LES SECTES FONT-ELLES DE BONNES POP-STARS ?

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Dans son premier long-métrage lumineux, le musicien et cinéaste Para One s’inspire de son histoire familiale et montre comment la pop-culture l’a sauvé d’une dérive mystique un peu folle.

« J’ai vécu dans le monde du Seigneur des Anneaux, j’étais passionné par cet univers vers 10 ou 11 ans. Je parlais même elfique ! À peu près au moment où, alors que j’avais été élevé dans un monde extrêmement religieux, j’ai réalisé que j’allais être agnostique », se souvient le musicien et désormais réalisateur Para One, quand on lui demande quel est son rapport à la pop-culture. « Puisque on me faisait croire à Jésus Christ et au Père Noël, que nous vivions dans un monde imaginaire, un gros trip avec du magique partout dans le quotidien, je pouvais croire à Tolkien. »

Jean-Baptiste de Laubier, alias Para-One, a grandi dans une famille nombreuse catholique pratiquante. À la suite de la découverte de la schizophrénie de sa grande sœur, il tombe sous l’influence d’un maître spirituel, d’une sorte de gourou… Un parcours qui est le sujet de son premier film : Spectre. Dans ce long métrage, il transmute cette expérience déstabilisante en fiction lumineuse. « C’était l’époque de l’avènement des communautés nouvelles, d’une spiritualité syncrétique, œcuménique, de chrétiens marqués par Vatican II : un peu illuminés, en train de chanter en sandales, ils s’apparentaient assez aux hippies qui apparaissent au même moment. » 

LA SAINTETÉ, LA FOLIE & LA FAMILLE

Leur guide spirituel considérait que les maîtres Zen et Saint Ignace de Loyola avaient de nombreux points communs. « Il faisait des ponts qu’on peut considérer comme complètement absurdes et un peu fou. Mais surtout, il disait à mes parents : “Votre fille n’est pas folle, elle voit une autre réalité, c’est une prophétesse.” Imaginez comme ça peut être attirant. Ma famille a décidé d’y croire et s’est enflammée, mais ce n’est pas une dérive sectaire classique. » 

Dans son film, il choisit de réinventer entièrement cette histoire, « quitte à partir dans un trip de science fiction. » Le narrateur reçoit une boîte d’archives qui contient des photos, des cassettes audio, des films Super 8, qui retracent toute une mémoire qui lui avait été dérobée… « Ce retour du refoulé est une métaphore de quelque chose d’absolument vrai pour moi en tant que réalisateur. Il s’agit d’une fiction avec des éléments documentaires, une forme volontairement déconcertante… » 

Dans Spectre, le visage du narrateur n’apparaît jamais à l’écran. Mais ses mains manipulent des machines vintages pleines d’une aura paradoxale et iconique (magnétophone, moniteur, magnétoscope, console de mixage…). À cette forme originale qui tient de la gageure s’ajoute un regard bienveillant et apaisé : « Le gourou du film est une chimère, une composition. Le personnage dont il est inspiré dans la vraie vie ne m’intéresse plus tellement.  J’avais besoin de l’enrichir pour qu’on comprenne comment ces gens tombent sous son emprise. » 

BERGMAN, SCIAMMA & MOI

Ce long-métrage, il a mis 25 ans à le faire. Depuis son adolescence, il filme ses proches, avec toutes les caméras possibles, Super 8, Hi-8, iPhone : il accumule du matériau. « Il est apparu sous mes yeux, il s’est écrit à la table de montage avec Julien Lacheray qui en est un peu le co-auteur. Je sais que cette histoire est extrêmement personnelle, avec une dimension d’autofiction assumée, mais j’essaie de l’emmener complètement ailleurs. C’est un geste d’amour, le geste d’amour contrarié du vilain petit canard, le cadet de la famille qui refusait de chanter avec les autres, de prier avec les autres. Loin de moi l’idée de faire Festen. Je peux admirer cette violence chez d’autres, mais ma préférence va aux films où tout le monde a raison comme ceux de Renoir, Bergman ou Desplechin… Les personnages se gueulent dessus, et tu te dis : “Je le comprends, je la comprends ; il a raison, elle aussi…” C’est la vraie vie, pas des choses édifiantes ou des démonstrations de force. » 

