JÄDE, QUEEN J : « QU’ON ARRÊTE DE ME PARLER DE DOC GYNÉCO ! »

Jade, Queen J

L’envoûtante égérie lyonnaise Jäde dévoile la mixtape Météo. La recette de la diva du « new r&b» ? Des textes sensuels, une palette musicale ensoleillée et des vibes estivales. Entretien sans perturbation.

Tu as annoncé ta nouvelle mixtape Météo avec le single « J’boss », que tu as clipé. Avant le RnB, c’était quoi le pire petit boulot que tu as fait ?
Jäde : Il y en a beaucoup, voire trop ! A chaque fois, je faisais le strict minimum… J’ai fait animatrice pour les jeunes, j’ai le BAFA. M’occuper des gosses des autres, ce n’était pas fait pour moi. Peut-être que les miens je les aimerais un petit peu quand même (rires). On rigole, mais il y avait pas mal de côtés positifs, les gosses étaient drôles, ils sauvaient le job. Mais trop de fatigue. j’ai aussi fait de la restauration, et je pense que ça ne me convient pas du tout non plus. Je suis maladroite et je n’ai pas de mémoire, deux trucs qui font que je ne pourrais jamais devenir serveuse à temps plein. Me tromper de commande, casser des assiettes, j’ai tout fait. Je me souviens même avoir renversé une assiette sur une cliente, sur un pantalon qui coûtait cher apparemment (rires).

On entend Oxmo Puccino en miss météo en introduction de la mixtape, qu’il achève en featuring avec toi dans « Grand bain ». En quoi cette boucle est importante pour toi et pour l’album ?
Pour l’album, ça fait une bonne boucle entre tous les morceaux. Le fil conducteur, ce sont les différents temps, les variations, les émotions. Oxmo le fait d’une façon très poétique, bien écrite. C’est LE poète du rap français.

Quand on est validé par Oxmo, on se dit qu’on est sur le bon chemin ?
C’est con de dire ça, mais c’est exactement ce que je me dis ! Je suis honorée de pouvoir collaborer avec des artistes que j’admire. Ça me rassure et ça me met en confiance.

Au fait, tu t’appelles Adèle, et non Jäde. Tu avais peur de la concurrence du même nom ?
J’ai pensé direct à la chanteuse Adèle, donc c’était mort (rires). Je pense que j’avais aussi envie de sortir de moi-même et que ça serait plus simple de s’appeler autrement pour sortir des sons. Et peut-être à pas trop me montrer frontalement. J’avais besoin un peu de masquer qui je suis. Ça a changé maintenant, mes textes sont très personnels, c’est vraiment moi. Mais au début c’était plus compliqué.

Jäde complète Adèle et inversement ?
Absolument ! Jäde, c’est la partie la plus turn up et bad girl. Jäde a beaucoup plus confiance en elle. Je me lâche et je « fais la meuf » sur scène.

Certains te surnomment la « Doc Gynéco au féminin ». Pas trop vexée ?
C’est très bizarre, déjà parce que mon travail n’a rien à voir avec le sien. Qu’on arrête de me parler de lui ! Et puis c’est un artiste controversé, auquel je ne m’identifie pas du tout. Après, il parlait beaucoup de sexe sur le ton de l’humour, c’est sûrement pour cette raison qu’on fait le rapprochement. Malheureusement.

Tu es un enfant de SoundCloud, comme Lala&ce ou La Fève. Depuis ton arrivée dans les maisons de disque, te sens-tu toujours aussi libre que tu l’étais en indépendante ?
Je me sens toujours aussi libre artistiquement parlant, je fais ce que je veux. Ça arrive que dans le milieu, on se sente un peu bridé par les labels. J’ai trouvé une équipe qui me correspond, mais je ressens la pression du marché de la musique, qui te force à faire des sons commerciaux de temps en temps pour passer à la radio. Ça se joue aussi sur l’image, on me dicte parfois comment je dois être sur les réseaux sociaux et on me pousse à être active. Et parfois ça me gave.

Tu parles de relations amoureuses. Comment toi et la nouvelle graine de rappeuses vous vous sentez importantes pour renouveler un rap majoritairement masculiniste ?
Je n’ai jamais été là pour défendre le féminisme. Mais depuis ces deux dernières années, je le prend différemment et j’ai l’impression d’avoir un rôle à jouer en tant que femme dans l’univers rap. C’est vraiment dur d’être une femme dans ce milieu. Pourquoi on ne met pas du tout les femmes en avant ? Tu regardes sur Spotify par exemple, toutes les playlists accumulées, sur 10 heures de rap, il n’y avait que 5 minutes de rap féminin. Je me dis « wow, les gars vous abusez ». Donc on a besoin d’enfoncer des portes.

Donc d’un côté, tu n’as pas trop de convictions, mais de l’autre, tu sens qu’il faut changer les choses.
(Elle coupe) Je n’ai pas de convictions quand je parle de sexe, ça c’est sûr. Pour le reste, je suis fière d’être une femme dans le milieu rap et d’imposer mon style.

