FESTIVAL DE DINARD : PORTRAITS DE FEMMES ET CRISE DE NERFS EN IRLANDE

collin farrell

De beaux portraits de femmes, une bio multi-primée sur l’énigmatique Emily Brontë et une œuvre drôle et absurde portée par le tandem gagnant Bons baisers de Bruges.

Panorama du cinéma britannique, la 33e édition du festival de Dinard nous a offert quelques beaux portraits de femmes. Dans Quant, la comédienne Sadie Frost raconte le magnifique parcours de la créatrice de mode Mary Quant, une mégastar en Grande-Bretagne, qui a imposé la minijupe dans les 60 et libéré les femmes du carcan d’une mode bien trop conservatrice, aux mains des hommes. Le doc est acidulé, léger, ponctué de belles archives, mais parfois un poil répétitif.

Kathryn Ferguson signe quant à elle un documentaire sur la chanteuse Sinéad O’Connor, rebelle qui refuse d’avorter malgré les pressions de sa maison de disque, grande gueule broyée par le système. « Je ne voulais pas être une pop star, je voulais juste hurler », assure Sinéad, dépeinte ici comme féministe en chef qui a inspiré #Metoo. Pourquoi pas ? Mais après Moonage Daydream, consacré à Bowie, comment faire un dock rock aussi plat, scolaire, avec des tas de voix off d’interlocuteurs plus ou moins passionnants ? Et surtout, avec une telle matière première, pourquoi couper les chansons au bout de quelques secondes pour faire parler un pimpin ? On entend Sinéad en voix-off, mais elle n’apparait jamais l’écran. De plus, le film s’arrête au mitan des années 90, fait l’impasse sur la discographie de Sinéad depuis 20 ans, passe sous silence ses grosses difficultés psychologiques (voir son Twitter désespéré) et la production n’a même pas eu le droit d’utiliser la chanson Nothing compares to you. Quand ça veut pas…

Frances O’Connor est la grande gagnante de cette 33e édition et son Emily a braqué pas moins de trois récompenses : le Grand prix, un prix d’interprétation mérité pour l’épatante Emma Mackey (Effeil de triste mémoire, la série Sex Education). Emily est un biopic imaginaire de l’énigmatique Emily Brontë, le récit d’émancipation d’une rebelle inadaptée à la vie quotidienne qui va guider ses lectrices vers la maturité. On peut néanmoins regretter le côté sage de l’ensemble, avec une succession de plans attendus avec brumes sur la lande et regards dans le vide (sortie en mars prochain).

CROTTIN D’ÂNE ET DOIGTS COUPÉS

Notre chouchou de la semaine, présenté hors compétition, était Les Banshees d’Inirsherin, ciselé par Martin McDonagh, le réalisateur surdoué de Bons baisers de Bruges et de Three Billboards. Nous sommes en 1923, sur une petite île au large de l’Irlande, d’où on perçoit parfois les explosions de la guerre civile. Colm et Padraic sont les meilleurs amis du monde, deux piliers de bistrot, mais un beau jour, Colm décide de ne plus parler à son camarade de picole, lassé par sa connerie et son babillage indigent (« Tu m’as parlé deux heures durant du crottin de ton âne » – « C’était celui de mon poney, tu ne m’as même pas écouté »). Padraic ne comprend pas, veut des explications, la situation s’envenime dans le village, et Colm balance un ultimatum pour le moins farfelu (vu qu’il est violoniste) : il va se couper un doigt dès que son ancien copain lui adressera la parole. Les doigts commencent à valser… Dramaturge, Martin McDonagh creuse l’absurdité de la situation, un peu à la manière d’un Samuel Beckett. C’est cruel, dingo, et incroyablement malin. De plus, pour cette partition virtuose, le cinéaste a reconstitué le duo gagnant de Bons baisers de Bruges, Brendan Gleeson et Colin Farrell, hallucinants en Laurel et Hardy dépressifs. McDonagh s’égare parfois quand il ose une métaphore lourdaude avec la guerre civile en Irlande, mais il signe – entre éclats de rire et hurlements d’horreur – une incroyable méditation sur la solitude et le désespoir.

 

PALMARES DU 33E DINARD FESTIVAL DU FILM BRITANNIQUE

Hitchcock d’Or Ciné Plus
Emily de Frances O’Connor

Hitchcock d’Or de la meilleure interprétation
Emma Mackey dans Emily de Frances O’Connor

Prix d’interprétation collectif
Pour l’ensemble du casting de All my Friends hate me de Andrew Gaynor

Prix Spécial du Jury Barrière
The Almond and the Seahorse de Celyn Jones et Tom Stern

Prix du Public
Emily de Frances O’Connor

Hitchcock du public Shortcuts (court-métrage)
Rat de Sarah Gordon.


Par Marc Godin