LE ROMAN DU MOIS : DRAG

roman du mois : Drag

On le sait, les caïds de cité sont (discrètement) fascinés par les personnages queer. Le grand Zarca en a fait une fiction. À savourer.

Avec son combo Hoody capuché, petit cuir ajusté, baggy délavé, il a toujours l’air de surgir de l’obscurité. Comme Batman, Johann Zarca s’amuse des zones d’ombres et jongle avec les identités. Éditeur le jour, au sein des éditions de la Goutte d’Or qu’il a cofondées, une maison qui ne cesse de s’affirmer en portant des nouvelles voix romanesques et des enquêtes engagées ; à la nuit tombée, il se mue en vengeur masqué qui arpente le bitume une plume à la main et traine ses guêtres dans des endroits qui feraient trembler de peur le tout Saint-Germain. Le Boss de Boulogne, Le Pape de l’underground ou tout simplement Zarca : appelez-le comme vous voulez. À l’heure où tout le monde se revendique de « la littérature des marges » comme s’il s’agissait d’un label de qualité, lui raconte un monde dur et violent qu’il a longtemps arpenté. « Je suis un sale rejeton de Virginie Despentes » aime-t-il à répéter. « La lecture de Baise-moi m’a bouleversé, comme elle, je voulais écrire, assumer ma radicalité, dans les sujets traités comme dans la langue employée ».

SOCIÉTÉ CORSETÉE

Si notre oiseau de nuit s’était déjà fait repérer avec un blog bien énervé et un premier roman au style très marqué, c’est avec Paname Underground, son quatrième roman, couronné du Prix de Flore en 2017, qu’il entre brutalement dans la lumière. Cette récompense, le cérémonial qui l’accompagne, le gratin germanopratin qui croit s’encanailler en lui serrant la main : tout cela le déconcerte et l’amuse. Le lendemain dans une interview pour Vice, il déclare, moqueur, avoir « fisté la littérature française ». Pas de pitié pour les mondanités. Zarca reprend son chemin sans se retourner. Livre après livre, il continue ses pérégrinations nocturnes à la rencontre des pourfendeurs de la normalité, des freaks épris de liberté qui n’ont d’autre choix que de se perdre pour exister. Après un adolescent tendance psychopathe dans P’tit Monstre, les addicts à la drogue et à la pratique du Chemsex dans Chems, les prostituées travesties du Bois de Boulogne dans La Nuit des Hyènes, il nous emmène cette fois dans l’univers burlesque des drag queens et croque le portrait d’un petit caïd de cité qui le soir venu, illumine les soirées cabaret. Tony, Nita, deux personnalités et un personnage tiraillé, qui se débat avec lui-même autant qu’avec une société corsetée. Réécriture punk et destroy de Cendrillon, Drag est un conte urbain à la poésie brute, sacre de l’argot et de l’oralité qu’on lit à haute voix comme si on s’entrainait à rapper. Le Z c’est le S.

Drag
JOHANN ZARCA
(Grasset, 216 pages, 19€)

Par Baptiste Liger