FRANCK GASTAMBIDE, L’ACTION 3.0 : « LES HÉROS SONT VIRILS ET FRAGILES »

Franck Gastambide

Tête pensante de la (fausse) chaîne de télé-achat kaïra shopping, devenu réal’ bankable grâce aux millions d’entrées de Pattaya et au succès de sa série Validé, Franck Gastambide est aujourd’hui à l’affiche d’un « Actioner » estampillé Netflix, le testostéroné et smart Sans répit. Rencontre en douceur.

La dernière fois que nous nous étions vus, il y a dix ans, tu débutais avec Les Kaïra. Et aujourd’hui, tu es tête d’affiche de LA sortie Netflix du printemps, le remake du polar coréen Hard Day. 
Franck Gastambide : Sacré film : c’est l’histoire d’un flic corrompu qui va passer la pire nuit de sa vie. En allant à l’enterrement de sa mère, il renverse un homme, puis il fait une multitude de mauvais choix, qui vont le mettre dans une multitude de mauvaises situations. Pour un acteur, c’est formidable de jouer ça, car tu sais que c’est jouissif pour le spectateur. Je n’ai interprété quasiment que des mecs sympas et c’est top de jouer ce flic corrompu, qui reste cool. J’avais adoré le film coréen, mais je me suis interdit de le revoir quand on m’a proposé de jouer dans le film.

Tu y as droit à de sacrées séquences d’action.
Ça me plaisait beaucoup de me retrouver en tête d’affiche d’un thriller d’action, ce que je n’avais jamais fait. J’ai adoré tourner les scènes d’action. Tu bosses avec l’équipe de cascadeurs, tu répètes, tu travailles pendant deux semaines. J’ai parfois des complexes pour les films d’auteurs profonds, mais je sais que j’ai ma place dans l’action, les rôles physiques. J’adore L’Arme fatale, Die Hard, mais le plus grand chef-d’œuvre de tous les temps, c’est Rocky, aucune discussion possible ! 

Il y a eu un entraînement physique particulier pour ce film ?
Il y a eu une petite perte de poids parce que selon mes activités, je peux avoir le corps d’un scénariste ou celui d’un acteur (rires). À partir du moment où j’étais engagé sur le film, il y a eu une grosse diète…

Et tu donnes la réplique à Simon Abkarian.
Il y a un point sur lequel j’ai été intransigeant avant d’accepter le film, c’était d’avoir un antagoniste fort, puissant, quelqu’un qui pourrait me faire peur dans la vraie vie, et le nom de Simon Abkarian est arrivé très vite. J’avais toujours mes petits complexes, j’étais impressionné de jouer face à un mec de ce niveau-là. Une journée même, je n’arrivais plus à sortir mes répliques, j’étais sûr que tout le monde allait voir qu’il était bien meilleur que moi. Un beau moment de solitude alors que l’équipe de 80 personnes attend… 

Sur Sans répit, tu es seulement acteur. Tu n’avais pas envie de prendre le lead, de diriger de temps à autres ?
Quand je fais l’acteur, je mets tout de suite très à l’aise les metteurs en scène. Je leur explique que c’est un énorme kiff pour moi de m’abandonner complètement à leurs désirs. Quand je joue, je dois être concentré sur trois règles essentielles : être à l’heure, connaître mon texte et être sympathique avec l’équipe. Ce sont celles que j’ai apprises à tous les petits comédiens avec qui je tourne et toutes les équipes de Validé. Ces trois règles-là, elles te permettent quand même de faire une carrière.

Ton personnage est un homme plutôt moderne, pas machiste, ce qui n’est pas vraiment la règle dans les films d’action.
Oui, il est moderne dans son attitude, dans son rapport aux femmes. J’ose penser que c’est la direction que prennent les hommes intelligents et espérer qu’on est nombreux. Dans mes films, j’ai toujours mis en scène des femmes fortes, avec du tempérament, je les aime comme ça, des femmes qui s’imposent, qui s’assument. Je les aime quand elles ne se laissent pas faire, quand elles disent ce qu’elles ont à dire. J’aime qu’elles se sentent égale aux hommes et généralement, dans mes films, elles les contrôlent. 

gastambide franck
GOOD COP, BAD COP_
Pour incarner un flic ripou, Sans répit s’est offert le haut du panier : le primé Simon Abkarian, grand acteur de théâtre et méchant chez James Bond. Un casting sans bavure.


Dans Pattaya, tu prenais même de bonnes tartes.
Oui ! Et dans Taxi, c’est moi qui lui cours après, et c’est elle qui a toutes les compétences, qui sait gérer la voiture, qui m’apprend à m’en servir, qui me défie, qui me challenge. Dans Validé, j’ai confié la saison 2 à une fille forte. Et ouais, je suis assez fier de ça, de me dire que c’était un pari risqué. Il n’y avait pas de volonté de mon côté d’être vraiment féministe, c’est juste qu’il y avait un tas de belles choses à raconter avec une femme.

