup avec ma mémoire personnelle, mais aussi avec la mémoire collective. Quand une création est sincère, les gens le sentent : ça réveille quelque chose de profond en eux, parfois même de l’ordre de l’inconscient

Techniquement, comment construire un parfum lorsque l’on part de rien ?
On ne part jamais de rien. Tout commence par une histoire, un souvenir que j’écris, que j’imagine, auquel j’associe des notes, des couleurs, des émotions. Puis j’envoie ce moodboard à mes nez et on travaille ensemble, parfois longtemps. Red Wine & Brown Sugar vient d’un dîner avec une amie lors d’un moment de doute. Elle avait apporté une bouteille de l’un de ses voyages, et avait préparé crème brûlée. Je revois la lumière tamisée, les bougies, l’odeur du sucre brûlant, le goût puissant du vin… Un souvenir qui a marqué ma vie. Si ce parfum marche si bien, c’est parce qu’il porte en lui cette intensité : une émotion sincère, cristallisée dans un flacon.

Et Polish Potatoes…
C’est une ode à la culture polonaise, j’ai utilisé la mémoire de mon enfance, chaque centimètre de cette vie, et ce qui la traduit le mieux, ce sont ces grands marchés ruraux où l’on vend de tout mais où la pomme de terre est reine. Quand j’ai lancé Polish Potatoes, c’était un risque. Mais j’ai été surpris : les gens, aux États-Unis et dans les pays arabes, ont adoré. Ça intrigue, c’est à la fois un hommage à mes grands-parents, à ces lieux de vie de mon enfance, et une manière de montrer que la patate est un diamant, qu’on transforme et polie jusqu’à devenir l’un des joyaux de notre patrimoine national.

Chez Bohoboco, vous ne faites pas de parfums genrés. Pourquoi ce choix ?
Un parfum n’a pas de genre. Ce n’est pas une question de corps, mais de personnalité. Les vêtements montrent l’apparence, le parfum révèle l’intérieur : l’esprit, la sensibilité, l’âme. C’est la meilleure façon d’avoir une signature unique.

Et vous, quelle est la vôtre ?
Dans mon métier, je ne peux pas porter de parfum tous les jours : pour travailler sur une fragrance, il faut garder le nez « propre » comme on dit. Mais quand je ne crée pas, je mélange plusieurs échantillons de mes compositions en fonction de mon humeur du jour. C’est ma manière de traduire ce que je ressens dans l’instant.

Je crois savoir que l’idée vous traverse l’esprit d’ouvrir une boutique à Paris. Quelle est la suite pour Bohoboco ?
J’adorerais ouvrir mes propres boutiques Bohoboco à Paris et à New York ! Ce sont les deux plus belles villes du monde, la créativité est infinie ici. Au-delà de ça, mon vrai rêve est de bâtir une marque assez forte pour traverser le temps, une maison qui existera encore pour les générations futures. Je suis le bienheureux père de triplés, et je veux absolument qu’un jour mes enfants puissent partager ce que j’ai créé, et pourquoi pas le perpétuer…

bohobocoperfume.eu

 

Par Max Malnuit
Photo Axel Vanhessche