L’ALBUM DU MOIS : LES CHOSES M’ÉCHAPPENT

l'album du mois : les choses m'échappent (Hellzapoppin Records)

Entouré de cinq compères affutés, l’écrivain Jean-Pierre Montal sort un premier album envoûtant qui prolonge avec grâce un certain psychédélisme à la française.

Lors de la parution de Leur chamade, Jean-Pierre Montal déclarait : « C’est ce que je vise : du réalisme avec des bords légèrement flous. Pour autant, j’apporte un soin maniaque à la construction de mes romans. L’atmosphère ne peut pas tout. Il faut des murs porteurs. » Auteur de livres oniriques bien foutus (Les Années Foch, Les Leçons du vertige), cet esthète de 53 ans a d’autres passions, dont deux nous intéressent ici : l’architecture de la seconde moitié du XXe siècle et le rock tous azimuts. Le nom de son groupe, Les Mercuriales, vient ainsi des deux tours jumelles de Bagnolet construites entre 1975 et 1977, qui se voulaient les égales du World Trade Center. Preuve supplémentaire de la supériorité de la Seine-Saint-Denis sur New York : les Mercuriales tiennent toujours debout. Et ont inspiré un groupe qui sait créer des ambiances, mais évite de taper le bœuf – en musique comme en littérature, Montal est un styliste.

GRINÇANTES ET INSPIRÉES

Un mot sur les paroles, d’abord. Grinçantes et inspirées, elles intriguent dès la première écoute, notamment celles de « Les Choses m’échappent » et « Marée basse » (le chef-d’œuvre du disque). On se souvient de Bertrand Burgalat qualifiant le romancier Patrice Jean de « Houellebecq pour adultes ». Il y a quelque chose de cet ordre-là chez le Montal chanteur. Il sait se moquer de notre époque sans tomber dans les clichés – n’en déplaise aux « quinquagénaires en baskets en quête d’un achat plaisir » brocardés sur le premier titre. Sa voix élégante, mélancolique et goguenarde, fait le reste.

Comment qualifier la musique ? Dans le communiqué de presse qui nous est parvenu, sans doute pour anticiper les qualifications farfelues qui sortiront ici et là, Les Mercuriales se revendiquent de « la country spaghetti » – comprenne qui pourra. De manière plus terre-à-terre, précisons que Montal n’a pas grandi dans un western mais à Saint-Étienne. Hasard ou non, son album rappelle Le Stéphanois de Bernard Lavilliers (où l’on trouve la fabuleuse chanson « Les Aventures extraordinaires d’un billet de banque »). Ce disque était sorti en 1975. Chez Les Mercuriales, on entend aussi du Lou Reed. Que foutait ce dernier en 1975 ? Il enchaînait deux actus : Metal Machine Music et Coney Island Baby. Bien qu’expérimental, lorgnant parfois vers le free-jazz, Les Choses m’échappent ne tombe jamais dans l’hermétisme de Metal Machine Music, s’inscrivant bien plus dans la veine poétique de Coney Island Baby. Comme références, le groupe cite La Fêlure de Francis Scott Fitzgerald et feu David Berman (l’ancien cerveau de Silver Jews). On pense également à ce fou furieux de John Cale. Dans un pays qui porte aux nues des andouilles aussi invraisemblables qu’Eddy de Pretto ou Zaho de Sagazan, un tel ovni fait bizarre. Mais à l’étranger non plus, on ne trouve pas une telle anomalie, où sophistication ne rime jamais avec snobisme. Quelque part entre Saint-Étienne, la Seine-Saint-Denis et Coney Island, Les Mercuriales peuvent prendre de haut la concurrence rock mondiale.

LES CHOSES M’ÉCHAPPENT
(HELLZAPOPPIN RECORDS)


Par Louis-Henri de La Rochefoucauld