LE COLLÈGUE DU MOIS : LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD

Louis-Henri de La Rochefoucauld

D’un côté, un journaliste de magazine branché (toute ressemblance avec Technikart…) ; de l’autre, un auteur maudit devant écrire pour un roi des best-sellers. Avec cette variation balzacienne, notre collaborateur des pages « livres » et  « musique » réussit l’un des romans les plus savoureux de la rentrée. Promis !

Évidemment, vous n’êtes pas obligés de nous croire. En effet, il est quelque peu cocasse de chanter les louanges d’un auteur dont vous pouvez lire la signature dans la page d’à côté (et ailleurs dans le magazine) ! Le présent article prend même des airs de mise en abyme, quand on a lu le roman dont il est question ici – à savoir, Les Petits farceurs –, la rédaction d’une publication ressemblant fort à celle de Technikart première période se trouvant au cœur du livre. Paradoxalement, c’est justement pour cette raison qu’il convient de prendre ces lignes un tant soit peu au sérieux. Oui, Louis-Henri de La Rochefoucauld a signé avec cet hommage contemporain aux Illusions perdues de Balzac un petit bijou, précis, drôle et cruel, qui compte parmi les plus belles réussites de la prochaine rentrée.

DESCENDANTS DE RASTIGNAC

Les Petits farceurs, c’est avant tout l’histoire d’amitié entre Henri et Paul, qui a duré depuis la fin de l’adolescence. L’un est parisien, l’autre vient de Grenoble et ont fait connaissance en hypokhâgne à Daniélou, du côté de Rueil-Malmaison. Ces garçons ambitieux ne le savent pas encore, mais leurs destins – malgré des directions différentes – seront mêlés à jamais. Ainsi, Henri d’Estissac va devenir pigiste dans une étrange publication qui « ne parlait que d’artistes louches (…) et de phénomènes générationnels encore plus improbables » – soit « un mélange inouï entre les derniers numéros des Cahiers de la Quinzaine, la NRF de l’entre-deux-guerres et le Rock & Folk des années 70 ». Son nom ? Avant-garde. Non, il ne s’agit pas de Technikart, mais il est éventuellement possible, pour certains vieux lecteurs, de reconnaître, dans cette rédaction aux bureaux situés « dans les anciennes écuries de la prison de la Bastille » certaines plumes emblématiques. Voyez ce responsable « société » du genre « grand seigneur », « infatigable buveur et mangeur » qui inventait chaque mois « un nouveau concept abracadabrant qui marchait une fois sur deux ». Regardez aussi l’homme des pages « culture », sorte de « Péguy pop » aux costumes élimés qui aimait consacrer « dix pages à des perdants magnifiques » – sans oublier le « fondateur et généreux mécène de ce titre indépendant », reconnaissable à « ses vestes bariolées » descendant « d’une grande famille qui n’avait jamais connu le déclin depuis le règne d’Hugues Capet ». Mais Les Petits farceurs repose aussi sur les déboires de Paul Beuvron, qui pensait connaître la gloire avec la publication, aux prestigieuses éditions Marcillac de son Roman national – « l’histoire à la fois réaliste et fantastique d’un couturier immortel nommé Vercors, qui traversait les siècles et lançait des modes ».  Résultat, un flop retentissant. Ce jeune professeur de français, nommé à Argenteuil, connaîtra toutefois une gloire, indirecte, en devant devenir la « plume » (pardon, le « partenaire de jeu ») de Patrick Rossi, roi du best-seller dont il faut redorer l’image… Au risque de déchanter ?

À travers les mésaventures et rencontres de ces descendants de Rastignac et Rubembré, Louis-Henri de La Rochefoucauld réussit une satire impitoyable des mondes de la presse et de l’édition. Entre humour, précision et cynisme un peu désespéré, son roman brouille malicieusement les pistes pour mieux taper juste. Et dépeindre un univers où l’innocence ne dure guère et où les petites hypocrisies sont reines. Dont nous sommes tous, à un moment ou un autre, les dindons de la farce.

Louis-Henri de La Rochefoucauld
Les Petits Farceurs
(Robert Laffont, 256 p., 20 €)

Par Baptiste Liger