LE LIVRE DU MOIS : PIPELINE

le livre du mois : Pipeline

Il y a deux siècles, Zola décrivait des personnages en proie à la tentation du vol dans les grands magasins. Le vice social s’adaptant à son époque, c’est désormais l’essence qui fait l’objet d’une fauche tragique et romancée par la très poétique Rachel M. Cholz.

Sous la plume d’une nouvelle génération de romanciers, furieusement engagés, pour qui la révolution passera autant par la distorsion de la langue que par la puissance du récit, la dystopie a soudainement changé de camp. Comme un signe de l’inquiétude qui rôde et de la colère qui monte, elle a déserté les mondes futuristes, la robotique ou l’espace pour s’ancrer violemment dans le temps présent et s’inviter par petites touches dans tous les pans de la littérature. Les lendemains qui déchantent ont laissé la place à l’aujourd’hui qui déraille et Rachel M. Cholz est l’un des visages de cette troublante mutation. Diplômée de l’École nationale supérieure d’arts visuels de La Cambre, spécialisée dans l’écriture pour les installations artistiques et les performances théâtrales, habituée à déclamer ses textes lors de soirées open mic dédiées à la poésie sonore, la trentenaire était jusque-là, le symbole d’une littérature qui s’écrit hors-les-livres mais certaines histoires brûlantes méritent le temps long, celui du roman et de la fiction.

À PRIX D’OR

Une jeune fille erre à la dérive dans la banlieue de Bruxelles et croise la route d’Alix, un garçon qui fait la manche le jour mais qui, la nuit tombée, siphonne les réservoirs de tous les véhicules et machines qu’il croise pour dérober quelques précieuses gouttes d’essence vendues à prix d’or. Le contrebandier a un plan pour s’offrir une autre vie et propose à la narratrice d’en faire partie. Il a découvert l’existence d’un pipeline secret reliant une raffinerie à un dépôt de stockage. Un peu de bricolage, un robinet et c’est l’assurance d’un approvisionnement illimité. Mais les tuyaux percés ont des oreilles et très vite la rumeur se propage, attisant les convoitises des pires personnages qui sommeillent dans le monde des marges.

Roman noir haletant, brûlot social au vitriol, envolée poétique trash et sensuelle, Pipeline a du Mad Max dans les veines. Quarante-cinq ans après le film culte de Georges Miller, sorti en plein choc pétrolier, mettant en scène un monde dystopique motorisé, obsédé par l’essence, Rachel M. Cholz nous inflige en tout cas le même uppercut brutal. Parce qu’à une époque balayée par la crise climatique, en quête de l’énergie verte miracle, susceptible d’enrayer l’autodestruction humaine, son premier roman pose un paradoxe volontairement provocant. Il raconte la guerre sans merci que se livre une société crépusculaire pour qui le pétrole est un trésor et la promesse d’un futur plus vivable. Attention, produit littéraire hautement inflammable.

PIPELINE
RACHEL M. CHOLZ
SEUIL (224 P., 19 €)


Par Léonard Desbrières