Les choses sérieuses commencent avec deux propositions de cinéma, deux façons de donner à voir et à vivre le chaos du monde : Sirāt, du Galicien Óliver Laxe, et Dossier 137, de Dominik Moll.
Après La Nuit du 12, formidable enquête sur un féminicide, Dominik Moll (Seules les bêtes, Harry, un ami qui vous veut du bien) reste dans l’univers de la police mais se réinvente complètement avec cette histoire d’enquêtrice de l’IGPN, la police des polices, qui tente de retrouver les flics qui ont grièvement blessé un môme d’un tir de LBD pendant une manifestation de Gilets Jaunes. Sur la forme, Moll prend tous les risques. Il filme Léa Drucker et d’autres fonctionnaires derrière leurs bureaux interroger en plan fixe les membres la BAC, de la BRI, taper à l’ordi, dresser les PV, alterne avec des images de manifestations et de violences policières prises par des smartphones ou des caméras de surveillance. Bref, cela semble très artificiel, pas vraiment cinématographique, mais pourtant, tout s’assemble miraculeusement, comme dans un puzzle. Comme les flics de l’IGPN, le spectateur scrute la moindre image de télésurveillance, cherche le moindre indice pixelisé, tandis que les points de vue se télescopent, s’opposent et se répondent. Refusant tout manichéisme, Dominik Moll signe un polar social et politique sur une France fracturée, en train de s’effondrer, avec des pauvres qui luttent pour leur survie et des flics à qui l’on a ordonné de « Sauver la République ». Le constat est effroyable (combien de flics renvoyés de la police après des violences policières ? La réponde est dans le film) et Dossier 137 laisse un goût de cendres dans la bouche. Hautement recommandé.

ENTREZ DANS LA TRANSE
Sirāt s’apparente à une expérience de cinéma, un trip physique, mystique, une œuvre d’une insoutenable beauté. Tout commence avec un mur d’amplis dans le désert… Nous sommes au cœur d’une rave et des teufeurs dans un état second mangent les décibels de la techno hardcore dans les échos des montagnes marocaines. Óliver Laxe filme des corps en mouvement, la danse, la transe, une fête païenne et sauvage. Au milieu des danseurs, Sergi López, accompagné de son jeune fils, recherche sa fille aux yeux tristes qui a disparu depuis des mois. Tandis que l’armée débarque, quelques ravers/rêveurs s’enfuient à travers L’Atlas, vers une autre fête improbable dans le désert. Tandis que résonnent à la radio des nouvelles d’un conflit mondial en train d’éclater, le père et le fils s’embarquent à la poursuite des ravers, dans une odyssée sans retour…
Déjà réalisateur de Viendra le feu (2019), Óliver Laxe usine un pur film de sensations, alterne techno expérimentale de Kangding Ray et moments ambient. Tandis que les personnages dansent à en perdre haleine, le film vibre, vit, une puissance tellurique se dégage de chaque image, chaque mirage, créés pour faire entrer le spectateur dans la transe. Dans le désert, un autre film commence. Alors que l’orage nucléaire se profile, les protagonistes vont être confrontés à la mort, comme un voyage sur le Styx. Bientôt, on pense à Mad Max, Sorcerer, David Lynch ou Pacifiction. Produits par les frangins Almodovar, le trip de vie se métamorphose en expérience de mort, dans une fin du monde presque apaisée. On est ressort brisé, anéanti, mais avec un sourire accroché aux lèvres, comme après une nuit au Berghain, persuadé d’avoir vécu un immense moment de cinéma.
Dossier 137 de Diminik Moll
Sortie en salles le 19 novembre
Sirāt d’Óliver Laxe
Sortie en salles le 3 septembre
Par Marc Godin