Malgré ton look viril, très Vin Diesel, il y a toujours quelque chose en toi de beaucoup plus fragile.
Après tout ce qu’on s’est raconté, c’est une évidence qu’il y a une fragilité, pas besoin d’aller loin dans l’analyse pour se rendre compte de ça, je l’assume. Quand je joue, ce côté-là est facile à aller chercher car il est proche de moi. 

Le film sort sur Netflix, une première pour toi. 
J’aime beaucoup les exploitants, mes films marchent en salles, je suis attaché à la salle et accro aux rires des spectateurs. Mais je tourne avec Netflix. Avec les plateformes, tu peux toucher des millions de spectateurs dans le monde entier. 

Dans tes interviews, tu te présentes toujours comme un petit mec du 77 qui « essaie de faire de trucs de sa vie ». 
Je n’osais même pas rêver de cinéma ; j’étais au plus bas de l’échelle, dans ma camionnette, pour tourner une journée avec mon chien. Le chemin a été long… Je suis rentré par la fenêtre du cinéma français, je dressais des animaux, je venais du fin fond de Melun. J’étais devenu dresseur car j’étais en échec scolaire, je souffrais d’une dyslexie très handicapante et de dyspraxie. Ma mère était femme de ménage. Je ne savais pas que j’étais dyslexique et j’ai été dernier de la classe toute ma vie, sans comprendre pourquoi. J’ai été en échec pendant les vingt premières années de ma vie, c’est dur d’avoir confiance en soi après ça. J’ai arrêté l’école dès que j’ai pu, à seize ans. Toute ma vie, j’ai entendu : « Qu’est-ce qu’on va faire de lui ». Encore aujourd’hui, j’ai de grosses difficultés pour certaines choses, très simples pour les autres. Les complexes restent là, quand j’apprends l’anglais, quand je joue aux cartes… À l’inverse, dans une room avec des auteurs, mon cerveau est le plus rapide pour trouver les rebondissements, les idées…
 

« LES PRODUCTEURS ET LE METTEUR EN SCÈNE M’IMAGINAIENT BIEN EN FLIC UN PEU BADASS. »

 

Le succès ne t’a pas rassuré, guéri ?
Non. Je réalise que je fais ce métier pour qu’on me regarde, qu’on m’aime et pour me soigner de mes complexes, de mon manque de confiance. Après le succès des Kaïra, Ramzy m’a demandé si cela allait mieux. Zéro ! Il m’a alors dit : « Écoute, ça ne changera jamais. Avec Éric, on a des millions de spectateurs et on a toujours l’impression d’être des ploucs. Faut faire avec ! » J’ai le syndrome de l’imposteur. D’ailleurs les réseaux te rappellent constamment que tu es nul, mais j’essaie toujours de rêver grand, de ne pas restreindre mon ambition. Résultat, je me surinvestis dans le travail. Je ne suis pas marié, je n’ai pas d’enfant, je travaille, je fais des films populaires pour toucher les gens, pour que ça marche, car j’ai peur de l’échec. 

Pour toi, tout commence avec… Mathieu Kassovitz.
Le hasard veut qu’un jour, Mathieu cherche des pits et des rottweilers pour Les Rivières pourpres. J’avais 20 ans et il m’a présenté à des potes qui faisaient des courts-métrages vidéo, Kim Chapiron et Romain Gavras du collectif Kourtrajmé… Avec eux, j’ai fait des clips mortels, avec DJ Mehdi ou la Mafia K’1 Fry, avec mes chiens. Je me suis alors dit que c’était peut-être possible pour moi, même si j’avais dix ans de retard sur eux. Ils avaient grandi dans un milieu artistique, moi, je ne connaissais personne dans le cinéma, ils s’habillaient à la mode, moi, en survêt Décathlon. Les mecs de Kourtrajmé, dont Mouloud qui m’a fait bosser sur MTV, m’ont permis d’avoir de l’ambition. 

