L’ALBUM DU MOIS : GRAND ENFANT

L’album du mois : Grand Enfant Charles-Baptiste

Cela faisait dix ans qu’on peinait à situer ce drôle d’oiseau dans le capharnaüm de la musique française. Voici Charles-Baptiste enfin installé sur son trône.

En 2013, avec son ami Alexandre Chatelard, Charles-Baptiste avait monté le duo Triomphe. Leur EP Pavane contenait une pure merveille : une reprise électro-pop de « Pavane pour une infante défunte » de Ravel. Les autres morceaux du maxi s’appelaient « Rothschild » et « Roman ». Une certaine idée du luxe à la française, avec des sons à la François de Roubaix et à la Jacno. Dans un monde normal, les deux camarades auraient dû triompher en haut du hit-parade. Dix ans plus tard ils sont demeurés plus underground que jamais.

Qu’est-ce qui a capoté ? Pourquoi le succès a souri à Juliette Armanet et pas à Charles-Baptiste ? Ce dernier était pourtant là avant. En 2014, il sort son premier album solo chez Universal, Les Sentiments inavouables. Musique bien arrangée, esthétique sophistiquée. Trop peut-être ? Dans le clip de « Aussi cool que toi », on voit notre homme en costard en train de lire Le Journal du séducteur de Kierkegaard – une référence pas vraiment calibrée pour la France de Booba. Notre pays n’ayant jamais rien compris à la pop, Charles-Baptiste se colle lui-même l’étiquette variété, sans pouvoir parler au public de Renan Luce. Le dandy ébouriffé persévère avec le EP La Symphonie pornographique en 2015, puis avec l’album Le Love & le Seum en 2020. Une fois de plus, il n’arrive pas à trouver tout à fait son public. Son cas peut rappeler celui de Lafayette. Il est en même temps suranné et moderne – trop de notre époque pour les réacs, trop nostalgique pour les avant-gardistes. Il a une forme de fantaisie, mais son humour est trop sibyllin – plus proche de celui d’un Dodi El Sherbini que de celui d’un Philippe Katerine. Qui le comprendra ? Ici, dans les colonnes de Technikart, et alors même que nous n’aimons rien tant que les exceptions et les vilains petits canards, nous n’avons jamais défendu Charles-Baptiste comme il le méritait. C’est dire si son cas est difficile à appréhender…

AMBIANCE DOUCE-AMÈRE

Sur ces plates excuses, portons un toast à son troisième album, Grand Enfant, qui marque pour nous le vrai baptême de Charles-Baptiste. On ne connaît pas ses parents biologiques mais, dans le champ de la pop française, il est un digne fils de Voulzy. Mélancolie légère, ambiance douce-amère : on se sent comme chez soi dans son disque. Les paroles évoquent à la fois Les Chevaliers du Zodiaque et Chateaubriand, deux preuves de bon goût. On entend des basses bien rondes, des synthés, des cordes, le tout magnifié par une production étincelante signée Alexandre Chatelard, cet orfèvre méconnu. Il y a des bonnes chansons (« Brothers and Sisters », « Deux ou trois choses que je dis à Clara ») et quelques purs moments de grâce (l’intro de « Tonton » qui rappelle la BO de Downton Abbey). La rencontre improbable entre Michel Fugain et Nino Rota, Alain Souchon et Ennio Morricone ? Sur la dernière chanson, Charles-Baptiste invite le groupe béninois Star Feminine Band. Il fait décidément tout pour brouiller nos rapports spatio-temporels. Et c’est ainsi que le prince Charles devient roi !

GRAND ENFANT
(ROBERT RECORDS)

Par Louis-Henri de La Rochefoucauld