JUDITH GODRÈCHE, CRÉATRICE DE « ICON OF FRENCH CINEMA » : « DE HOLLYWOOD À PORQUEROLLES ! »

Judith Godrèche arte technikart

Pour sa première série, la comédienne devenue réalisatrice Judith Godrèche imagine une version bis d’elle-même, plus téméraire et cash. Rencontre.

Une peluche géante dévoilant où elle a caché son testament, Carole Bouquet donnant des conseils pro, une tentative de retrouvailles avec un premier amour à Porquerolles… Bienvenue dans Icon of French Cinema, la série déjantée et délicate imaginée par Judith Godrèche centrée sur le come-back d’une actrice française partie s’installer à Los Angeles (toute ressemblance avec des personnages existants ne serait pas purement fortuite). En mettant en scène son double de fiction dans une série d’une drôlerie fantasque, elle peint sans fard un parcours parfois sombre… Fraîchement installée à Paris après une dizaine d’années passée à Los Angeles, nous en avons profité pour en savoir plus sur cette fiction produite par A24, la boîte de prod’ la plus buzzée de la planète (The Whale et Everything Everywhere All At Once, c’est eux) en lui donnant rendez-vous au Mon Crème, la brasserie la plus américaine du quartier Montorgueil… 

Dans votre nouvelle série, Icon of French cinema, vous jouez une actrice française qui revient vivre à Paris après neuf ans d’absence. C’est votre propre histoire ?
Judith Godrèche : Un peu (rires) ! Ce personnage de « Judith » se retrouve confronté à la question de son identité. Identité de femme, et celle de l’actrice. Elle essaie de repartir à zéro, tout en étant confrontée à l’image qui est restée dans l’esprit des gens. Elle avance dans une forme de brouillard où les gens croient la reconnaitre, l’appellent Juliette Binoche, etc… Lors d’une conversation nostalgique avec le père de son fils, il fait référence au moment où ils se sont rencontrés et lui dit « À l’époque, tu étais une Icon of French cinema ».  Cette appellation lui redonne soudain une identité… comme une vague d’espoir. Elle oscille entre une version idéalisée d’elle-même, que les hommes projettent sur elle, et son identité de mère aujourd’hui. De femme qui aimerait s’émanciper du patriarcat justement. Ce qui me donne l’occasion de jouer avec l’auto-dérision en ancrant cette référence dans mon passé cinématographique. Dans le fond, ce personnage essaie de se réconcilier avec son passé de jeune fille actrice. Son passé d’égérie du cinéma… C’est cette dualité qui m’intéresse. 

Quelle est la différence entre la Judith de la série et la Judith de la vraie vie ?
Évidemment, c’est mon alter-ego fictionnalisé, si ce mot existe. Je lui octroie une liberté et un courage qui m’inspirent. Tout en essayant de rester sincère. On retrouve aussi ce côté guerrière avec cette énergie du désespoir. Elle met les pieds dans le plat, plus que moi je n’ose le faire. Elle s’excuse moins et va droit au but. J’ai essayé de créer des personnages qui naviguent dans ce monde patriarcal sans s’excuser d’exister. Dans le fond, je pousse le trait de situations dans lesquelles je me suis retrouvée.

Pourquoi avoir choisi Icon of French cinema pour le titre de la série ?
J’étais dans l’écriture d’une scène qui se passait à Paris et lors d’une conversation avec mon producteur américain, je lui ai raconté une anecdote liée à un ex-amoureux. Comme je le racontais plus haut, il avait utilisé cette expression pour parler de moi. Et je voulais utiliser ce terme dans des situations dialoguées, comme une sorte de leitmotiv un peu grinçant. Un terme qui puisse représenter un idéal qui n’est plus. En discutant, il est apparu comme une évidence que ça devait être le titre.