Et de passer à Kaïra Shopping.
J’ai décidé de faire des petits sketchs dans mon coin, en plan séquence, car je n’avais pas de banc de montage. À l’époque, j’étais inspiré par Omar & Fred et Le Cinéma de Jamel, ces petites pastilles humoristiques de Canal+. Avec Médi (Sadoun), on voulait devenir les nouveaux Omar et Fred. Je n’avais pas d’argent, j’écrivais seul et j’ai eu l’idée du télé-shopping des objets volés, avec ces mecs qui crachent par terre, mes animaux. Medi n’était pas motivé et donc on l’a tourné en bas de chez lui, avec Jib Pochetier. On a présenté nos vidéos à MTV, mais ils n’avaient pas la place. Un jour, Arielle Saracco de Canal m’appelle. Elle a trouvé nos sketchs très drôles et me demande si je peux en tourner 40. Bien sûr ! Je n’ai aucune ambition d’être acteur, mais je joue dans Kaïra Shopping, car personne ne veut le faire. J’accepte le projet de Canal, je veux engager un comédien pour me remplacer, une vraie équipe technique, mais ils désirent que ça reste exactement comme ce que l’on avait déjà tourné. Je m’improvise auteur et j’écris 40 sketchs. Je m’improvise réalisateur et, première déception, notre programme déboule sur Internet, alors que l’on pensait que ce serait diffusé sur Canal, dans Le Grand Journal, comme Omar & Fred. On devient la première Web Série de Canal et on a une incroyable liberté ! La hype a tellement pris qu’on m’a proposé un film. J’ai dit que je ne savais pas faire de film, mais je me suis enfermé à Melun, j’ai regardé des tas de DVD et j’ai essayé de comprendre comment cela fonctionnait. J’ai vu Les Beaux gosses et Tout ce qui brille, et je me suis dit que c’était possible… J’ai écrit Les Kaïra, avec comme film de chevet SuperGrave, un chef-d’œuvre du teen movie américain.

Le film va faire un million d’entrées.
Les Kaïra, c’est un film de potes, tourné à cinquante mètres de la clinique où je suis né. Et ce film – avec un nain qui a une énorme bite et qui veut faire du porno – va à Cannes. On devient le film le plus rentable de 2012, on fait un million d’entrées, et même la couverture de Technikart !

Franck Gastambide
BURNING MAN_
C’est bien connu : sur les tournages de ses films d’action, Franck prend tous les risques. Et pour un shooting de cover Technikart, aussi.


Tu enchaînes avec Pattaya. 
Pattaya, c’est parce que mes potes allaient en vacances là-bas. S’ils étaient allés au Cap Ferret, j’aurais peut-être réalisé Les Petits mouchoirs. Inspiré de SuperBad et Very Bad Trip, Pattaya fait deux millions d’entrées. 

Est-ce que tu penses que tu pourrais tourner Les Kaïra et Pattaya en 2022 ?
L’époque a changé. Pour Kaïra Shopping, on jouait avec nos codes, on se caricaturait en bas de notre tour. Si ça sortait aujourd’hui, ça serait une catastrophe, et tout le monde dirait que l’on stigmatise la banlieue. Il faut faire attention à ce que l’on dit, mais Kaïra Shopping, c’était bien, non ? Il y a en ce moment la grande mode des « banlieuetologues » qui t’expliquent comment tu dois penser, te comporter. Ces mecs écoutent toute la journée du rap hardcore et ils viennent me chercher parce qu’un de mes personnages fait des fautes en parlant. Récemment, le Bondy Blog a fait un article à charge sur moi à propos des Kaïra et de Pattaya, deux films « stigmatisants », alors qu’ils m’avaient fait un article élogieux dix ans plus tôt. J’ai pris mon scooter et j’y suis allé pour discuter. C’est inquiétant d’avoir peur, quand on fait une comédie, de se faire taper dessus par des communautés, c’est inquiétant de se censurer. C’est important l’humour. Je voudrais savoir ce qu’il y a de négatifs dans mes comédies. Avec mes films, je fais bosser des tas de mecs du quartier, Medi Sadoun a joué dans Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu, Malik Bentalha remplit des Zéniths… C’est quand même la base de nous moquer de nous-mêmes quand on fait des comédies. Parce que nous sommes des mecs de banlieue, des noirs, des arabes, on ne peut plus jouer des personnages drôles et avoir un peu d’autodérision ? Comme le faisaientt Jacques Villeret, Pierre Richard, Bourvil ? C’est le propre de la comédie d’avoir de l’autodérision et de se caricaturer. Je me caricature moi-même dans Les Kaïra et Pattaya. Sur la série Validé, on m’a dit que le nom du personnage Fatou faisait cliché. Mais c’est le nom de l’actrice ! Je suis sûr que H, la série préférée de la banlieue, aurait des problèmes maintenant, parce que les noirs et les arabes sont brancardiers et que les médecins sont blancs. 

Après deux films trash avec femmes fontaines, jets de diarrhée et nains lubriques, j’ai été très étonné de te voir mettre en scène Taxi5.
J’adore les bagnoles, j’adore la série Taxi, je suis donc allé pousser la porte de Luc Besson pour lui proposer le cinquième volet de la saga. On a fait quatre millions d’entrées. Je sais que certains trouvent que c’est un peu plouc, mais le film m’a fait évoluer. D’un coup, je change de catégorie, je passe dans la catégorie des réalisateurs à qui l’on peut filer vingt millions et du coup, je peux rêver à ce cinéma, à ce style qui m’a toujours fasciné, le cinéma d’action, le cinéma hollywoodien.
 