« C’ÉTAIT L’AVÈNEMENT DES COMMUNAUTÉS NOUVELLES… »

 

Ancien étudiant en cinéma, passé par la Fémis, Jean-Baptiste s’y est lié d’amitié avec la réalisatrice Céline Sciamma. Il a composé les bandes originales de tous ses films, de Naissance des pieuvres (2007) à Petite maman (2021). Et elle a été une des chevilles ouvrières de Spectre. « J’ai travaillé avec elle sur l’écriture, pas seulement sur l’écriture de ce film, sur mon écriture en général. Ça fait quinze ans qu’elle me porte par amitié, au travers d’une forme de thérapie quasi quotidienne. Je lui dois beaucoup, notamment parce que Céline est capable d’encoder sa vision du monde dans la fiction. Alors que moi, du fait de mon histoire familiale, des zones d’ombres et des mensonges, j’ai un rapport problématique à la fiction. Je n’y crois pas : il y avait déjà trop de fiction dans ce que l’on m’a présenté comme le réel. »

HIP HOP, NEW-AGE & APAISEMENT

On a envie de demander à Jean-Baptiste comment il s’est extrait de cette histoire familiale compliquée pour devenir l’artiste touche-à-tout, voire un peu dandy, qu’il est aujourd’hui. La réponse fuse : la pop-culture encore, plus Tolkien, mais le rap cette fois… « Me plonger dans le hip hop a été la décision la plus rationnelle et la plus logique que j’ai jamais prise. J’ai découvert cette musique à Chambéry grâce à mes grandes sœurs à la fin des années 1980. C’était le truc le plus cool sur terre. Moi qui avais toujours eu envie de me tirer, j’ai découvert qu’il existait un autre monde. Dès que j’ai été en âge de le faire, j’ai entrepris une dérive sociologique vers la cité pour aller répéter avec un groupe de rap. Ça a changé ma vie. Ce n’est pas un accident de parcours, mais un acte fondateur. Comme une naissance ! »

DJ et producteur pour TTC, le Klub des loosers ou la Caution dans les années 2000, il bifurque progressivement vers l’elecro et devient un DJ de club recherché auteur de tubes dancefloor comme « Dudun-Dun » ou « You Too ». Son film est d’ailleurs accompagné d’un album dont la composition et l’enregistrement occupent une bonne partie du récit. « L’idée était de me réapproprier la musique de notre maître spirituel, un mélange de musique religieuse électronique comme on en produisait dans les années 1960 et 1970 et de musique new-age assez exaspérante.  C’est aussi la musique que je voulais faire avant d’en faire vraiment, avant l’assignation à un genre musical précis. Celle d’un enfant de 10 ans qui rêvasse au piano en ayant entendu de la musique sacrée, du Pink Floyd et du rap… Une chimère assez bizarre qui trainait dans ma psyché et dont j’ai voulu accoucher sur le tard. Une musique thérapeutique mais avec des moments de colère et de pure énergie. »

Du fait de son nom à rallonge et de son côté propre sur lui, beaucoup de journalistes pense que Jean-Baptiste de Laubier est un pur Versaillais, enfant de Cyrillus et de la french touch. Mais son parcours est beaucoup plus riche et compliqué et, avec ce film, il devient en prime lumineux.

Spectre – Sanity, madness and the familly, le 20 octobre en salles, accompagné du court métrage Dustin de Naïla Guiguet qui raconte la nuit d’un jeune transgenre et de sa bande lors d’une soirée « Possession » dont elle est une des instigatrices.

 

Par Jacques Braunstein
Photo Archives Para One (UFO Distribution)