CANNES, DAY 7 : EDDINGTON, THE PHOENICIAN SCHEME ET ALPHA

Alpha de Julia Ducournau

Regarde les cinéastes tomber… Les Américains Ari Aster et Wes Anderson déçoivent avec des films supérieurement mis en scène mais vides et confus. Et la Française Julia Ducournau s’offre l’accident industriel le plus spectaculaire de Cannes avec Alpha.

La première immense déception de ce 78e festival de Cannes, c’est Eddington, d’Ari Aster, génial réalisateur d’Hérédité, de Midsommar et du beaucoup moins génial Beau is afraid. Ici, Aster retrouve Joaquin Phoenix et raconte dans cette farce/fable/western la décomposition de l’Amérique, ce pays qui sombre en masse dans la violence et l’idiocraty trumpienne. En plein épidémie de Covid, le flic bas de plafond d’une petite ville (Phoenix) affronte le maire libéral et progressiste (Pedro Pascal), croise des conspirationnistes, des masculinistes hyper-violents, des dingues, des étudiants woke… C’est donc un western sous acide, supérieurement mis en scène, avec l’immense Darius Khondji à la photo. Aster pense marcher dans les pas de Kafka, des frères Coen ou de David Lynch mais il accouche péniblement d’un épisode raté des Simpson. C’est mauvais, interminable (2h 40), jamais drôle (pas un rire dans la salle), avec un message douteux quand Aster met au même niveau les conspis, les racistes, les mascus ou les jeunes. Il pense livrer un portrait au vitriol de son pays, alors qu’il suffit d’aller sur le net pour comprendre qu’il est en dessous de la réalité. Aster nous doit définitivement une revanche.

SYMÉTRIE ET VIDE COSMIQUE

Wes Anderson n’en finit plus de décevoir. Après un Asteroid City de sinistre mémoire, voici The Phoenician Scheme, beau et vide, le nouveau soufflé au fromage (rance) du cinéaste texan de La Famille Tenenbaum. Conçu comme une aventure de Tintin (ligne claire, toussa), The Phoenician Scheme raconte les aventures sentimentalo-capitalistes d’un milliardaire, incarné par Benicio Del Toro, un méchant magnat en faveur l’esclavage qui a abandonné ses enfants et qui part rencontrer ses actionnaires pour élucider le sabotage de ses intérêts commerciaux. Bien sûr, l’emballage est absolument délicieux : symétrie des plans à faire ressusciter Stanley Kubrick, pastels acidulés, sublime décorum, photo chromo de Bruno Delbonnel, costumes de Milena Canonero, des stars à la pelle… Mais pour raconter quoi ? Rien ou presque. Rien sur la prédation capitaliste, rien sur les liens familiaux sinon le cliché sur la famille que l’on choisit… Du cinéma millimétré, virtuose, comme pensé et réalisé par une I.A., sans émotion aucune. Et si la place du réalisateur n’était plus dans les salles mais définitivement au musée (voir l’expo majestueuse à la Cinémathèque) ?

The Phoenician Scheme Wes Anderson

 

L’ESTHÉTIQUE POUBELLE CHIC

Mais tout cela n’est rien à côté de l’échec total et définitif d’Alpha. Nous sommes dans les années 80-90, dans une cité battue par un vent rouge. Golshifteh Farahani, docteur dans un hôpital délabré mais tellement photogénique, tente d’endiguer une maladie qui transforme les patients en statues de marbre du plus bel effet. Sa fille, Alpha, 13 ans, s’ouvre à l’amour, mais se fait tatouer avec une aiguille non stérilisée, tandis que son oncle, Tahar Rahim, délesté d’une centaine de kilos, passe une grande partie du film à rouler des yeux car défoncé à l’héroïne. Pour meubler, Julia Ducournau fait la maline avec sa caméra qui sort d’un trou de la piqûre d’un junkie (premier plan du film), accumule les plans chocs et sature la bande-son avec un mixage assourdissant, notamment lors d’un repas familial, multiplie les scènes où Rahim convulse… Après avoir repompé David Cronenberg, elle tente de faire du Gaspar Noé… C’est assez consternant, avec une esthétique poubelle chic, et très vite insupportable car on sent que Julia Ducournau veut nous dire des choses importantes sur l’addiction, le sida ou l’amour rédempteur. Tout est surligné 300 fois et si tu n’a pas compris, le personnage du prof, incarné par Finnegan Oldfield, t’explique qu’il s’agit « d’un rêve dans le rêve ». Alpha Bête ?

Eddington d’Ari Aster
Sortie en salles le 16 juillet

The Phoenician Scheme de Wes Anderson
Sortie en salles le 28 mai

Alpha de Julia Ducournau
Sortie en salles le 20 août


Par Marc Godin