LE RETOUR DE LA SCANDALEUSE DE BERLIN

EMMA BECKER

Héritière impétueuse d’Hervé Guibert et Guillaume Dustan, Emma Becker déconstruit la sexualité hétérosexuelle comme ils ont construit la littérature homosexuelle : rageusement.

La Maison, son précédent roman, avait fait l’effet d’une bombe. Emma Becker y racontait son expérience de travailleuse du sexe dans un bordel de Berlin. Roman extrême, autofiction sous contrainte, simple témoignage… Son livre avait provoqué l’ire de bon nombre de féministes pour qui une prostituée ne pouvait être qu’aliénée. 

« La Maison m’a fait réfléchir le féminisme, en me demandant à quel féminisme j’appartiens. Alors qu’avoir des enfants m’a fait comprendre encore mieux le nécessité du féminisme. Mais je ne pense pas qu’être mère, ou même avoir été pute, soit une forme de trahison… qu’écrire sur les hommes ou les enfants fasse le jeu du système. Je ne veux pas des injonctions féministes qui s’ajoutent aux injonctions patriarcales. Si on pouvait nous foutre la paix comme aux hommes », s’emporte Emma Becker à la terrasse du très littéraire Select, boulevard du Montparnasse. Elle porte une robe légère, boutonnée sur le devant, comme celles dont elle vante les possibilités dans L’Inconduite. Et, comme dans le livre, elle enchaîne les cigarettes avec énergie.

DÉFAIRE L’AMOUR

« Il compliqué de se débarrasser du regard des hommes. Et je ne dis pas que je n’en veux plus, mais que je n’arrive pas à plus en vouloir, c’est un peu le sujet du livre. Mes histoires, finalement, je les vis avec moi-même. La fête qu’on se fait à l’intérieur à la simple idée de voir quelqu’un, c’est déjà 90 % de l’amour. Mais après, baiser et être amoureuse se mélangent dans ma tête. Quand il y a une chimie, je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il doit y avoir plus que ça », constate-t-elle avec un mélange troublant d’assurance et de naïveté. Il est toujours beaucoup question de sexe dans L’Inconduite. De sa séparation avec le père de son fils. De ses amours avec un Anglais dilettante et profiteur. Avec un écrivain russe forcement gigantesque et un autre, français, fluet dans tous les sens du terme. D’un réalisateur plus âgé qui promet par mail et déçoit dans la vie réel. D’échanges, de promenades et de cafés encourageants, d’érections chancelantes. « De toutes ces déceptions je fais des souvenirs flamboyants que je chérirais quand je serais vieille. » À coup de longues phrases interrogatives et de courtes notations vachardes, elle dresse une cartographie moyennement optimiste des rapports hommes-femmes contemporains. Mais qui demande aux écrivains d’être optimistes ?

« Être une femme qui écrit sur le sexe m’interdit, j’imagine, de passer dans la classe des grands écrivains, constate encore Emma. Ça m’enferme dans un cadre où je me trouve très à l’étroit. On me considère comme une écrivaine érotique, ce que je ne suis pas. Ce bouquin m’a permis de me sortir un peu de cette sensation d’oppression. La manière dont on baise, n’a rien à voir avec ce que j’avais lu dans les livres. J’essaie d’écrire des choses un peu plus honnêtes. »

Et si les hommes n’en sortent pas toujours grandis, la littérature, elle, y trouve son compte.


L’Inconduite
Emma Becker
Albin-Michel (366 p., 21, 90 €)
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Par Jacques Braunstein