KIM JEE-WOON : « J’AI ENVIE D’APPORTER UNE NOTE PLUS LEGÈRE, PLUS POSITIVE »

Kim Jee-woon seoul

Dans Ça tourne à Séoul !, un réalisateur énervé tente de parachever son grand œuvre. À Cannes, le grand Kim Jee-woon nous a donné quelques clés de son film et parlé de dépression…

Est-ce un film autobiographique, êtes-vous névrosé comme le réalisateur en quête de perfection de Ça tourne à Séoul ?
(Il se marre) Non, ce n’est pas moi mais il y a beaucoup de similarités avec tout ce que vivent les metteurs en scène. Tous les réalisateurs sont très nerveux, ils s’acharnent, ils luttent pour réaliser leurs films et ça les rend pratiquement misérables. On est tous comme ça ! Dans mon film, le metteur en scène déclare « si j’avais eu deux jours en plus, j’aurais fait un chef-d’œuvre. » Moi, quand je vois un de mes films terminé, je me dis « mais pourquoi ai-je fait cela, j’aurais dû faire autrement. » À chaque fois, j’ai de nombreux regrets. C’est un désespoir absolu de voir ce qu’il y a sur l’écran… 

Si c’est si dur, pourquoi continuez-vous ?
Parce que la jouissance est aussi forte que le désespoir ! C’est peut-être la jouissance qui amène au désespoir, ou vice-versa, en tout cas les deux sont liés. Pour obtenir la jouissance, je suis peut-être obligé de passer par l’étape du désespoir. 

J’adore cette réplique de votre film, « Si c’est impossible, il faut le faire ». Est-ce votre devise ? 
Quand je tourne des scènes très compliquées, de vrais casse-têtes, on doit se motiver, retrouver l’énergie de toute l’équipe, et j’en suis très satisfait. Et souvent, les scènes où tout roule, où tout est facile, je m’aperçois qu’il y a toujours un manque, ça ne me satisfait pas du tout. Et si je fais un compromis, si je ne vais pas jusqu’au bout, je ne suis pas satisfait. 

Kim Jee-woon


Est-ce que votre film est un hommage à Kim Ki-young ?
Kim Ki-young (réalisateur de La Servante ou La Femme-insecte, NDR) faisait aussi des films grotesques et bizarres, mais la différence avec mon réalisateur, c’est qu’il avait du succès, lui. Le film dans le film fait bien sûr référence à Kim Ki-young, mais aussi à Henri-Georges Clouzot, qui était le seul à faire des films de genre dans la France des années 50, aux Diaboliques, à Hitchcock…

Je ne savais pas que vous connaissiez et aimiez Clouzot ?
Les cinéphiles coréens connaissent Clouzot, bien sûr. Bong Joon-ho adore Le Salaire de la peur.

Le film est plus dans la veine The Quiet Family que J’ai rencontré le diable. Vous recherchez la légèreté dorénavant ?
Ce n’est pas conscient. En le tournant, je me suis aperçu que ça ressemblait effectivement beaucoup à The Quiet Family, avec ce côté comédie noire. 

Lors du festival de Gérardmer, vous aviez déclaré que la noirceur de J’ai rencontré le Diable était telle que vous aviez été intoxiqué par votre propre film, et que vous aviez dû partir aux États-Unis. 
C’était un film sur le mal absolu et en ne pensant qu’à cela pendant des mois, j’ai fait une dépression. J’ai eu besoin de partir dans un pays différent, de changer de vie, de faire quelque chose de plus léger. Tourner Le Dernier Rempart avec Arnold Schwarzenegger était bien sûr plus léger. Mais j’ai fait une nouvelle dépression à cause du stress de ce gros tournage, de la langue que je ne connaissais pas, de ce pays inconnu. Je suis donc passé d’une dépression à une autre. 

Vous pourriez refaire un film aussi sombre et désespéré que J’ai rencontré le Diable ?
(Il s’interrompt, cherche ses mots) Le film parlait du mal, des abîmes… Je ne suis pas contre le fait de refaire un film comme celui-là, mais d’une façon plus mature. Mais je ne sais pas si j’aurais assez d’énergie. Le monde est très noir, très compliqué, j’ai envie d’apporter une note plus légère, plus positive. Et pourquoi pas de l’espoir. 

C’est important d’être à Cannes ?
C’est la plus grande fête du cinéma au monde donc je suis très heureux d’y participer. C’est peut-être plus fondamental pour un film à petit budget, qui a besoin de l’écho de Cannes. Le plus important, ce ne sont pas les prix mais de communiquer, parfois avec des gens qui habitent à l’autre bout du monde, de partager des idées, et de voir que l’on n’est pas seul. Avec la pandémie, j’ai vraiment compris que l’on était liés les uns aux autres.

Dernière question, après le tournage de Ça tourne à Séoul !, vous avez fait à nouveau une dépression ?
Oui, je le crois bien (il explose de rire). 

Ça tourne à Séoul !
En salles le 8 novembre

À l’occasion de la sortie de Ça tourne à Séoul, vous pourrez (re)voir, dès le 15 A bittersweet Life, sublime polar en director’s cut version restaurée, Foul King et le toujours aussi flippant 2 Sœurs.


Par Marc Godin