La série est produite par la boîte de production la plus hype de la planète qui est A24. Comment votre rencontre s’est-elle organisée ? 
Lorsque j’ai fini d’écrire la série, je me suis demandée vers qui me tourner. J’ai entendu qu’Olivier Assayas travaillait avec A24 et qu’il les aimait beaucoup. Il y a eu une sorte de concours de circonstances et je me suis dit « pourquoi pas eux ? ». Ma série s’inscrivait dans un univers assez affirmé, tout comme leurs productions. Ils aiment travailler avec des réalisateurs ou réalisatrices qui ont une démarche artistique très personnelle et audacieuse. Je leur ai envoyé les six épisodes, ils ont dit oui, et nous avons poursuivi le chemin ensemble.

L’esthétique de la série s’inscrit parfaitement dans celle de leurs films. 
Trouver l’univers visuel et musical est une priorité pour moi. Avec Arte, nous savions que la série allait avoir une ouverture internationale. Je me suis alors posé la question de quel genre de Paris je voulais filmer et me suis amusée à jouer un peu avec les stéréotypes : gastronomie, beaux cafés, etc. Pour l’aspect visuel, j’ai travaillé en étroite collaboration avec Georges Lechaptois (chef-op de talent, repéré sur les films de Rebecca Zlotowski, ndlr). Même chose pour la musique, il fallait trouver le « son » de la série. Et grâce au groupe Faux Amis , qui a créé la bande originale, les scènes ont pris leur véritable envol. Ils ont composé certains morceaux avant le tournage, et leurs mélodies nourrissaient les scènes. 

Votre film Toutes les filles pleurent (2008) avait été coécrit avec Jacques Fieschi. L’écriture d’une série est-elle foncièrement différente de celle d’un film ?
C’est un exercice très différent. Il y a, à la fois, la nécessité de ne jamais clore une situation, mais il faut malgré tout que chaque fin d’épisode soit une petite fin. Une série, c’est un arbre aux multiples ramifications. 

Arte est devenue une référence européenne en se positionnant comme une plateforme généraliste, mais ultra-exigeante : succès de ses séries proposées en streaming, nouvelles mises à dispo de ses docus pour permettre de mieux décrypter l’actualité… Comment vous êtes-vous retrouvée avec eux ?
Lorsque nous avons commencé, avec A24, à nous demander avec qui on allait faire cette série, dans le fond, comme tout se passait à Paris, tous leurs interlocuteurs américains nous ont dit de nous diriger vers un distributeur français. Dès lors, je me suis posé plusieurs questions, notamment sur quelle plateforme aujourd’hui on peut trouver un goût pour l’aventure, avec une ligne éditoriale moderne ainsi qu’une dimension internationale. Ce qui a primé dans leur choix, c’est surtout le côté auto-dérision de la série. Je me moque énormément de ce personnage, tout en racontant mon histoire.

Comment a commencé l’écriture de la série ? 
Au début, cette histoire avait lieu aux États-Unis, la Française vue par les Américains, ce thème m’intéressait aussi. J’ai commencé à écrire, et je me suis rendu compte que l’histoire devait s’ancrer dans une réalité toute différente, et dans la ville qui m’a vue grandir. Par ailleurs, toute la légèreté du présent et son rapport au travail ne pouvaient exister pleinement que si je racontais aussi le passé du personnage. Je pense que le vrai moment déclencheur a été lorsque ma fille devait avoir 16 ans. J’ai ressenti une raison de raconter mon enfance. Au fond, il était important pour moi de raconter cette histoire-là à toutes les filles de 16 ans. 

Judith Godrèche technikart
BAS LES MASQUES_
La « Judith » de la série déguisée pour les besoins d’un télé-crochet.

