La prochaine fois que vous irez faire vos emplettes à la Grande épicerie de Paris, arrêtez-vous au rayon fromages. Depuis plus de 15 ans, à la Ferme des 30 Arpents, on fabrique le Fermier truffé Edmond de Rothschild. Petite dégustation avec Didier Buet, directeur d’exploitation de la ferme et Éric Havard, maître fromager.
La Ferme des 30 Arpents est située à Favières, en Seine-et-Marne, sur le domaine familial Edmond de Rothschild. Quelles sont les spécificités de ce terrain ?
Didier Buet : Le nom de la Ferme vient à l’origine d’une unité de surface, mais aujourd’hui le domaine est bien plus grand, c’est-à-dire environ 600 hectares de terres agricoles, dont le premier objectif est de nourrir les quelque 300 vaches du domaine, qui fournissent le lait à la fromagerie.
Vous êtes en « agriculture raisonnée ». Quelle différence avec le bio ?
Didier Buet : L’agriculture raisonnée n’est pas similaire en tout point avec le bio, mais globalement, nous n’utilisons que très peu d’intrants (dans le langage agricole, l’intrant désigne les engrais naturels ou industriels et les produits phytosanitaires, ndlr). Nous avons aussi une unité de méthanisation, mise en route il y a quatre ans, qui nous permet d’être autosuffisants et de transformer les déchets agricoles en énergie.
Ces terres vous appartiennent en en propre ?
Didier Buet : 98 % des terres appartiennent aujourd’hui à Madame Ariane de Rothschild. Aux 600 hectares de terres agricoles, s’ajoutent 1000 hectares de bois, qui servent à l’exploitation forestière. La famille Edmond de Rothschild a toujours investi de manière importante à l’est de Paris depuis 1829.
Pour quelle raison ?
Didier Buet : L’idée pour eux, c’était de préserver un poumon vert à l’est de Paris. Ces 1000 hectares de bois, c’est grâce à la famille Edmond de Rothschild qu’ils ont été préservés. Un peu plus haut, il y a Ferrières-en-Brie, très connue pour son château qui appartenait à la famille et que possède désormais la commune. Toutes les communes de la région ont forcément une rue, une salle de sport ou un bâtiment baptisé Rothschild, parce que la famille s’est beaucoup engagée.
Éric Havard, vous êtes responsable de la fromagerie du domaine depuis trois ans. Comment est né la spécialité de la Ferme des 30 Arpents, le brie de Meaux fermier AOP ?
Éric Havard : En 1990, Edmond de Rothschild a choisi de faire du fromage, le Brie de Meaux en méthode traditionnelle. L’histoire raconte que, ne retrouvant pas le fromage de son enfance, il a voulu en faire lui-même. À l’époque où il a vécu ici, il y avait davantage d’hectares de bois et une bâtisse à côté, le château d’Armainvilliers, dont il était propriétaire. Cela a été un peu particulier, parce que faire un brie de Meaux fermier veut dire que l’on transforme notre lait et uniquement notre lait. Edmond de Rothschild a donc relancé le brie de Meaux en méthode AOP.
C’est vous qui avez inventé le Brie truffé ?
Éric Havard : Les Italiens sont les premiers à avoir associé la truffe et le fromage. Mais en France, le Brie truffé perd l’appellation lorsqu’on le coupe en deux pour mettre l’insert, même si c’est malgré tout la base du Brie de Meaux. Tout a commencé dans cette ferme, avec Benjamin de Rothschild, grand amateur de truffes. C’est sous son impulsion que la recette a été créée puis commercialisée pour la première fois il y a 15 ans. Cela a demandé de nombreux essais car la truffe vient de la terre. L’intégrer à du fromage nécessite des précautions, surtout sur le plan sanitaire.
Quelles sont ces précautions ?
Éric Havard : Les brisures de truffes subissent un traitement particulier pour pouvoir être intégrées dans le fromage, puis elles sont mélangées à un fromage triple gras pour obtenir un insert parfait. Le plus important, c’est la granulométrie des inserts de truffe placés dans la pâte. Nous avons besoin de l’estampille sanitaire assurant que nos truffes sont indemnes de tous les germes qu’on peut connaître.
Vous disiez que le Brie perdait son appellation, pourquoi ?
Éric Havard : Il y a un cahier des charges à respecter, que ce soit au niveau de la production laitière ou de la transformation. Par exemple, le moulage à la main est obligatoire. Mais aussi au niveau du temps de coagulation, de la taille du moule et de la durée d’affinage minimum. Le Brie, c’est un fromage entier, un disque de couleur blanche sans insert à l’intérieur. Lorsqu’il est truffé, à la figue, à la noix, au miel ou à la moutarde de Meaux, il perd cette appellation…
Êtes-vous les seuls à fabriquer du brie de Meaux fermier ?
Éric Havard : Il n’existe pas d’autres installations possédant son propre troupeau et capable de fabriquer leur lait et leur fromage grâce à leurs propres vaches. Il existe des industriels qui font du brie de Meaux, mais le fermier, n’y en a qu’un, et c’est nous ! Toute la difficulté tient dans le fait d’avoir le troupeau et de transformer à côté, c’est-à-dire être à la fois éleveur et transformateur.
Pourtant, ils sont nombreux à utiliser le mot « fermier »…
Éric Havard : Oui, mais ces autres fromages « fermiers » ne sont pas en appellation d’origine protégée Brie de Meaux. Des « Bries de Meaux d’appellation d’origine contrôlée brie de Meaux fermier », nous sommes les seuls à pouvoir les revendiquer. On a l’herbe, les vaches, le lait. Un cercle vertueux !
Vous vous revendiquez ferme autosuffisante. Comment cette avancée a-t-elle vu le jour ?
Éric Havard : Benjamin de Rothschild a choisi de continuer à investir dans cette ferme en se disant qu’elle avait de l’avenir et pour longtemps. D’autres fermes, notamment celles de Vendée, disposaient déjà d’unités de méthanisation avec des panneaux photovoltaïques. La Ferme des 30 Arpents, voulant devenir une ferme du XXIe siècle, s’est alors lancée. La région nous a aidés financièrement pour franchir le pas. Aujourd’hui, nous recyclons les déchets organiques – même si je n’aime pas appeler ça de cette façon, parce qu’un vrai paysan sait que du fumier ou du lisier, ce n’est pas un déchet…
Par Serge Adam