« C’EST LE PROPRE DE LA COMÉDIE D’AVOIR DE L’AUTODÉRISION ET DE SE CARICATURER. »

 

À côté de ce blockbuster, tu as également tourné dans de petits films indépendants comme Les Enragés, Hibou, Made in France ou La Surface de réparation.
Pour Hibou, c’est Ramzy, je n’ai pas le choix, je dois le faire ! J’arrive à Montréal, je lis ma scène et je trouve ça nul. Il se marre et me dit : « Oui, mais on fera pas ça… » Du pur Ramzy ! Avec Nicolas Boukhrief, j’ai super bossé, il m’a très bien dirigé. Et, pour une fois, je me trouve bien. Pour La Surface de réparation, j’ai failli refuser car j’étais en pleine préparation de Taxi et je n’avais pas envie d’aller me les geler en novembre à Nantes. Mon agent m’a convaincu que je ne pouvais pas planter le film à trois semaines du début. Je l’ai tourné, et c’est un des films dont je suis le plus fier. Quand je travaille sur mes réalisations, je passe à côté de plein d’opportunités. J’aurais pu jouer dans Le Chant du loup, mais malheureusement j’étais sur Taxi. Avec Validé, j’ai refusé des projets pendant trois ans. 

Showrunner sur Validé, c’était un nouveau défi ? 
J’ai entendu les critiques pour Taxi. J’avais besoin de changer de registre, d’être plus personnel, plus sombre et dramatique. Le rap, c’est un milieu difficile, qu’il faut bien connaître. C’est un milieu avec des gens potentiellement susceptibles, mais le hip-hop est aussi mon ADN, et dès Les Kaïra, j’ai reconstitué le groupe Mafia K’1 Fry pour un concert à la fin du film…

Tu as quand même reçu des critiques en crédibilité, notamment Booba qui a déclaré : « C’est encore une fois de la récup de bobo en manque de sensations fortes ! » 
Tu ne peux pas faire l’unanimité, mais la grande majorité du milieu du rap a validé la série, tu n’as qu’à voir notre casting. C’est le succès historique de Canal+, et une grande satisfaction pour moi. 

Vous changez souvent de style, de genre. Par peur de vous répéter ?
J’aurais pu faire Les Kaïra 2, Pattaya 2, des suites de Taxi ou encore la saison 3 de Validé. J’ai envie de réaliser des choses différentes, pas confortables, je n’ai pas envie de m’ennuyer, de refaire un truc en moins bien. Je pense que ma carrière peut s’arrêter du jour au lendemain, donc j’essaie de faire des choses différentes. 

Aujourd’hui, tu es un acteur bankable. Comment géres-tu cela ?
C’est quand même très kiffant. Il faut faire les bons choix, être bien entouré pour la lecture des scénarios. J’ai le même agent depuis dix ans, Laurent Grégoire. Il est, entre autres, celui de Vincent Cassel, Omar Sy, Marion Cotillard… C’est un fin lecteur et un très bon conseiller. Néanmoins, avec mon éternel complexe, je me demande parfois si je suis le premier choix des producteurs ? C’est une grande question. Pourquoi ne l’ont-ils pas proposé à Vincent Cassel, Benoît Magimel, à François Civil ou Pierre Niney ? Mais, pour celui-ci, ce n’était pas le cas. J’étais le premier sur la liste. Les producteurs et le metteur en scène m’imaginaient bien en flic un peu badass, un peu physique. 

Et la suite ? 
Je joue le chef des pirates dans le Astérix de Guillaume Canet, ce qui est très cool à faire. Je ne me doutais pas que Guillaume penserait à moi, j’ai été ravi de faire ce rôle.

Tu aimes changer de registre.
Je veux continuer à être dans l’air du temps et à cartonner auprès du public. Après une grosse comédie, j’aimerais faire un petit film d’auteur, et ainsi de suite. 

Et si Vin Diesel te propose de jouer dans Fast & Furious 10 ?
J’y vais en bobsleigh. Je travaillerai dur mon anglais ! Mais l’aboutissement ultime, ce serait de tourner avec Sylvester Stallone. 

Tu es booké ces trois prochaines années ?
Oui, mais je peux glisser quelques films en acteur dans mon planning. J’en ai un de prévu d’ailleurs. Sinon, à terme, je me vois à Los Angeles, des films avec un casting international et tournages à l’étranger. C’est l’idée. J’espère régler définitivement mes complexes avec une aventure américaine. C’est le rêve ultime de ma vie, d’ailleurs, c’était déjà inscrit sur l’affiche des Kaïra : « De Melun à Hollywood ».

Sans répit : disponible sur Netflix 


Entretien Marc Godin &
Laurence Rémila
Photos Eddy Brière