 

« IL N’Y A RIEN DE PLUS DRAMATIQUE QUE LA COMÉDIE, C’EST UNE SOURCE INFINIE DE SITUATIONS… »


Il y a un passage très fort où vous vous rendez à Porquerolles, ville de l’enfance du personnage, où vous revoyez votre amour d’enfance. 
En réalité, ce sont les seuls souvenirs d’ « enfance » que j’ai avant que le cinéma s’empare de ma vie. D’une certaine manière, cet amour est devenu pour moi une représentation idéalisée de l’enfance. L’amour pur avec un garçon qui « allait mourir » (c’est ce qu’on croyait à l’époque). Je suis quelqu’un qui projette beaucoup ses lectures sur ce que je vis. Lorsque j’étais petite, je nourrissais mon vécu de toutes sortes de sentiments que je lisais dans les livres comme dans Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent, d’Emily Brontë, ndlr) et il fallait que mon amoureux et moi, on soit comme Cathy et Heathcliff (personnages dans Les Hauts de Hurlevent). Tout cela pour dire que cet amour d’enfance que j’avais avec Yann, je l’ai complètement idéalisé et c’est d’autant plus facile d’idéaliser quelqu’un qui est mort ou plutôt quelqu’un qui est censé l’être (rires)… Ce qui était drôle, c’était de jouer avec ça. « Judith » se raccroche à cet idéal, et cet amour d’enfance comme un paradis perdu.

Votre enfance est-elle aussi insouciante que celle que vous montrez dans les flashbacks de votre personnage ? 
Je ne trouve pas que l’enfance des flashbacks soit insouciante, hormis le seul flashback à Porquerolles. Je n’ai pas été longtemps insouciante dans ma vie, c’est même un souvenir peu perceptible. À part justement Porquerolles.  Peut-être est-ce la raison pour laquelle je suis restée « enfantine » et candide parfois dans mon rapport au monde. Je n’ai pas vraiment vécu cette sorte de graduation : on est enfant, adolescent, puis jeune adulte. Je reste très ludique dans mon rapport au monde, j’essaie de ne pas prendre les choses trop au sérieux. Et de rire de mes propres agissements. Non pas que certaines situations ne soient pas dramatiques, mais cela m’aide à me protéger.  Mon père inventait des histoires, avec une énergie du désespoir inversée si on peut dire, c’est une manière de tout sublimer aussi.  Dans les moments où j’étais triste, le remède était l’imaginaire, une forme de fantaisie. Mon grand-père était comme ça aussi. Il me racontait toutes sortes d’histoires lorsque j’étais petite. Je pense que j’ai hérité de cette « folie douce ». 

On s’aperçoit que votre appartement dans la série ressemble à une sorte de colocation entre copines.
Ce qui m’intéressait, c’était de raconter une histoire de sororité avec des personnages principaux qui sont uniquement des femmes. Mais aucune de ces femmes n’est une « femme de… », ou alors elles essaient de sortir de ce carcan qui consiste à être définie par l’homme avec qui on est ou celui avec qui on a été. J’ai voulu peindre trois générations de femmes, Zoé, ma fille ; Kim, ma femme de ménage et moi-même, qui vivent dans un monde régenté par l’univers patriarcal dont nous essayons de nous libérer chacune à notre manière.

Quel est le plus gros challenge quand on veut parler de sujets sérieux, parfois graves, avec légèreté ? 
La sincérité est dans le fond le challenge le plus intéressant. Rester au coeur des choses tout en se permettant une fantaisie. L’auto-dérision ouvre des portes et permet une écriture très déliée. C’est une démarche assez anglo-saxonne je trouve. Comme le fait Larry David, il s’autorise à mettre en scène un comportement impulsif qui peut être apparenté à celui d’un enfant. Et qui se transforme en auto-sabotage. Mettre les pieds dans le plat, l’absence de filtre, ce sont à la fois des pirouettes et des boucliers, pour arriver à dire les choses. L’humour et l’absurdité sont mes alliés. Ils viennent sûrement de l’enfance, et la grande bataille ou la victoire serait justement d’arriver à assumer la paternité de mes combats, sans forcément passer par un détour, celui de la femme enfant. Ce complexe du « mine de rien » fut une bataille après mon premier film. Je prévenais mes collaborateurs : attention, ne me laisse pas me cacher ou diffuser diluer la force de mes propos dans le brouillard de l’enfance. Oser, prendre sa place c’est une souffrance et une bataille pour moi. Je me dis parfois qu’il était presque nécessaire, pour arriver à réaliser cette série, d’entrer dans un état de somnambule. Comme si je naviguais á l’intérieur de mon inconscient – avec insouciance. 

