À 29 ans, Lyna Khoudri, déjà détentrice de deux Graals du cinéma, nous rencontre à l’aube de la sortie du film La Place d’une autre, dans lequel elle donne la réplique à Sabine Azéma. Entretien sous les projecteurs.
Dans un film d’époque comme La Place d’une autre, est-ce que c’est toi qui travailles ton costume avec la costumière ou le costumier ?
Lyna Khoudri : Pour ce rôle-ci, j’ai fait des essayages pour trouver ce que je voulais, mais ils avaient plus la main. Lorsqu’il s’agit de rôles plus contemporains, je me lâche complètement. Dernièrement, j’ai même fait un moodboard à la cheffe costumière du film de Jimenez, Novembre. On dit que l’habit ne fait pas le moine, mais malheureusement, si. Et pour le film de Mounia (Meddour, réalisatrice de Papicha, en 2019, ndlr), c’est pareil, j’ai tout fait.
Et avec des réalisateurs très carrés, comme Wes Anderson, tu as eu autant de libertés ?
J’avais le droit de donner mon avis sur mes préférences, mais Wes dessine tout son film avant. Donc, par exemple, le casque de moto était déjà fait. En plus, il a travaillé ses dessins deux ans à l’avance, je ne peux pas arriver et imposer mes tenues. Dans sa tête, c’est réellement une bande dessinée à la base.
Ça fait quoi de travailler avec Wes Anderson ?
Je stressais beaucoup, je n’avais rien préparé, parce que Wes ne voulait pas que je le fasse. Je cherchais donc des références à Mai 68, sur les révoltes, etc. Et lui ne calculait pas du tout, il me disait : « Mais regarde Le Pont du Nord de Jacques Rivette, ou La Règle du jeu de Renoir ou Partie de Campagne ». Et je me disais : « Mais de quoi il me parle avec ses films des années 1920 ? ». En fait, ce ne sont que des attitudes, des façons de parler, un rythme, des choses impalpables.
« UNE FOIS QUE TU ENFILES LE COSTUME, C’EST MAGIQUE. »
Comment ça se passait au moment du tournage ?
Une fois que tu enfiles le costume, tu n’as rien besoin de faire, c’est magique. Il y a des décors incroyables, un texte qui te dépasse, un costume sur mesure…
Lorsque tu fais des shootings pour les médias après les tournages, est-ce que cette partie-là du métier te permet de te construire une autre image d’actrice ?
J’essaie d’être moi, là où au cinéma je le suis moins. Même si c’est moins naturel pour moi de poser avec des robes et des paillettes. C’est un temps un peu suspendu lorsqu’on pose. Quand je joue, j’ai plus l’impression d’aller chercher des choses que je connais, même si ce n’est pas vrai, il y a des vraies émotions qui me traversent. Alors que pour poser, c’est un rythme particulier, il faut se mettre en « stand-by ».
Tu travailles en étroite collaboration avec Chanel. Quelque part, c’est un deuxième métier ?
C’est vrai que c’est complètement différent, mais c’est la marque Chanel qui me permet le plus d’être actrice. Depuis toujours, elle est étroitement liée au cinéma. Elle fait des costumes et a toujours habillé les actrices, comme Marilyn Monroe. Et elle est souvent à l’origine des projets culturels.
C’est donc Chanel (qui a toujours mis en avant les femmes) qui t’a le plus parlé vis-à-vis des autres marques ?
Tout à fait, Chanel est moins dans une image fashion. Je m’y sens plus à ma place, la marque a plus à cœur de représenter la Femme sous tous les angles, tous les âges, toutes les formes et de tous les styles.
Quelle est la première fois que tu as eu à faire à la marque aux deux C ?
C’était une collaboration à propos de leur rendez-vous littéraire de la rue Cambon. J’ai fait une lecture de Camille Laurens, Fille. Ça m’a permis, en même temps, d’être actrice. J’avais bossé mon texte comme une lecture que j’aurais faite au festival d’Avignon.
Tu joues plusieurs fois également dans des films qui traitent de mode. C’est une autre vocation manquée ?
Forcément, mais en faisant ces rôles, je me suis rendu compte que la mode était un métier. Grâce à mon film, j’ai appris ce que c’était une couturière, une brodeuse, une créatrice, etc. Ce sont plus des métiers d’artisan.
L’univers du cinéma ressemble à celui de l’artisanat du luxe, finalement ?
Oui, il y a un esprit de famille dans le cinéma qui est même plus présent dans les maisons de couture. J’ai retravaillé avec Mounia Meddour (après Papicha, ndlr), presque avec les mêmes acteurs, et quand ça se passe bien, on a envie de recommencer.
Aujourd’hui, un comédien ou une comédienne peut-il se passer de la mode ?
Il y a certains qui s’en passent, et ils le font très bien. Il faut y trouver du sens à mon avis. De mon côté, il y a avait quelque chose qui me fascinait dans ce monde, notamment après mon rôle dans la couture. Mais ce n’est pas la meilleure partie de notre métier, ce qu’on préfère, c’est d’être sur un plateau.
Que ce soit dans Gagarine, dans Haute Couture ou dans La Place d’une autre, ton personnage vient d’un milieu défavorisé. Choisis-tu uniquement des rôles qui te ressemblent ?
Des rôles, en tout cas, où je peux trouver un point d’accroche avec ma vie. Parce qu’au fond, ces personnages ne me ressemblent pas. Mais celui auquel je m’identifie le plus, c’est peut-être dans La Place d’une autre, parce que mon personnage s’élève socialement par l’art, la lecture. Et c’est aussi ce qui m’arrive dans le cinéma. Même si, à la base, on vient d’un milieu plutôt intellectuel avec mes parents, on a quand même grandi à Aubervilliers dans des classes sociales populaires. Et le cinéma dépasse la classe sociale.
En 2019, tu joues dans Papicha. Ça n’a pas été trop compliqué de jouer dans un tel film, qui fait notamment écho à l’histoire de tes parents ?
C’était un rôle plus conséquent, avec des grosses scènes d’émotion. C’était une autre manière de travailler. Avec Mounia, on prépare beaucoup en amont. Même le prochain film que j’ai tourné avec elle, on l’a préparé pendant un an. On ne se laisse pas le droit à l’erreur. Elle est super à l’écoute de tout ce que je lui dis, donc c’est comme si j’étais co-scénariste, quelque part. Mais c’est jouissif de travailler avec elle parce qu’elle nous laisse tellement de liberté.
Penses-tu que c’est cette proximité qui fait que tu as reçu un prix pour ce rôle ?
Je pense oui, le personnage était tellement collé à ma peau. Je l’avais tellement malaxé dans tous les sens, je m’étais tellement posée de questions sur toutes ses actions, ce qu’elle portait, etc. Et si le deuxième film est bon, c’est qu’on a trouvé la bonne technique…
La Place d’une autre, en salles
Par Margot Pannequin
Photos Anaël Boulay