LE MARSUPILAMI, LA FOURRURE EN FOLIE

marsupilami

C’est avec brio que le crayon de Franck Pé et la plume de Zidrou font revivre la créature de Franquin. Le chef-d’œuvre de la rentrée ?

On dit que le taille ne fait pas tout. En particulier lorsqu’il s’agit, disons-le sans chichi, d’une queue. Prenons le cas de l’une des plus célèbres créatures poilues de la bande dessinée franco-belge. À savoir le Marsupilami. Si ce mammifère ovipare jaune et noir a su conquérir le cœur de plusieurs générations, il n’a toutefois pas la même aura que, mettons, Spirou, Fantasio ou Gaston Lagaffe. Le pourtant très habile Alain Chabat s’y était d’ailleurs cassé les dents avec son adaptation en 2012 : Sur la route du Marsupilami n’atteindra jamais le culte de Mission Cléopâtre. Serait-ce le côté « grosse peluche » qui ennuie dès qu’on a passé les dix ans ? Ce cri « Houba Houba », avouons-le un peu pénible ? Une affaire d’anthropomorphisme qui ne fonctionne pas ? Toujours est-il qu’il faut se rendre à l’évidence : il y a un problème Marsupilami. Ou, plutôt, il y avait. C’était en effet sans compter sur un duo, un peu improbable : d’un côté le dessinateur Frank Pé, bon artisan un peu méconnu du neuvième art belge ; de l’autre, le scénariste Zidrou, célèbre pour avoir crée… Tamara et L’Elève Ducobu ! De cette collaboration – déjà à l’origine d’une habile relecture de Spirou – naît un authentique bijou, sans doute l’un des plus beaux albums de l’année : La Bête, premier tome d’une aventure du Marsupilami comme vous ne l’avez jamais, mais vraiment jamais imaginé…


UN MÉLODRAME SOCIAL FAÇON DARDENNE ?

L’exercice de la réappropriation a, dans le passé, déjà donné des résultats fantastiques. Si on le constate facilement dans les comics (avec les multiples versions de Batman, par exemple), les exemples sont spontanément moins évidents dans la BD franco-belge. Même si, bien sûr, on peut songer à des réussites comme L’Homme qui tua Lucky Luke de Matthieu Bonhomme, le Valérian de Manu Larcenet ou le génial Journal d’un ingénu – soit Spirou revu et corrigé par Emile Bravo. Il faut croire que Franquin est décidément propice à l’exercice, quand on découvre La Bête. Dès ses premières planches expressionnistes, très sombres, le ton est donné : c’est fini, la rigolade. Frank Pé et Zidrou nous plongent dans les années 50, du côté d’Anvers, où le petit François est le souffre-douleurs de ses camarades. Ce garçon, qui aime recueillir des animaux – au grand dam de sa mère -, tombera un jour sur une étrange créature à moitié morte, mi-chimpanzé mi-léopard, qu’il décidera de ramener à la maison. Oui, vous avez compris de qui ou de quoi il s’agit… Et le côté bestial du Marsupilami, spécimen pas forcément si sympathique, ne tardera pas à se réveiller…
Avec un trait loin des modes qui rappelle le meilleur de Loisel ou de Tardi, le dessin de Frank Pé trouve un équilibre parfait entre un graphisme « naïf » et une esthétique plus sophistiquée. Loin des blagues de potache, Zidrou a imaginé une fable sans concession, et vraiment émouvante, sur la différence. Surtout, à l’opposé du récit d’aventures, on fait ici face à un grand mélodrame social, façon meilleur des Dardenne (oui, oui), qui se permet toutes les audaces jusqu’à sa planche finale. L’ensemble joue alors intelligemment avec nos souvenirs des tribulations exotico-joviales traditionnelles de ce héros à appendice de huit mètres, et le contraste fonctionne magnifiquement. Franchement, qui aurait pensé qu’on aurait pleuré à cause de ce satané Marsu ? Rayon onomatopées,« Houba houba » deviendra-t-il synonyme de « Snif snif » ?

LA MARSUPILAMI T.1. LA BÊTE
FRANK PÉ ET ZIDROU
(Dupuis, 162 p., 24,95 €)
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Par Baptiste Liger