CHAOS DEBOUT

THE SADNESS

À la suite d’une pandémie, des infectés massacrent, torturent et violent leurs victimes, le rire aux lèvres. Du très bon mauvais goût et une cruauté sans limite qui sidère et interroge. 

2022, année gore ? Le mois dernier, le festival de Cannes ressemblait à un abattoir en folie filmé par L214. Pour la bonne bouche, Thierry Frémaux avait choisi Coupez ! en film d’ouverture, une belle tranche dégoulinante qui parodie et sanctifie le genre. Également au programme, Men, avec une mutilation craspec et une série de visions utérines dérangeantes. Et bien sûr Les Crimes du futur, le requiem de David Cronenberg qui sort ses tripes en donnant à voir un Viggo Mortensen en artiste-performer qui transforme l’ablation de ses organes en œuvre d’art. Tout cela est assez troublant, ressemble bel et bien à une nouvelle convulsion organique du 7e art, un retour en force du gore après un âge d’or dans les années 1970. Effet collatéral de la pandémie ? Et voici déjà qu’arrive de Taïwan The Sadness, un objet non identifié, impur et malsain, qui repousse les limites de tout ce que vous avez vu, quelque chose comme l’Everest du gore, un doigt d’honneur au bon goût avec 100 minutes de massacres, de mutilations ou de têtes réduites en bouillie. Nous sommes en Asie du Sud-Est, après un an de lutte contre une pandémie aux symptômes relativement bénins. Bientôt, le virus mute, métamorphosant les infectés en monstres assoiffés de sang, avides de tortues et de stupre…Tandis que le chaos explose à chaque coin de rues, un jeune homme tente de rejoindre par tous les moyens sa fiancée qui a trouvé refuge dans un hôpital assiégé par les infectés. 

COVIDO-GORE

Exilé à Taïwan, Rob Jabbaz, grand gaillard canadien bardé de tattoos, a signé quelques courts-métrages d’animation avant ce premier long. Pendant la pandémie, un producteur lui demande d’usiner vite fait un film de zombies. Mais au lieu d’un énième succédané de Walking Dead, Jabbaz s’inspire de Crossed, de Garth Ennis, une des BD les plus extrêmes jamais réalisée, aiguisée comme une lame. Et injecte des séquences directement issues de films comme Evil Dead, Maximum Overdrive ou Irréversible… « L’idée, c’était de mixer tout ce que je connaissais et d’en tirer quelque chose qui ait du sens. » On pourrait être dans le pur cinéma d’exploitation, la compil’ du best of, mais Jabbaz parvient à surprendre. Bientôt, la folie se propage comme un virus, les geysers d’hémoglobine et les mutilations diverses provoquent la sidération, le dégoût ou le rire. Le film devient un monstre qui dévore tout sur son passage. Dans son roller-coaster pop, Jabbaz ose une métaphore politique de l’angoisse taïwanaise face à la tutelle chinoise, interroge la cruauté inhérente à l’homme et intercale des séquences où les infectés violent leurs victimes agonisantes, en arrachant leurs viscères fumantes, jouissant sans entrave, pénétrant tous orifices, orbite compris. On se retrouve alors propulsé chez le marquis de Sade (The Sadness, ce serait donc cela ?), abasourdi par le mélange sadique sexe-gore. On pense également à Nietzsche et son « Si tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi ». Jabbaz provoque un choc tellurique, un dérèglement des sens qui trouble, questionne et bastonne (au festival de Gérardmer, plusieurs spectateurs sont repartis en ambulance). Avant de finalement transformer sa petite boutique des horreurs en une histoire d’amour tragique : The Sadness ! Un électrochoc. 

THE SADNESS
ROB JABBAZ
(EN SALLES LE 6 JUILLET)


Par Marc Godin