La météo, qui revient systématiquement dans les sons, c’est la métaphore de tes sentiments. Ducoup en ce moment t’es plus Brest, vent et orages à l’horizon, ou Cannes, soleil sans nuages ?
Je suis soleil sans nuages à fond ! Il fait beau depuis que le projet est sorti, je me sens bien. Donc je partirais sur un temps plus ensoleillé.

Pourtant, dans plusieurs sons, on entend souvent en fond le bruit de la pluie…
La question, c’est surtout comment mettre en musique le beau temps ! Ce sont un peu les conversations qu’on a en studio. Et puis aujourd’hui je me sens bien, mais quand j’écrivais mes textes pour Météo, je parlais de choses qui me mettaient dans le mal, et même si les prods et les mélodies sont ensoleillées, les textes restent relativement négatifs et tristes. D’où la pluie.

Météo, c’est une sorte d’exutoire ?
Ça ne me permet pas forcément d’évacuer, sinon je n’aurais plus d’inspiration. Je ne me sens pas mieux en écrivant, mais ça m’aide à tourner ces histoires en un truc un peu plus positif.

« Lipstick » est purement trap, et tu collabores uniquement avec des rappeurs(euses). Après une mixtape où tu racontes tes peines de coeur, à quand un album 100% rap ?
Je n’en suis vraiment pas là. Plus j’évolue, et plus je me détache de tout ce qui est rap, au fur et à mesure que j’affine mon style. J’ai envie d’aller vers le RnB. Je dis ça, mais je sais que demain je vais changer d’avis. On comprend pourquoi j’ai appelé ma mixtape Météo, mon humeur varie du jour au lendemain (rires).

Tu te considères comme une artiste RnB, en ajoutant des teintes de pop (#MenAreTrash), de trap (Lipstick) et de variété (Balançoire). C’est ça le RnB nouvelle génération ?
Évidemment, il faut mélanger les genres pour créer quelque chose de nouveau. Le RnB à l’ancienne, ça n’existe plus. En studio, quand je dis à tout le monde « on va faire un son à la Theweeknd ! », au final on sort de la session et ça n’a rien à voir (rires).

Dans « Balançoire », tu parles d’amour et de sexe, sans les mots crus qu’on retrouve dans le rap. Tu as un rôle à jouer, en tant que chanteuse RnB proche du milieu rap ?
Je ne me sens pas porteuse de convictions. Personnellement, je n’aime pas cette vulgarité sortie de ma bouche, ça me gêne moins dans la bouche d’autres artistes. Mais il serait temps que ça change. Moi, je le fais de façon ludique, avec une écriture décalée, très inspirée des classiques de la chanson française.

« Balançoire », très pop, fait un peu penser à ce que peut faire Angèle.
Exactement, elle a aussi cette touche décalée, mais le sexe c’est pas du tout son truc (rires), elle est très lisse. Je suis un peu plus claire dans les textes pour bien comprendre de quoi on parle.

C’est la démocratisation des applis de rencontre qui provoquent ces relations de courte durée et les chagrins d’amour que tu évoques dans tes sons ?
C’est surtout dû à internet et aux réseaux sociaux : on consomme trop vite tout, y compris les relations. Mais c’est pareil pour la musique, on se lasse vite, on passe à autre chose.

Ma collègue de bureau (dont je tairais le nom) enchaîne les petites histoires sans trouver la perle rare (j’en entends parler à longueur de journées…). Avec ton expérience dans le domaine, comment trouver le grand amour en 2022 ?
Je ne peux rien pour elle (rires). Mais il faut continuer d’y croire, sinon on est mal barrés…Je suis très branché spiritualité, je pense qu’on attire la même chose que ce que l’on dégage. Quand tu as des pensées négatives, il ne t’arrive jamais rien de bon en amour. C’est déjà un travail sur soi.

Le rap féminin est encore balbutiant en France, et le milieu reste dominé par les hommes. Comment parviens-tu à te faire une place ?
Il y a un grand renouveau du rap féminin depuis cette année. On voit enfin arriver des femmes en haut des line ups des festivals, comme Zinée, Davinhor ou Le Juiice. Il n’y a qu’en restant soudées que tout ça va avancer.

Du côté rap et RnB en France, on assiste un peu à une désertion du format album, au profit des mixtapes. Certains rappeurs retournent même au classique SoundCloud gratuit. Est-ce parce que l’album revêt désormais un certain engagement, il est considéré plus “sérieux” donc moins préconisé ?
Totalement ! Une mixtape, c’est beaucoup plus spontané, alors que l’album est beaucoup plus marqué dans le temps. Avant un gros projet, on se demande plus si on est prêt. Avec les changements de mode de consommation, on fait plus de formats rapides. Personnellement j’apporte beaucoup d’importance à un album, je veux que ça soit le meilleur projet de ma vie (rires).

Météo (Entreprise)


Entretien Théo Lilin
Photo : Gabrielle Langevin