Pour son premier long métrage, l’épatant Omar la fraise, Élias Belkeddar, 35 ans, convainc d’emblée. Rencontre avec un surdoué.
Nous sommes dans le 9e, pas très loin de la gare du Nord, dans les locaux d’Iconoclast, la société de production derrière Omar la fraise, la grosse sensation de Cannes. L’histoire de deux Laurel et Hardy du crime – extraordinaires Reda Kateb et Benoît Magimel – qui, après avoir régné sur le milieu du banditisme français, doivent vivre de petites combines à Alger. Affalé dans un canapé, Élias Belkeddar, 35 ans, hoodie orange, en chaussettes, tente de se détendre…
Ton premier film fait sensation à Cannes. Quel est ton parcours ?
Élias Belkeddar : J’ai grandi à Aubervilliers, puis place des Fêtes dans la 19e, à Paris. Mon père, travailleur social, est Algérien immigré, ma mère, bibliothécaire, est Russe. Ils étaient passionnés par la culture – ma mère, les livres, mon père, le cinéma – et ils nous ont transmis cet amour à moi et mes deux grands frères. Tous les dimanches, on allait au Champo, au Reflet Médicis, pour voir un western ou autre. J’ai également beaucoup lu la littérature russe…
Et le cinéma ?
Très jeune, après le bac, j’ai commencé à faire de la régie, du café ou de l’assistanat de production. Je travaillais sur des courts-métrages, des pubs, des shootings, making of… je prenais tout. Jusqu’à devenir un jeune producteur de clips, de pubs, de films institutionnels… Et je suis arrivé à Iconoclast, lancé par mon frère Mourad. J’ai adoré collaborer avec lui, puis j’ai développé des films en tant que producteur et je coécris également. J’ai bossé sur Mes jours de gloire d’Antoine de Bary, Athena de Romain Gavras, la série Désordres de Florence Foresti… Nous produisons deux longs par an. En 2017, je souhaitais développer un court-métrage en Algérie mais personne ne voulait le réaliser, l’histoire d’un gangster qui organise un faux mariage afin de transporter de la drogue avec des lascars de cité. Mourad me suggère finalement de le mettre en scène et je fonce. Je tourne à Noël, avec un pote, et on fait ça en quatre jours avec une caméra et peu de moyens. Miracle, le film est sélectionné à Cannes. Thomas Bidegain le voit, me propose ses services pour un long. On devait tourner en 2020, mais à cause du Covid, l’Algérie a fermé sa frontière deux ans. Pendant ces deux années, j’ai pu peaufiner mon film, ça m’a fait énormément gagner en qualité, et je bossais en même temps sur les projets d’Iconoclast.
Spécialiste du crime organisé, le journaliste Jérôme Pierrat a collaboré au scénario.
Jérôme est un ami, et on partage un tropisme pour le banditisme. Je lui parle du projet il y a sept ans et Jérôme, très curieux, vient avec moi en Algérie. On a fait des allers-retours pendant deux ans, à rencontrer des gens, prendre des notes, on a commencé à penser le projet ensemble. Très généreux, Thomas est arrivé plus tard, il m’a aidé sur la structure et il a effectué un gros travail créatif sur les personnages.
Benoît Magimel et Reda Kateb sont-ils inspirés de vrais personnages de caïds ?
Ce sont des composites d’imaginaires, de références cinématographiques et de personnages que j’ai croisés en Algérie, mais aussi à Paris ou dans un bar de Marseille. Puis Reda et Benoît ont fait un travail de composition sur la caractérisation, l’attitude. Ce sont vraiment eux qui ont accouché des personnages.
Comment fait-on pour avoir de grosses vedettes comme Magimel et Kateb pour son premier long ?
Ce sont deux comédiens que j’adore profondément et que je n’avais jamais vus ensemble. Je leur ai proposé le film et les deux ont accepté en 24 heures. Benoît a même accepté sans lire. Je lui ai raconté le pitch, parlé de l’Algérie, on a blagué 15 minutes et il m’a dit « Vas-y, je t’aime bien, je le fais ! » J’ai trouvé ça classe. Quant à Reda, il l’a lu le jour même, il m’a donné rendez-vous dans un café de Bastille et il m’a demandé de poser des dates. Je voulais vraiment un acteur algérien pour Omar. Entre eux deux, il y a eu un peu d’impro, mais pas tant que ça. En trois prises, c’était plié, mais souvent, la première prise était la bonne. Fréquemment, le matin, Benoît arrivait avec de nouvelles idées. J’écrivais les dialogues et il les apprenait.
Comment expliques-tu l’alchimie entre eux ?
C’est simple. Ils ne se connaissaient pas, ils se rencontrent une fois à Paris, se font trois vannes et c’était réglé. Il n’y a jamais eu une discussion sur un personnage ou autre. C’était organique, naturel. Il n’y avait pas d’égo, ni de compétition. Ils sont très appréciés par les Algériens, ils ont vraiment la côte. Le tournage était très intense, il faisait 40°, mais j’espère qu’ils ont pris du plaisir.
Les influences du film ?
J’avais envie d’un mix entre Kitano et le néo-réalisme italien, je voulais voir ce qui passerait si on mélangeait Affreux, sales et méchants avec Outrages. Les acteurs ont peut-être amené une dimension plus scorsesienne. Mais le gangster en total loser, ça vient directement de Kitano. Et le discours sur la misère sociale, c’est plutôt Le Voleur de bicyclette. Mais le moteur premier du film, c’est mon émerveillement devant l’Algérie. Graphiquement, architecturalement, c’est un pays d’une beauté hallucinante. Depuis mon enfance, ce pays me fascine, j’y vais trois fois par an.
Avec la sélection à Cannes, est-ce que tu avais déjà le melon ?
(Il se marre) Cannes, c’est un petit trip narcissique, mais je veux vraiment que le film soit vu par le grand public. Donc j’y vais.
Omar la fraise, en salles
Par Marc Godin
Photo Arnaud Juhérian