MATTHIAS SAVIGNAC : « LE SENS DE L’ALTÉRITÉ »

MATTHIAS SAVIGNAC : « LE SENS DE L'ALTÉRITÉ »

Depuis 2021, Matthias Savignac conduit la transformation de MGEN dans un système de santé fragilisé. Redistribution exceptionnelle, santé globale, IA, prévention, rapport aux enseignants : il redéfinit un mutualisme social, humain et résolument moderne.

Vous êtes devenu président en 2021, après être entré chez MGEN (la Mutelle Générale de l’Éducation Nationale) en 2007. Quelle impulsion vouliez-vous donner ?
Matthias Savignac : J’ai été élu au moment où l’arrivée des contrats collectifs bouleversait l’écosystème de la santé dans la fonction publique. MGEN a bientôt 80 ans : on doit prolonger cette histoire tout en l’adaptant. J’ai voulu changer l’état d’esprit, privilégier la coopération entre mutuelles pour défendre un modèle non lucratif face aux assureurs privés. Certaines alliances semblaient improbables, mais elles nous ont renforcés. Mes réélections en 2023 puis cet été montrent que la trajectoire est partagée.

Pourquoi avoir décidé cette redistribution exceptionnelle de plusieurs millions d’euros ?
Une mutuelle vit des cotisations de ses adhérents. Nous faisons chaque année des projections sur la consommation médicale et les transferts entre Assurance maladie obligatoire et complémentaires, mais la consommation a été plus faible. Et des remboursements que nous anticipions ont finalement été assurés par l’Assurance maladie. Sans actionnaire, ni recherche de profit, il était légitime de rendre ce qui n’avait pas été consommé. Notre but étant toujours de servir les intérêts de nos adhérents.

Cela traduit-il une évolution des comportements de santé ?
L’analyse est complexe : certains postes augmentent, d’autres ralentissent. L’écart majeur vient surtout de transferts prévus au PLFSS 2025 qui ne se sont pas matérialisés. Ce différentiel a créé un surplus que nous avons choisi de redistribuer.

La santé globale prend de l’importance. Comment MGEN l’intègre-t-elle ?
L’OMS définit la santé comme un état de bien-être physique, mental, social et intellectuel : c’est notre base. Nous travaillons depuis longtemps sur les déterminants de santé, notamment le sport, avec un engagement fort sur le sport féminin pour réduire les inégalités de pratique. Et nous avons ouvert un nouveau front : le logement. Avec Arcade-VYV, nous avons créé le « logement santé », pensé autour de matériaux non nocifs et de la proximité des services essentiels.

Pourquoi la prévention peine-t-elle à devenir un réflexe national ?
Parce qu’elle fonctionne sur du temps long, alors que la politique vit dans le court terme. Elle progresse, mais son modèle économique reste fragile. Beaucoup d’avancées viennent d’acteurs de terrain : l’épidémie de Monkeypox, par exemple, a été contenue grâce aux associations LGBT.

Les jeunes attendent un accès aux soins plus rapide et plus digital. Comment vous adaptez-vous ?
Nous développons nos applications, travaillons sur l’IA générative et avons un ChatGPT interne. C’est indispensable. Mais la santé touche à l’intime : rien ne remplace la relation humaine. L’enjeu est l’équilibre entre outils numériques et présence physique, d’où notre présence locale. 

Comment éviter que l’IA ne déshumanise le soin ?
Nous avons une boussole simple : une mise en paiement peut être gérée par IA ; mais une écoute psychologique, jamais.

Face à la désertification médicale, quel rôle joue MGEN ?
Nous ne sommes pas seulement une mutuelle : nous sommes acteur de soins. Sur nos 9000 salariés, 4500 travaillent dans des centres de santé, EHPAD, structures de santé mentale ou de réadaptation. Le droit au remboursement ne vaut rien sans accès réel. Dans nos établissements, il n’y a pas de dépassement d’honoraires : zéro reste à charge.

Comment réinventer le lien avec l’Éducation nationale ?
Nos données sur les prises en charge en santé mentale disent beaucoup : 70 % des bénéficiaires sont des femmes, 40 % ont moins de 30 ans. Les enseignants vivent un manque de reconnaissance. Avec le ministère, nous avons créé les espaces d’accueil et d’écoute, gratuits, pour permettre la parole et l’orientation.

La suite pour 2026 ?
2026 marque nos 80 ans, le déploiement du plus grand contrat collectif d’Europe avec 1,8 million de fonctionnaires, un nouveau plan stratégique et un objectif RSE clair : aligner nos activités sur une trajectoire 1,5 °C. Tous nos emplois et nos données sont en France, et nous ne dépendons que de nos adhérents. Mon souhait personnel : retrouver le sens de l’altérité. Dans une société où nous débattons moins, nous voulons surtout avoir raison, les entreprises restent les derniers lieux où cette diversité peut exister. Le mutualisme n’est pas un héritage figé : c’est un modèle d’une modernité folle.

www.mgen.fr


Par Lou Madamour

Photo Olivier Rolfe