BT93, POP-NEW-WAVE : « THE WHITE COLLAR MUSICIAN »

BT93

Entrepreneur désabusé dont le loft a déjà noirci les pages de ce magazine (voir le n°264), Bernard Tanguy est cinéaste (Parenthèse, 2016), producteur du dernier album de Stupeflip et moitié du duo Hum Hum avec Sophie Verbeeck. Son second album solo BT2033 (Dragon Accel / Modulor) sort ce vendredi 27 janvier 2023.

Dans la dernière interview que tu as faite avec Sophie Verbeeck pour Technikart, tu racontais avoir bossé pendant dix ans dans la télécommunication, puis dans le cinéma, concluant que ce que tu préférais faire, c’était de la musique. Qu’est-ce qu’il manque aux artistes qui n’ont jamais travaillé dans un bureau ?
Alors, c’est une boutade quand je dis ça dans le morceau BT93. Mais quand des artistes veulent parler du monde du travail, ils n’en parlent pas toujours très bien. Ça concerne peut-être 70 % de la population, qui passe 80 % de son temps au boulot. Donc, une énorme partie du temps d’une énorme partie des gens est finalement méconnue des artistes. C’est aussi en réaction à une expérience que j’ai eue plus jeune. Ma copine étant comédienne, elle faisait venir des théâtreux. Ces gens n’écoutaient jamais ce que je disais lors des discussions sur l’art : j’étais vendu au grand capital parce que je travaillais dans un bureau.

Ta pochette et ton single BT93 font très Houellebecq d’Extension du domaine de la lutte. Pourrais-tu nous expliquer le quatrain suivant écrit à deux mains avec Julien Barthélémy de Stupeflip ?

« Le monde du travail, je connais que ça
J’prends l’RER pour la défonce, pas la joie
J’en fais des airs, je rêve de n’plus faire que ça
Seul en costard à la Défense, moi j’y crois ! »

BT, c’est moi : Bernard Tanguy en 1993. C’est l’époque où j’avais fait la maquette de La Hiérarchie Chie (BT93, Dragon Accel). J’étais un salarié bureautisé, mais je rêvais de vivre de la musique et de ne faire que ça. Donc, j’étais à la Défense, seul en costard, et j’y croyais, et RER pour la Défonce est une chanson de mon premier album. En 93, ça faisait déjà quatre ans que je bossais. Je n’étais pas très heureux, ça ne me plaisait pas. Je souffrais de solitude. Je sortais, j’essayais de draguer des filles, ça ne fonctionnait pas. Et je ne connaissais personne dans le monde de la musique.

 

Elle te fait chier l’époque ultra moralisante ?
Un petit peu. En même temps, je ne vois pas comment ça pourrait être autrement. Je suis assez woke, en fait. Dans la chanson CNC, je parle surtout du cinéma. Quand on veut faire un film d’auteur, vous devez avoir le CNC avec vous, pour obtenir une « avance sur recette ». Malheureusement, il finance plus les films avec une certaine moralité, bien pensante et de gauche. Je trouve ça dommage. On mélange l’art et la morale, et pour moi ça n’est pas intéressant.

Justement, est-ce que le second degré, que tu pratiques dans tes morceaux et dans tes films, permet de ne pas mélanger l’art et la morale ?
Déjà, l’humour te permet de prendre de la distance, ça devrait être hyper valorisé. Or, je reviens au cinéma, le CNC finance peu de comédies.

« Trop d’bureaucratie/Suradministrés/Dans l’ciné aussi, ça finit par m’faire disjoncter » (CNC)
Oui, ils vont rigoler. Je les ai pratiqué pendant dix ans avec le cinéma. Mais je ne crache pas dans la soupe. J’ai demandé deux fois le CNC pour des clips et je l’ai eu deux fois. La première pour Hum Hum, et là dernièrement pour le clip de Stupeflip, Dans ton baladeur. Et on l’a eu à chaque fois. Je n’ai pas à me plaindre. Dans le ciné, pareil, je l’avais. C’est juste que c’est d’une complexité, des dossiers administratifs trop lourds et je pense arbitraires.

Tu parles du film Les quatre cents coups de Truffaut dans la chanson François, I Miss You. Qu’as-tu aimé la première fois que tu l’as vu ?
C’est un film hyper réussi. Dans la chanson, je parle du plan final où Léaud court sur la plage. Il se retourne, regarde la caméra et ça prend au tripes. Il m’a marqué.

Tu t’es reconnu dans ce gamin ?
Pas vraiment, parce que je n’ai pas manqué d’amour quand j’étais jeune, mes parents m’aimaient bien… Je trouve que Truffaut est un bon exemple de cinéma d’auteur orienté public, y’a de l’humour. C’est le genre de film qui serait compliqué à financer aujourd’hui, je pense. Je me sens plus proche de lui que de Godard. C’est assez bavard et distrayant. Godard, je l’ai toujours trouvé à deux doigts de l’escroquerie, et puis il était très politisé. Là, je ne suis pas d’accord. Dès qu’on mélange l’art et la politique, l’art est diminué.