Dans la série, on voit la transmission de ta génération à celle de Tess et de sa génération. Peux-tu nous parler de ce thème-là ?
C’est drôle, car en grandissant, je ne réfléchissais pas en termes de générations. Je ne me posais pas de questions de société. Dans mon esprit, mes parents faisaient partie de ma génération. Et c’est à travers l’écriture de cette série et les questions que j’ai dû me poser à propos des personnages, que ce thème, celui des différences entre générations, m’est apparu. La séparation était impalpable pour moi d’autant plus que je vivais comme une adulte. On se construit tous différemment, parfois en opposition, ou dans la prolongation de ce qu’on a vécu. Je me suis construite probablement à l’opposé de ce qu’ont été mes parents, sur certains aspects. Le monde a évolué bien évidemment, et le regard d’une génération comme celle de ma fille sur ce que j’ai vécu est très différent du regard de jeunes filles des années 1990. C’est impensable par exemple pour Alma, la jeune actrice qui me joue enfant, de s’identifier à ce que j’ai vécu… ou pour être plus précise, ça la révulse. Et ces révoltes-là m’émeuvent beaucoup. Lire dans le regard d’une jeune fille d’aujourd’hui qu’elle porte un jugement, non pas parce qu’elle est moralisatrice, mais parce qu’elle connait ses limites et celles que le monde adulte devrait s’imposer. Rien que pour ce regard-là, je suis heureuse d’avoir réalisé cette série.

Icon of French Cinema disponible sur arte.tv à partir du 21 décembre 2023 et sur Arte le 28 décembre 2023 à 20 h 55.

Episode 1

Episode 2


Episode 3

Episode 4


Episode 5


Episode 6

 

Tess Barthélémy arte technikart

TESS BARTHÉLÉMY : « DÉPASSER LA DANSE…»     

Dans la série Icon of French Cinema, Tess Barthélémy, danseuse de formation, se lance dans la fiction. Rencontre avec une future étoile du cinéma.

Tu as fait tes premiers pas dans le cinéma dans le film Under the Eiffel Tower d’Archie Borders, et aujourd’hui tu joues dans Icon of French Cinema. Comment était-ce de jouer avec ta mère ?
Tess Barthélémy : Il y avait une ambiance familière et bienveillante sur le plateau.  Je me suis donc sentie très à l’aise, et je n’ai ressenti aucune pression (comme le fait d’être jeune sur un plateau, etc), donc j’ai été chanceuse de commencer comme ça. Mon projet est de continuer, et d’en faire mon métier. Je suis actuellement en tournage pour le prochain film d’Hélène Fillières dans lequel je tourne avec Eddy Mitchell.

Quel est ton parcours ?
À l’origine, je suis danseuse. J’ai commencé à l’âge de trois ans et j’ai intégré à Los Angeles, lorsque j’y habitais, une école de danse avec des cours intensifs où l’on pratiquait quatre heures de danse par jour. Je me suis rendue compte que ce que j’aimais dans la danse, c’est ce côté performance, théâtre, émotion. Tout ce qui dépasse encore plus la danse en elle- même. J’ai donc commencé à faire beaucoup de comédies musicales sans passer par une école de théâtre.

Comment était l’ambiance sur le plateau ?
C’est drôle car quand on jouait ensemble, je n’avais pas l’impression de tourner avec ma mère. Il y avait une vraie distance tout au long du tournage, j’acceptais ses remarques et ses directions critiques sans problème. Cette distance n’était pas étrange, c’était plutôt une distance professionnelle. Et le tournage a commencé à Porquerolles dans une ambiance très détendue.

La suite pour toi ?
Je suis contente que la grève (des scénaristes aux USA, ndlr) ait trouvé une résolution. Je vais tenter de faire des films là-bas étant donné que je suis bilingue. Je parle d’ailleurs mieux anglais que français ! Je souhaite néanmoins rester vivre à Paris, car je préfère ma vie ici, mais j’aimerais bien travailler aux États-Unis.

Entretiens Sarah Sellami