Pourtant, tu penses qu’avoir travaillé permet à ta musique d’avoir un sens ?
Un sens oui, mais qui n’est pas politique. Mon premier album était très anti grosses sociétés, mais il n’était pas anticapitaliste. Mes chansons parlaient plus de l’absurdité du monde du travail.

Quel genre de musique fait « un pauvre quinquado qui déraille » (Les Doigts de la Main) ?
Ça fait quinquado. Donc, de la musique pas vraiment de mon époque, influencée par les années 70 et la new wave 80-90. Après, il se prend pour un mec plus jeune, donc il fait appel à la réalisatrice Sainte Victoire qui lui met des sons plus modernes.

 

Et ça donne ton second album solo : BT2033. Quelle est ta musique du futur ?
Écoute, je ne sais pas… Il y a la musique du futur et celle que je ferais… J’aime bien les trucs héroïques, quand il y a une tension et de l’émotion. Dans le rap, je ne le retrouve pas vraiment. Je vois l’évolution du rap à travers mon fils. Ils se mettent de plus en plus à chanter comme de la pop et ça devient de la variété, mais je ne m’y retrouve pas.

Finalement, quel a été le fil conducteur de l’album ?
Pour le premier, c’était très simple : un mec a fait des chansons dans les années 1990, dont on n’a jamais entendu parler, mais ses morceaux tournent dans les soirées de consultants en stratégie sans qu’il ne le sache. J’avais été poussé à ressortir les morceaux par cet engouement étrange : y’avait une histoire à raconter. Là, c’est le second album. Pour celui-ci, le storytelling est peut-être plus compliqué. Je crois que c’est : je viens du monde du travail et je suis le musicien des cols blancs. The white collar musician. Je raconte des histoires de gens qui bossent et ça les intéressent. J’ai toujours eu des fans, même s’ils n’étaient pas énormes, qui me suivaient, les consultants par exemple qui ont bloqué sur La Hiérarchie Chie.

Tu n’as toujours pas envie de faire des concerts ?
J’en fais un le 27 (ndlr. Galerie Heureux les Curieux, 75003 Paris), mais je ne suis pas hyper fan parce que c’est beaucoup de boulot. Je n’arrête pas là, pour être prêt le jour j. La musique sonne toujours moins bien. J’en fais un parce qu’il faut en faire un. Je suis un peu comme Julien (ndlr. Barthélémy) de Stupeflip.

Tu le rencontres comment d’ailleurs Julien ?
Parce que j’avais produit un film qui s’appelle Océane (ndlr. réalisé par Philippe Appietto et Nathalie Sauvegrain, 2013). C’est par la réalisatrice que je l’ai rencontré. Elle a fait une expo photo où il est venu. On a passé toute la soirée ensemble, on a bien sympathisé, et puis je lui ai proposé de faire la musique de mon film Parenthèse.

Comment présenterais-tu Parenthèse ?
Comme je le dis dans la chanson (ndlr. BT93), c’est un film « provoque et mélancolique »… Il parle du sentiment de vieillir.

Ce deuxième album solo, c’est donc pour rajeunir ?
J’aimerai bien. Je me suis rajeuni dans le premier clip (ndlr. lien ci-dessus). On ne peut pas, mais on peut rester jeune dans sa tête.

Quels sont les trois films et les trois disques que tu nous conseillerais ? Et, est-ce qu’il y aurait les Quatre Cents Coups ?
C’est possible. Mais il y a un autre réalisateur que j’adore, Paul Verhoeven et un de ces films que je trouve génial, c’est Starship Troopers (1997). Il est distrayant et second degré, avec pleins de métaphores sur la vie américaine. Les militaires sont déguisés en nazis, alors il a été accusé d’antisémitisme, mais ça n’a rien à voir. Il veut juste montrer le côté nazi de l’organisation américaine. En film de Truffaut, oui les Quatre Cents Coups (1959) et en troisième Un monde sans pitié d’Éric Rochant (1989). Culte lorsqu’il est sorti, il a peut-être mal vieilli, j’en sais rien en tout cas je l’adorais quand j’étais ado. Et les disques, je dirais le dernier Stupeflip (Stup Forever, 2022), le premier album de King Crimson (In The Court Of The Crimson King, 1969) et puis David Bowie, Aladdin Sane (1973).

 

En concert ce vendredi 27 janvier à 19h30 à la Galerie Heureux les Curieux (23 Rue du Pont aux Choux, 75003, Paris), BT93 présentera son second album BT2033 (Dragon Accel / Modulor).


Par Alexis Lacourte

BT93 technikart